Gospel : Aretha Franklin, une « parabole contemporaine » de la grâce de Dieu

mardi 14 janvier 2020

Un film au cinéma, un DVD et une biographie… L’année 2019 en matière de musique gospel aura été marquée dans le monde francophone par le nom d’Aretha Franklin. Retour sur la vie d’une artiste au parcours compliqué, mais qui aura su compter sur la grâce de Dieu. A lire et à écouter dans le même temps !

 « La vie d’Aretha Franklin est une parabole contemporaine de la grâce de Dieu. » C’est la conviction que le pasteur et musicien français Jean-Luc Gadreau développe dans sa biographie « Sister Soul. Aretha Franklin. Sa voix, sa foi, ses combats », parue au printemps dernier (1).

Née en 1942 à Memphis, la petite Aretha est une enfant prodige de la musique. Elle dispose d’une voix en or et brille au piano. A 12 ans son père, C. L. Franklin, pasteur et prédicateur renommé désormais à Détroit, l’emmène dans des tournées de « célébrations gospel » à travers les Etats-Unis. C. L. prêche et, avec d’autres musiciens, Aretha assure la partie musicale. « Aretha Franklin nous montre que la grâce de Dieu est offerte à tous et que chacun peut la recevoir, continue Jean-Luc Gadreau. La reine de la musique soul a ceci de particulier, c’est qu’elle a su l’accueillir » (2).

 

Un monument de la musique nord-américaine

Au cours de sa brillante carrière, de 1956 à 2018, Aretha Franklin a vendu plus de 75 millions de disques. Elle est la femme qui a figuré le plus souvent dans les hit-parades avec des titres comme « Respect », « Chain of Fools », « Think », « A Natural Woman », « I Say a Little Prayer »… Tout au long de ses quelque 60 ans de carrière, elle a su rebondir au fil des évolutions musicales pour retrouver le cœur du public et se faire apprécier avec de nouveaux titres. « C’est sans doute l’une des artistes qui a le plus impacté la musique contemporaine », commente Jean-Luc Gadreau.

Même si sa vie au quotidien a connu des errements et des trajectoires extraordinairement courbes, elle a su s’en remettre à la grâce de Dieu. Notamment en renouant dans des moments difficiles avec la production de disques particulièrement marquants dans l’histoire de la musique gospel. Comme si elle voulait réaffirmer ses origines musicales dans l’Eglise noire, l’Eglise baptiste concrètement, ou plus profondément se replonger dans la grâce de celui qui lui a donné la Vie.

 

« Amazing Grace », un CD et un DVD incontournable

Début 1972, alors qu’elle a presque 30 ans et qu’elle a quitté depuis deux ans son mari qui la battait, elle se rend à Los Angeles pour enregistrer à la « New Temple Missionary Baptist Church », lors de deux soirées, un double album intitulé : « Amazing Grace » (3). Le pasteur et pianiste James Cleveland officie en maître de cérémonie. Aretha est accompagnée du « Southern California Community Choir ». Et non seulement les deux soirées sont enregistrées par Atlantic, la maison de disques de la chanteuse noire, mais le cinéaste Sydney Pollack est aussi de la partie pour filmer les célébrations. A cause d’une erreur technique, ce film ne sortira pas pour le grand public avant le printemps 2019, grâce aux efforts d’Alan Elliott, un passionné qui a su synchroniser les différentes bandes du tournage (4).  

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Un extrait de 10’ du film « Amazing Grace. Aretha Franklin »

Au programme de la première soirée : « How I Got Over », un gospel signé Clara Ward, une proche de la famille Franklin. L’occasion pour Aretha de se rappeler comment elle a reçu Jésus dans sa vie et « comment il l’a libérée, lui qui a souffert et qui est mort pour chacun ». Par rapport à nombre d’interprétations précédentes, ce gospel est enlevé et syncopé. La chanteuse aux quatre octaves fait l’étalage de ses capacités vocales. Elle emmène orchestre et chœur sur un rythme effréné à proclamer qu’elle souhaite « porter une couronne dans la nouvelle Jérusalem et fouler les rues d’or dans la patrie de son âme » (Apocalypse 21.21).

 

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« How I Got over » par Aretha Franlin 

Dans ce gospel qui invite à un retour sur soi-même, on peut imaginer qu’Aretha fait mémoire d’un parcours certes auréolé de succès musicaux exceptionnels, mais aussi de difficultés existentielles majeures : la perte de sa mère à l’âge de 10 ans, deux grossesses à l’adolescence, un premier mariage marqué par des violences conjugales et une plongée dans la dépendance à l’alcool… Malgré tout cela, Aretha Franklin renoue avec le cœur de la foi chrétienne. Elle chante un cantique datant de la seconde partie du XVIIIe siècle dont les paroles ont été écrites par John Newton, un marchand d’esclaves repenti : « Amazing Grace ». Elle le fait sur un tempo lent, ex-tra-or-di-nai-re-ment lent, la plupart du temps les yeux clos, comme pour s’approprier tout à nouveau l’essentiel : « Grâce extraordinaire – que le son en est doux – qui a sauvé un-e misérable comme moi. » Le piano martèle ses notes et les trémolos de l’orgue Hammond se multiplient en arrière-fond. « J’étais perdu(e), mais dorénavant j’ai été trouvé(e). J’étais aveugle, mais maintenant je vois… »


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« Amazing Grace » par Aretha Franklin  

Alors que des gouttes de sueur perlent sur le visage d’Aretha Franklin, tant les membres de la chorale que l’assistance se lèvent, se rassoient, se relèvent… goûtent à l’intensité du moment de louange. Les uns lèvent les bras, d’autres lancent : « Amen », « Continue ! » La reine de la soul improvise, extatique : « J’ai passé par de nombreux dangers, par de nombreuses peines, par de nombreux pièges. Cette grâce m’a mise en sécurité et elle va me conduire à la maison. Le Seigneur m’a promis de me faire du bien. Sa parole, mon espoir, me l’assure ! » Puis le chœur relance le gospel et Aretha conclut : « La grâce va me conduire à la maison ! » Le tout a duré près de seize minutes !

 

« Un Seigneur, une foi, un baptême »

Quinze ans plus tard, en 1987, Aretha Franklin, a 45 ans et elle est toujours une chanteuse qui compte aux Etats-Unis. La reine de la soul souhaite à nouveau enregistrer un album gospel. Cette fois-ci, elle sera seule à diriger sa production. Pour ce faire, elle obtient le soutien de sa maison de disques, Arista Records. Désireuse d’en faire un succès aussi probant qu’« Amazing Grace », elle organise trois célébrations gospel les 27, 28 et 30 juillet. Elle convie à Détroit, dans l’église où son père a été pasteur, plusieurs personnalités de la musique gospel ou de l’Eglise afro-américaine : la chanteuse Mavis Staples, le directeur de chœur et producteur de Détroit Thomas Withfield, Joe Ligon, leader du groupe gospel « The Mighty Clouds of Joy », et le pasteur Jesse Jackson.

Le disque s’appellera : « Un Seigneur, une foi, un baptême » (5). Deux titres renvoient à ses récentes épreuves du quotidien. En 1984, elle divorce du troisième homme de sa vie. La même année, elle perd son père bien aimé qui vient de passer cinq ans dans le coma après avoir été poignardé dans la rue à Détroit… et elle chante avec Joe Ligan, une voix exceptionnelle de la musique gospel : « I’ve been in the Storm Too Long », « J’ai connu trop longtemps la tempête. » En duo, ils lancent au Seigneur cette complainte et lui demandent « un peu de temps pour prier ». En substance : du temps pour être avec le Seigneur et le laisser panser les plaies qui les habitent. Aretha Franklin lance même un appel : « Y a-t-il quelqu’un ce soir qui veut revenir à la maison, revenir à Jésus ? Et être candidat au baptême… »


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« I've Been in the Storm Too Long » par Aretha Franklin et Joe Ligon

Un autre gospel de Clara Ward, l’amie de la famille Franklin, trouvera sa place lors de ces trois soirées. « Surely God Is Able » (« Sûrement, Dieu est capable ») confesse qu’« en tant que pèlerins, nous voyageons parfois sans connaître le chemin à suivre. Mais il y a quelqu’un qui le connaît… et qui est capable de nous porter tout au long du chemin. » 

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« Surely God is Able » par Aretha Franklin

 

Malgré tout, ouverte à l’espérance !

Le biographe d’Aretha Franklin, Jean-Luc Gadreau, s’émerveille : « Aretha Franklin va accueillir cette grâce constamment. Elle va s’y accrocher et va en devenir l’expression. » Pour le pasteur de la Fédération baptiste de France, on retrouve ici l’histoire des deux brigands qui sont crucifiés avec Jésus (Luc 23.39-43). Les deux sont invités à recevoir la grâce de Dieu, mais un seul va y répondre. Aretha fait comme ce dernier, même si elle a connu son lot d’épreuves : elle répond positivement à la grâce de Dieu.

Lors de ces trois célébrations gospel, Aretha Franklin reprendra le standard des Edwin Hawkins Singers : « O Happy Day ». En duo avec Mavis Staples, elle interprète le refrain « Jésus a lavé mes péchés », et ajoute aux paroles habituelles du célèbre gospel que l’on « peut se réjouir parce que la pierre a été roulée ». Jésus est ressuscité ! Et Jean-Luc Gadreau de conclure dans son livre : « En fin de compte, ça s’appelle la foi… C’est comme cela que l’on survit aux tempêtes. C’est ce qui nous soutient, nous porte, nous supporte, à travers le voyage incertain » (6). Aretha Franklin est décédée le 16 août 2018.

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« O Happy Day » par Aretha Franklin et Mavis Staples

 

Serge Carrel
lafree.info

 

Notes

1 Jean-Luc Gadreau, Sister Soul. Aretha Franklin. Sa voix, sa foi, ses combats, s. l., Ampelos, 2019, 156 p.
2 Dans l’émission Ciel ! Mon info, « Aretha Franklin, la reine de la soul » avec Jean-Luc Gadreau. ( https://www.youtube.com/watch?v=y3cDxdulJtw )
3 Aretha Franklin, Amazing Grace, double CD avec James Cleveland et le Southern California Community Choir, Atlantic, 1972.
4 Amazing Grace, Aretha Franklin, DVD Metropolitan, 2019.
5 Aretha Franklin, One Lord, one Faith, one Baptism, Arista Records, 1987.
6 Jean-Luc Gadreau, Sister Soul. Aretha Franklin. Sa voix, sa foi, ses combats, p. 152. 

 

 

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