« Par ce partenariat avec des Ivoiriens, j’ai agrandi ma famille. Dans la santé comme dans la maladie ! » Assis à sa table de travail, au rez-de-chaussée du bâtiment du DM-Echange et mission à Lausanne, Charles-André Geiser termine l’édition du prochain « Terre nouvelle », le périodique des oeuvres d’entraide réformées de Suisse romande. Il évoque avec émotion son aventure dans le micro-crédit avec la famille du pasteur africain Doué Wah Anatole.
Chef coutumier en Côte-d’Ivoire
« Le 22 décembre 1997, j’ai été intronisé chef coutumier de la commune de Tabou, à l’ouest de la Côte-d’Ivoire, tout près de la frontière libérienne. Cette intronisation a changé beaucoup de choses dans ma vie ! Je m’appelle désormais Gnépa (celui qui réussit ce qu’il entreprend) ». Charles-André Geiser est un familier de la Côte-d’Ivoire. Il y a vécu de 1981 à 1987. Il est resté en contact régulier avec ce pays en exerçant de 1988 à 2001 la fonction de secrétaire de la Mission biblique en Côte-d’Ivoire et en Haïti. Fin 1997, Charles-André Geiser emmène à Tabou une équipe de foot de bons amateurs chrétiens de Suisse romande et de France. Son but : encourager les échanges avec la population locale.
Le projet ainsi que le don de 17 instruments de cuivre à la fanfare de cette ville de 12'000 Ivoiriens et de 40'000 réfugiés libériens suscite la reconnaissance des autorités locales. « Qu’offrir à un Blanc qui se démène depuis longtemps pour la population ivoirienne ? » Dans l’esprit des autorités de Tabou, la réponse jaillit. Du coeur ! « Introniser Charles-André Geiser comme chef coutumier ! » L’habitant du Fuet dans le Jura bernois est poli. Il accepte cette marque d’honneur, sans trop savoir au devant de quoi il va. Sinon le fait que tout chef coutumier doit veiller au bon développement de sa commune.
Propriétaire de palmiers à huile et d’hévéas
Aujourd’hui Charles-André Geiser est propriétaire, à 40 km de Tabou, d’une plantation de 10 hectares, dont 5 sont couverts de palmiers à huile, et d’une autre plantation de 2,5 hectares d’hévéas, l’arbre à caoutchouc. Il a acheté du terrain à un chef de village, qui avait besoin d’argent pour construire sa maison. « En fait, explique-t-il, la plantation d’hévéas existait avant que je ne l’achète. Cette plantation, par les ressources qu’elle génère, a permis de financer sur une autre parcelle l’entretien de quelque 700 palmiers à huile. Des palmiers plantés et payés en 1999 par une douzaine de jeunes du groupe de la Baraque à Morges. »
Dans cette démarche de micro-crédit, Charles-André Geiser a investi une partie de l’héritage de ses parents décédés. Ce faisant, il a retrouvé des proches en nouant une relation étroite avec la famille du pasteur Doué Wah Anatole qui gère cette exploitation. Ce pasteur ivoirien, à la santé précaire à cause d’un paludisme sévère, s’est entouré d’un personnel local : des « saigneurs » d’hévéas ainsi que des tacherons pour entretenir les plantations. « Au début, je recevais chaque trimestre le relevé de mon compte à la banque BICICI à San Pedro, la grande ville la plus proche de Tabou. Je parvenais ainsi à suivre l’évolution des affaires depuis la Suisse. » Mais depuis quelques années, Charles-André Geiser a renoncé à cette manière de faire. Suite aux difficultés que traverse la Côte-d’Ivoire, il a laissé le pasteur Doué Wah disposer de son propre compte bancaire pour gérer lui-même le devenir des plantations. Outre la précarité due à la guerre, la plantation de palmiers souffre de ne pas être raccordée à une voie carrossable. « Il nous manque 500 mètres de route, ce qui empêche l’exploitation de tourner à plein régime », ajoute le secrétaire de rédaction de « Terre nouvelle ».
La confiance ! Rien que la confiance !
« Si je voulais réagir en tant que Suisse dans cette aventure, ça deviendrait invivable. Notre système de gestion n’est pas universel, ajoute Charles-André Geiser. Nous avons fait confiance à cette famille. Ils nous ont fait confiance... et toute cette aventure de micro-crédit est basée sur la confiance ! Aucun franc CFA ne sortira de la Côte-d’Ivoire ». Pareille démarche ne va pas sans poser des questions. Le pasteur de La Chaux-de-Fonds a eu le temps d’y réfléchir pendant une formation « postgrade » de trois semestres qu’il a suivi en Suisse romande sur la gestion de projets internationaux. « Mes expériences dérangeaient parfois les enseignants, relève-t-il, mais les gens du Sud qui participaient à ce cours, se réjouissaient d’entendre un Blanc parler leur langage et pas celui des spécialistes du Nord. »
Pour Charles-André Geiser, cette expérience de micro-crédit entre particuliers présente de nombreux avantages. Elle permet tout d’abord à une famille d’être impliquée et de porter un projet de développement. Voilà 6 ans, Christophe, le fils aîné des Geiser, s’est rendu sur place avec quelques amis suisses pour participer à la préparation de la plantation. Aujourd’hui, Charles-André Geiser est convaincu que s’il venait à disparaître l’un de ses trois enfants assurerait la continuité du projet.
Une aide directe motivante
Cette démarche d’individu à individu permet aussi de réduire les coûts de l’aide à leur plus simple expression. « Lorsque je verse 100.- à mon ami Doué Wah Anatole, c’est 100.- qui lui parviennent. Rien n’est prélevé pour les frais courants de l’ONG qui achemine mon aide », explique Charles-André Geiser. Loin de vouloir discréditer le travail ordinaire des ONG qui oeuvrent à une autre échelle, le pasteur de La Chaux-de-Fonds souligne tout de même le côté très motivant de cette démarche.
Les désavantages de cette forme de micro-crédit entre individus sont nombreux. Charles-André Geiser en est très conscient. La précarité de la vie des gens du Sud ne laisse personne à l’abri d’un départ rapide. Dans ce cas-là, comment parvenir à retrouver quelqu’un de confiance pour un projet aussi risqué ? « On peut également très facilement être mené en bateau, constate Charles-André Geiser. Comment ne pas être trompé par un partenaire qui ne partagerait pas notre éthique ? C’est bien toute la question... »
Essayer quand même !
Pour le pasteur de La Chaux-de-Fonds, cette précarité ne doit pas décourager ces démarches de micro-crédit. Grâce à des amis en Suisse qui ont de la parenté avec des gens du Sud, il est possible de se lancer dans une telle aventure. Un voyage touristique dans le Sud peut aussi permettre la rencontre de gens de confiance. « Il ne faut en tout cas pas foncer tête baissée, relève Charles-André Geiser. Il faut être prêt à échouer... mais parfois le résultat en vaut vraiment la peine ! »
Serge Carrel