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RDC : Mike Upio, le médecin qui a relancé le Centre médical de Nyankunde après la guerre de l’Ituri

Serge Carrel mercredi 31 octobre 2018 icon-comments 1

De nombreux envoyés de la FREE ont servi entre 1960 et 1990 dans le Centre médical évangélique de Nyankunde dans la province de l’Ituri (RDC). Des médecins, des infirmiers et infirmières, des menuisiers… En reportage sur place, Serge Carrel a rencontré Mike Upio, le médecin congolais qui a relancé cet hôpital après les violences et la destruction des bâtiments lors de la guerre de l’Ituri en 2002. Portrait.

« C’est un peu notre bibliothèque ! » Voilà comment les responsables du Centre médical évangélique (CME) de Nyankunde en République démocratique du Congo présentent le Dr Mike Upio. Ce Congolais de 41 ans, natif de la région, connaît tout du CME depuis qu’il y est arrivé comme médecin en avril 2005.

« Nyankunde, c’était la brousse ! »

« En 2002, explique Mike Upio, tout le monde a fui la région de Nyankunde à cause de la guere de l’Ituri. Certains ont marché vers le sud pour rejoindre Beni, dans le Nord-Kivu. D’autres ont fui en direction du nord pour se réfugier à Bunia ou encore plus au nord à Aru. » A cette époque, le Dr Mike Upio étudie la médecine à Kisangani (Province de la Tshopo). Il termine ses études en 2003, et rejoint les déplacés de la région de Nyankunde installés à Beni. Il participe au lancement d’une antenne du CME dans cette ville, aujourd’hui touchée particulièrement par les troubles interethniques et la pandémie d’Ebola.

Lebabo Munguibojean En 2004, la MONUSCO, la force armée des Nations unies, s’installe à Marabo, un village-carrefour à quelque 5 kilomètres de Nyankunde. Une telle présence redonne confiance à certains habitants déplacés qui se disent : « Rentrons chez nous ! » « Ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, ajoute le Dr Mike Upio, c’est qu’à l’époque, Nyankunde, c’est la « brousse ». Il n’y a plus rien du tout. L’infrastructure du CME a été détruite. Les tôles qui couvraient les bâtiments odnt presque toutes été dérobées et la nature a repris ses droits. »

A ce moment-là, un responsable des Communautés Emmanuel, les Eglises partenaires historiques de la FREE dans la province de l’Ituri, Bungishabaku Katho, lui-même originaire de Nyankunde, décide de rouvrir l’Eglise et l’école primaire du lieu afin de favoriser l’installation des habitants qui reviennent. « Il se débrouille avec la MAF (Mission Aviation Fellowship) pour que l’école soit gratuite et que les enseignants soient payés, poursuit le Dr Upio. Suite à cela, les gens se sont rapidement rendu compte qu’ils avaient besoin de soins médicaux. » D’anciens infirmiers et infirmières de Nyankunde décident alors, sur une base volontaire, de revenir sur place pour prodiguer les soins de base.

Premier médecin de l’après-guerre

La chapelle du Centre médical évangélique, encore marquée par les stigmates de la guerre de 2002.« J’ai effectué ma première visite ici après la guerre en avril 2005, raconte Mike Upio. Un avion de la MAF revenait de Beni vide à Nyankunde et j’y suis monté avec ma femme qui est infirmière et ma fille. Le jour de notre arrivée, nous nous sommes mis à soigner les patients qui arrivaient. Aux alentours de 16 h, le pilote de la MAF nous dit qu’il devait repartir avant la nuit pour Bunia. Nous avons alors, ma femme et moi, décidé de rester sur place. » Le couple n’a pas d’endroit où dormir. Il s’installe dans ce qui deviendra plus tard le bureau du directeur de l’hôpital. A l’époque, cette pièce n’a ni fenêtre, ni plafond, ni porte. On lui propose un lit rouillé de l’hôpital et le couple y passe la nuit. Leur premier enfant dort aussi dans un petit lit juste à côté d’eux. « C’était le meilleur endroit que l’on pouvait offrir à un visiteur, commente le médecin congolais. Voilà comment cela a redémarré. J’ai ainsi passé une semaine à soigner les malades. Pendant cette semaine, j’ai fait ma première césarienne dans la salle de la maternité, alors que, depuis 2004, c’était la MONUSCO qui se chargeait de transporter les femmes qui en avaient besoin à Bunia, après avoir obtenu l’autorisation de Kinshasa ! »

A son retour à Beni, le couple discute de son avenir. La femme du Dr Mike Upio relève que les habitants de Nyankunde ont besoin d’un médecin et donc que leur avenir se trouve dans cette région. De son côté, le conseil administratif du CME recherchait aussi un médecin et le couple se porte volontaire.

Des aides nombreuses pour relancer le CME

Le bureau de l’aumônerie.De fin 2005 à 2016, le Dr Mike Upio se dépense corps et âme pour relancer l’hôpital. C’est tout d’abord Memissa, une mission catholique belge qui met à la disposition du médecin un kit de chirurgie. Puis trois pères catholiques de Badya, un village à quelque 10 kilomètres de Nyankunde, qui mettent à disposition du matériel, convaincus que le CME a un rôle important à jouer dans la région. Puis des habitants de la région, contre la somme d’un dollar, restituent à l’hôpital les vitres qu’ils ont enlevées à ses différents bâtiments lors de l’exode de 2002 et qu’ils ont soigneusement entreposées à l’abri pendant ces années. Enfin, c’est l’arrivée de Samaritan’s Purse, l’ONG évangélique de Franklin Graham, le fils de Billy Graham, qui tisse un partenariat avec l’hôpital et amène, grâce à un conteneur, tout l’équipement de base d’un petit hôpital. La collaboration avec cette ONG américaine se poursuit au travers de la venue d’un chirurgien étasunien, Warren Cooper, qui, au début, visite le CME deux fois l’an, puis décide de s’installer à Nyankunde. En janvier 2013, grâce toujours à l’appui de cette grande ONG, un bloc opératoire est mis en service dans de nouveaux bâtiments au pied de la colline.

« Avec l’arrivée de ce chirurgien et l’ouverture d’un bloc opératoire moderne, poursuit Mike Upio, le CME acquiert ses lettres de noblesse. Point de vue qualité, l’établissement frise le niveau tertiaire, soit un statut universitaire à l’échelle congolaise. Notre objectif, c’est qu’à l’avenir des Congolais puissent pleinement prendre en charge les soins et la gestion de cet hôpital et que des expatriés viennent renforcer les capacités du personnel local. »

De 2012 à 2015, Mike Upio se lance dans une maîtrise en santé internationale à l’Université de Bâle, puis dans une thèse de doctorat en santé publique en Hollande, une formation à distance qu’il devrait terminer en février 2020.

Au service de la mission de Jésus-Christ

Le couloir couvert récemment construit.« Mon grand-père a été un grand pasteur de la région, relève Mike Upio. Personnellement, j’ai été marqué par un sens profond de la mission de l’Eglise de Jésus-Christ. Même si j’ai perdu ma mère sage-femme, mon frère et 9 autres personnes de ma famille proche dans les troubles interethniques de 2002, j’ai été convaincu que le Seigneur m’appelait à revenir pour le servir à Nyankunde. Comme mon épouse le disait à l’époque : « L’Etat ne va en tout cas pas aller à Nyankunde. Toi, tu viens de là. Tu connais tout le monde. Tu es celui que le Seigneur appelle pour reconstruire cet hôpital. »

La première étape de cette reconstruction a été achevée. Voilà 2 ans, le Dr Mike Upio a remis la direction du CME à un médecin généraliste plus jeune : le Dr Davin Ametapio. De nombreux bâtiments ont été réhabilités simplement. Il en reste encore quelques-uns dépourvus de toit, la chapelle notamment, mais un chemin couvert a été construit entre différents bâtiments et le bloc opératoire fonctionne aujourd’hui à satisfaction. La situation du personnel médical demeure précaire. Il soigne une population qui n’a pas les moyens économiques de financer les soins médicaux dont elle a besoin.

« Les liens avec les Eglises de Suisse sont historiques, conclut le Dr Mike Upio en évoquant le passé du CME. Des noms comme Jeff et Anne-Christine Horton, Yvonne Dind, Roland Abbey, Jean-François Negrini, Gilles et Myriam Bonvallat, Marianne Stettler, Liliane Fuchsloch, Monique Meylan… sont familiers à nos oreilles. Mais depuis la guerre de 2002, la Suisse regarde de loin. Il n’y a plus d’implication directe pour réfléchir ensemble… comme avant ! »

Serge Carrel
En reportage à Nyankunde
  • Encadré 1:

    Le Centre médical évangélique de Nyankunde en bref

    172 lits
    140 membres du personnel
    8 médecins congolais
    4 médecins expatriés
    3 aumôniers
    Conseil d’administration : représentants des 7 Eglises évangéliques impliquées dans le projet
    Fondation : 1966
    Population desservie dans la Zone de santé de Nyankunde : 108'000 personnes
  • Encadré 2:

    Des prêts du CEMADEF pour soutenir le personnel du CME

    « Chez nous en République démocratique du Congo, le travail est là. Mais cela ne donne pas beaucoup de rendement ! » Lebabo Munguibojean est aumônier au Centre médical évangélique de Nyankunde (CME). Ancien directeur de l’Institut biblique du lieu, ce pasteur déplore que son salaire atteigne parfois 20, 30 ou 40 pour cent seulement du montant mensuel promis.

    Des oignons pour financer les études de son fils

    Campé dans un champ fraîchement labouré, à flanc de coteau de la colline qui surplombe Nyankunde, il explique que pour payer les études de son dernier fils, il va planter des oignons qu’il envisage de vendre sur les marchés de Nyankunde, de Marabo ou de Bunia.

    « Mon dernier emprunt au CEMADEF se montait à 300 dollars, explique Lebabo Munguibojean. Je dois le rembourser sur une période de 5 mois. Avec cette somme, je paie un journalier qui cultive ce champ à ma place, parce que je suis trop occupé par mon ministère au CME. C’est la première fois que je me lance dans un projet agricole, mais ce n’est pas la première fois que je touche un prêt. »

    Avec les prêts précédents, cet aumônier de l’hôpital a payé les études de psychologie de son quatrième enfant. Grâce au produit de la vente de ses oignons, il espère financer le début des études de médecine de son dernier fils.

    Un partenariat pour le bien du CME

    Touchés par la situation précaire du personnel du CME, les responsables de l’antenne locale du CEMADEF, l’institution de microcrédits lancée en 2006 par Fanny Ukety, ont décidé de transiger avec la règle de prêts accordés uniquement à des femmes. Depuis quelques années, des infirmiers, des aumôniers ou des gardiens du CME ont la possibilité de toucher un prêt et de le faire fructifier pour le bien de leur famille. Ces messieurs prennent cela très à cœur, puisque le taux de remboursement est même meilleur que celui des femmes, relève Fanny Ukety.

1 réaction

  • Yvonne Dind vendredi, 02 novembre 2018 15:10

    Cela me réjouit de voir "ressusciter" des nouvelles de ce cher pays du Congo où les églises de Suisse ont été impliquées non pas de 1960 à 2000, mais de 1954 à 2008 ! Il y a véritablement des personnes magnifiques qui font un travail exemplaire dans ce pays, et qui sont dignes d'être soutenues. - Pour ma part, j'ai toujours maintenu un contact étroit avec mes amis là-bas et j'ai été présente dans cette période difficile, au travers de missions avec Medair en 2000, 2001-2002, 2003, 2004-2005, 2007 et visites aux amis en divers lieux - puis des visites en 2012 et 2017 pour encourager mes frères et sœurs de diverses manières. Mon souhait est que nos églises de la FREE, suite à la visite de Serge Carrel, maintiennent un lien avec les églises et leurs activités sur place.