«Le Sermon sur la montagne: une balise fondamentale pour l’aventure de la foi» par Serge Carrel

mardi 14 octobre 2025

Le Sermon sur la montagne de Jésus de Nazareth est un discours que nombre de chrétiens aujourd’hui essaient de vivre dans leur réalité. Salim Munayer, fondateur de l’ONG Musalaha en Israël, en a fait le texte de référence de son engagement. Alors qu’il sera le week-end prochain à l’Eglise évangélique de la Pélisserie, nous vous proposons une prédication qui a été tenue le 28 septembre sur ce discours de Jésus par le pasteur de cette Eglise : Serge Carrel.

18Jésus marchait le long du lac de Galilée, lorsqu'il vit Simon, surnommé Pierre, et son frère André ; ils étaient en train de jeter un filet dans le lac car c'étaient des pêcheurs. 19Jésus leur dit : « Venez à ma suite et ce sont des êtres humains que vous pêcherez. » 20Aussitôt, ils laissèrent leurs filets et le suivirent. 21Il alla plus loin et vit deux autres frères, Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Ils étaient dans leur barque avec Zébédée, leur père, et ils réparaient leurs filets. Jésus les appela ; 22aussitôt, ils laissèrent la barque et leur père et ils le suivirent.

23Jésus allait dans toute la Galilée ; il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la bonne nouvelle du royaume et guérissait les gens de toutes leurs maladies et de toutes leurs infirmités. 24On entendit parler de lui dans tout le pays de Syrie et on lui amena toutes les personnes qui souffraient cruellement de différents tourments et de diverses maladies : ceux qui étaient possédés par des démons, ainsi que les épileptiques et les paralysés. Et Jésus les guérit. 25Une foule de gens le suivit ; ils venaient de la Galilée, de la région de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée et du territoire situé de l'autre côté du Jourdain.

5.1 Quand Jésus vit les foules, il monta sur une montagne et s'assit. Ses disciples vinrent auprès de lui, 2il prit la parole et leur donna cet enseignement…

Matthieu 4.23 à 5.2.

 

Le Sermon sur la montagne… C’est un discours que Jésus prononce au début de l’évangile de Matthieu. C’est le premier de cinq discours qui jalonnent tout cet évangile : il y a donc en premier le Sermon sur la montagne, puis un discours d’envoi en mission (Mt 10), puis un discours en paraboles (Mt 13), puis un discours sur les relations dans la communauté (Mt 18), puis enfin un discours qui a tout d’un appel à la vigilance (Mt 24-25).

 

Le contexte du Sermon sur la montagne

Pour bien comprendre le Sermon sur la montagne, il importe de le situer dans son contexte, soit celui de l’évangile de Matthieu. Le début de l’évangile commence par une généalogie, puis viennent la naissance de Jésus, la visite des mages et la fuite en Egypte. Le chapitre 3 commence par une narration autour de Jean le baptiste, puis au travers du baptême de Jésus par Jean Baptiste, le récit glisse vers les débuts du ministère de Jésus. Deux éléments à avoir à l’esprit par rapport au chapitre 4 de cet évangile : tout d’abord, Jésus appelle quatre disciples à le suivre, puis il annonce la bonne nouvelle du Règne, sans que l’on en connaisse vraiment le contenu. Il guérit les malades et les infirmes. Donc au moment où Jésus prend la parole pour commencer son Sermon sur la montagne, l’évangile de Matthieu ne nous a encore rien dit du contenu de la proclamation de Jésus, sinon le fait qu’il s’agit d’une bonne nouvelle.

 

Jésus te regarde !

Jésus monte sur une montagne et s’assoit. Il regarde les gens. Au premier rang de l’assistance, il y a les disciples qui ont tout laissé pour le suivre. Derrière, il y a aussi la foule qui est là en nombre. Aux disciples et à chaque personne de la foule, Jésus dit : « Heureux ! »

Ce qui est très important si l’on veut bien comprendre le Sermon, c’est d’avoir à l’esprit que c’est le roi de cette bonne nouvelle du Règne de Dieu qui est en train de parler. Ce roi n’est pas n’importe qui. C’est Jésus, le roi messianique tant attendu qui vient. Et ce Jésus pose son regard sur les disciples et sur la foule. Il le pose aussi sur toi et sur moi. Il pose son regard sur nous et nous dit : « Heureux es-tu, quelles que soient tes circonstances de vie – l’humiliation, la tristesse, le fait que tu ne sois pas un « winner », le fait que tu aies soif de justice… Quelles que soient tes circonstances de vie, parce que je te regarde, parce que je suis là à tes côtés, tu es heureux ! » Aux quatre disciples qui ont tout laissé et déjà accepté de le suivre, à ceux qui dans la foule ont envie de cheminer avec lui, Jésus annonce qu’ils sont heureux… à cause de son Règne qui arrive, à cause de sa présence.

 

La présence du Fils bien-aimé

Le Sermon sur la montagne n’est rien sans la présence de celui qui prononce ce discours. Et cette présence est plus que, simplement, la présence de quelqu’un qui parle. Elle est la présence de celui sur lequel est descendu le Saint-Esprit en Matthieu 3 et à propos duquel il a été dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; c’est en lui que j’ai pris plaisir » (Mt 3.17).

On peut donc affirmer, même si Jésus n’est pas encore mort et ressuscité, que la grâce est là, que la présence grâcieuse de Jésus est déjà à l’œuvre dans la vie des disciples et dans la vie de certaines personnes de la foule. Ce discours intervient comme un appel à prendre conscience de notre bonheur d’avoir Jésus à nos côtés. Mais il s’agit aussi d’une invitation à manifester dans nos vies personnelles le fruit, les conséquences de cette grâce de Dieu qui est première. Ce que nous pourrons mettre en oeuvre suite à l’écoute du Sermon ne sera jamais source de notre salut. Ce sera toujours une réponse à la joie de savoir Jésus-Christ présent au cœur de notre vie, source de notre identité, source de sens à notre vie, source de notre salut. Et cette réponse sera toujours humaine, faillible provenant d’individus et d’une communauté qui a Jésus pour roi.

 

Une présence grâcieuse

Mettre en avant cette présence grâcieuse de Jésus est important parce qu’au cours des siècles, différentes Eglises et différents théologiens ont tout fait pour éviter les aspérités de ce discours du Sermon sur la montagne, pour le domestiquer. Pour en faire quelque chose de peu de portée, de peu d’impact dans la vie des chrétiens et des communautés.

Beaucoup d’interprètes du Sermon sur la montagne ont été marqués par le sentiment que ce que demandait Jésus était impossible à pratiquer. « Aimer ses ennemis », impossible ! « S’arracher l’œil droit s’il est une occasion de chute », tu plaisantes ! « Etre passible de jugement, si on se met en colère »… mais je suis constamment en colère ! Autant d’affirmations incompréhensibles et impossibles à mettre en pratique pour l’être humain normal !

 

Les domestications du Sermon sur la montagne

Pour se dégager des propos contraignants de ce discours, certains interprètes, au Moyen-Age par exemple, ont vu dans le Sermon sur la montagne un propos que seule une certaine élite de l’Eglise était appelée à pratiquer : les moines… Certains ont aussi divisé le Nouveau Testament en préceptes contraignants et en conseils qui le sont moins… Et bien entendu, le Sermon sur la montagne a été réduit au statut de conseils !

A la Réforme, plusieurs personnalités marquantes ont vu dans le Sermon sur la montagne un appel à la repentance. Ce discours nous ferait prendre conscience du fait que nous sommes incapables d’aimer nos ennemis, que nous sommes incapables de ne pas convoiter, que nous ne sommes pas à même de tenir un serment… Donc, une fois que nous avons pris conscience de cela, nous demandons pardon au Seigneur… et nous sommes sauvé-e-s !

De manière assez évidente, on retrouve là une vérité qu’affirme l’apôtre Paul : nous ne pouvons rien faire pour notre salut ! En soi, c’est bibliquement juste, mais la compréhension du Sermon est tronquée, erronée.

D’autres interprètes du Sermon sur la montagne ont mis en avant que ces demandes de Jésus, seul, lui, pouvaient les accomplir… Ou alors que ces demandes de Jésus ne pourraient être réalisées que dans le futur Règne de Dieu. Donc ce discours sera à même d’être pratiqué dans le futur, au moment du retour de Jésus !

Dans de nombreuses Eglises aujourd’hui, on ne sait trop que faire du Sermon sur la montagne. Soit on valorise le salut par la foi seule, sans montrer que la marche chrétienne ne s’arrête pas là, mais qu’elle entraîne une vie de disciple… Soit on est tellement à la recherche de sa destinée et de la volonté de Dieu pour soi personnellement que l’on n’a même pas conscience que le Sermon sur la montagne est l’horizon de la vie de tout disciple authentique de Jésus.

En passant, ce qui est intéressant à noter, c’est le fait que plus l’Eglise dont vous êtes membre est proche du pouvoir politique et associée de près à l’Etat, plus votre Eglise et ses théologiens ont tendance à domestiquer le Sermon sur la montagne, à en faire un discours pour une élite, à le réduire à une occasion de repentance ou à en faire un texte qui ne pourra qu’être pratiqué dans le futur.

 

Un discours pour temps de crise

Le Sermon sur la montagne a été souvent redécouvert dans des situations de crise, dans des moments de l’histoire où l’identité des chrétiens était tout spécialement en jeu. Dans ces circonstances-là, il a été pris au sérieux par certains.

Dans les années 1930 en Allemagne, un pasteur appelé Dietrich Bonhoeffer est entré en résistance contre le nazisme. Par rapport à la plupart des chrétiens allemands qui étaient prêts à considérer Hitler comme un leader qui accomplissait la volonté de Dieu, il a proclamé que l’engouement pour le nazisme était une idolâtrie et une trahison du seul Dieu vivant : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

L’un des livres-phares que Dietrich Bonhoeffer a publié en 1937, est une méditation du Sermon sur la montagne, intitulée en allemand : « Nachfolge », un titre que l’on peut traduire par « Suivance » en français.

 

Non à la grâce à bon marché !

Dietrich Bonhoeffer a essayé d’éveiller ses contemporains à une contre-culture fondée sur le Sermon sur la montagne en dénonçant ce qu’il appelait la grâce à bon marché que l’on trouvait annoncée dans la plupart des Eglises… Ecoutez un peu le début du premier chapitre de ce livre intitulé : « La grâce qui coûte » :

« La grâce à bon marché est l'ennemie mortelle de notre Église. Actuellement, dans notre combat, il en va de la grâce qui coûte.

La grâce à bon marché, c'est la grâce considérée comme une marchandise à brader, le pardon au rabais, la consolation au rabais, le sacrement au rabais ; la grâce servant de réservoir intarissable à l'Église, dans lequel puisent des mains inconsidérées pour distribuer, sans hésitation ni limite ; la grâce sans aucun prix, sans aucun coût. Car on se dit qu'en raison de la nature même de la grâce, la facture est par avance et définitivement réglée. Sur la foi de cette facture acquittée, on peut tout avoir gratuitement…

La grâce à bon marché, c'est la grâce envisagée comme doctrine, principe, système. C'est le pardon des péchés considérés comme une vérité universelle. C'est l'amour de Dieu pris comme une idée chrétienne de Dieu. L'affirmer, c'est déjà posséder le pardon de ses péchés. L'Église de cette doctrine de la grâce est d'ores et déjà, par elle, participante de la grâce. Dans cette Église, le monde trouve, à bon marché, un voile pour couvrir ses péchés, dont il ne se repent pas et dont, a fortiori, il ne désire pas être libéré. De ce fait, la grâce à bon marché est la négation de la Parole vivante de Dieu, la négation de l'incarnation de la Parole de Dieu.

La grâce à bon marché, c’est la justification du péché et non du pécheur… » (1).

 

Une grâce qui coûte !

Dietrich Bonhoeffer a réussi à mettre sur pied une Eglise en Allemagne qui a dit non au nazisme. A toutes sortes de niveaux de la société, des chrétiens engagés ont essayé de résister à l’idéologie nazie et aux atrocités qu’elle a entrainées. Rapidement toutefois, cette Eglise a été persécutée par le régime. Dietrich Bonhoeffer a été arrêté en 1943. Il a été mis à mort le 9 avril 1945 dans le camp de concentration de Flossenbürg en Bavière, juste avant la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Dans un contexte extraordinairement difficile, Dietrich Bonhoeffer a proposé une méditation approfondie du Sermon sur la montagne pour montrer que la rencontre de Jésus-Christ est un moment de joie intense et de célébration, mais qu’elle est aussi un engagement dans le quotidien pour des relations harmonieuses entre hommes et femmes, pour la justice, pour l’humanisation de notre monde et le respect d’autrui.

 

Une contre-culture à développer

Dans notre contexte socio-politique, avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine, avec le conflit au Moyen-Orient, avec la montée en puissance des hommes forts et de leurs velléités totalitaires, méditer le Sermon sur la montagne, c’est proposer une contre-culture. C’est commencer une aventure de foi qui peut vous-nous mener à réaliser des choses surprenantes dans notre quotidien, à surprendre notre entourage parce que les valeurs dont nous témoignons sont à des années-lumière de celles qui ont cours autour de nous.

Alors, j’aimerais vous encourager à monter dans ce bateau de la méditation du Sermon sur la montagne. A plusieurs reprises, vous vous êtes peut-être dit que mettre en pratique ce discours de Jésus était impossible, parce que vous butiez sur vos limites et sur des impossibilités personnelles. Peut-être avez-vous été biberonné par cette perspective d’un Sermon sur la montagne qui serait là pour vous convaincre de péché et vous conduire à la repentance… Peut-être vous a-t-on dit que ce discours de Jésus, il n’y avait que lui pour l’accomplir pleinement et que cela suffisait qu’il l’accomplisse pour vous, à votre place…

 

Une source de revitalisation de notre foi

J’aimerais vous encourager à prendre au sérieux le Sermon sur la montagne, à vous dire qu’il peut changer votre vie, qu’il peut changer notre vie communautaire. Dans notre processus de revitalisation d’Eglise, réfléchir à notre vécu communautaire en lien avec le Sermon sur la montagne peut nous entraîner dans de belles aventures où nous allons pouvoir nous inspirer de Jésus et manifester ainsi sa grâce entre nous, parmi nous et au-delà de nous !

Alors êtes-vous prêts à vous lancer dans cette aventure à la suite du Christ ? « 1Quand Jésus vit les foules, il monta sur une montagne et s'assit. Ses disciples vinrent auprès de lui, 2il prit la parole et leur donna cet enseignement… » (Matthieu 5.1-2).

Amen.

 

Note

1 Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple – Le prix de la grâce, Genève, Labor et Fides, 2009, p. 23-24.

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