Parabole automnale

mercredi 26 octobre 2005

J'en ai choisi soixante: bulbes de perce-neige, de jonquilles, de tulipes, qu'avant la fin octobre je nicherai, joyeuse, en terre de rocaille ! Maintenant admettons, le temps de ce billet fleurant la parabole, que mes bulbes groupés en vraie chaîne d'oignons sûrs de me faire pleurer des larmes de remords… Admettons que mes bulbes s'indignent et psalmodient ce funèbre couplet quand je les planterai: « Tous ces mois sous la terre en pleine obscurité sans voir, aux jours de gel, le soleil se lever entre les arbres nus tout étoilés de givre ! Et dire que tu prétends, croque-mort aux doigts verts, qu'en nos tombes glacées « on s'ra aux p'tits oignons !» Imaginant la scène à défaut de la vivre (excusez-moi, je rêve !), je ne puis m'empêcher d'inventer le refrain que pleurnicheraient, tragiques, deux pieds de myosotis voués au même sort que mes bulbes geignards: « Délaissés tout l'hiver au noir des plates-bandes tandis qu'au chaud cocon de ton douillet logis, jardinière infidèle, tu vas nous oublier…»

Mais revenons sur terre, à l'heure où le brouillard plus souvent qu'en automne nous momifie, vivants, dans son linceul opaque. Ne nous arrive-t-il pas, êtres humains déprimés par trop de vague à l'âme, de douter qu'un oignon tout gorgé d'espérance et enfoui sous les mottes de nos jardins secrets donnera à coup sûr, au début du printemps, une fleur éclatante illuminant l'issue d'un long temps de marasme ? A moins que nous pensions, à l'instar de mes bulbes abandonniques — en diable ! — que l'espoir aujourd'hui n'est qu'élan avorté, condamné à l'oubli… Dans ce cas supposons, sur fond de parabole, que nous puissions choisir: être oignon de tulipe ou pied de myosotis, pour apprendre à donner enfin notre confiance au Grand Horticulteur qu'est Dieu, le Créateur ! Chiche que je choisirais, affermissant mes pas en sillons souterrains, non pas un, mais bien… deux pieds de myosotis ! Car si son petit nom est « ne m'oubliez pas !», un second, moins courant, l'appelle « herbe d'amour »: bien aimé du Dieu Père qui jamais ne l'oublie !

Et si dès aujourd'hui on en plantait ? Pour voir.

Marie Claude Pellerin, Eglise évangélique des Uttins à Yverdon (AESR)

Ce billet est paru dans l'édition régionale Nord-Vaudois de "24 heures", le 22.10.05

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