Immersion dans une ONG locale
Après cette «pause», Donata Schneider a très envie de repartir, et de revoir ce pays qu’elle a appris à aimer. Pour y «retourner mieux, plus consciente des enjeux». Souhaitant un lieu moins isolé, elle s’engage pour un service à Kinshasa, au sein de la Croix-Rouge congolaise. Avec les accords de paix, le gouvernement veut créer une armée intégrée, et toutes les factions rebelles doivent être démobilisées. Parmi eux, 30 000 «enfants associés aux forces armées». Des moins de 18 ans, combattants ou ayant accompagné les troupes.
Ces «enfants» sont pris en charge par différentes ONG. La Croix-Rouge est responsable de Kinshasa et de la province de l’Equateur. Les enfants sont hébergés, souvent plusieurs mois, avant qu’on puisse retrouver leurs familles. Dans ce pays à forte présence chrétienne, les Eglises jouent un rôle clé. «C’était un projet de réinsertion communautaire, et on a beaucoup travaillé avec les Eglises, explique Donata. C’est un facteur qui a été très favorable. D’ailleurs, plusieurs de mes collègues congolais étaient des chrétiens très engagés.»
Nos priorités occidentales sont souvent décalées
De cette double expérience, Donata Schneider rentre avec certaines questions. «Travailler une année au sein d’une organisation locale a changé ma perspective. J’étais la seule occidentale au sein d’une équipe congolaise, aux premières loges pour recueillir les impressions authentiques des gens du pays. J’ai découvert combien nos priorités d’Occidentaux sont souvent loin de la perspective et de la réalité locales...»
Une ONG internationale insiste beaucoup sur la «qualité» de l’action, des rapports écrits, des objectifs atteints et sur la rapidité de l’intervention. C’était moins une priorité pour la Croix-Rouge congolaise. Par contre, en tant qu’organisation locale présente depuis des décennies, cette dernière pouvait recueillir des impressions et des états des besoins plus authentiques de la part des populations. « En tant qu’Occidentaux, ajoute Donata, nous mettons parfois l’accent sur des choses qui ne sont pas essentielles aux yeux des gens du pays.» Cependant ce projet de la Croix-Rouge s’est avéré très orienté par la perspective des donateurs, parfois bien différente des attentes sur le terrain. On lance un projet parce qu’il y a de l’argent pour ça et pas tellement parce que c’est une vraie priorité pour le pays. «Le problème des «enfants-soldats» est bien réel. Mais quand on arrive dans un village où il y a cinq de ces enfants à soutenir, et qu’on découvre que tout le village est dans une situation au moins aussi précaire qu’eux, les consignes des donateurs sont décalées! Par ailleurs, ici, un jeune homme de 17 ans a parfois déjà deux femmes et trois enfants... pas exactement ce qu’on entend par “enfant”!»
Ce décalage se vérifie dans bien d’autres domaines. Par exemple dans celui de la promotion de la femme. Là, Donata se fait plus critique. «On risque de jouer aux apprentis-sorciers en voulant imposer trop vite et de l’extérieur des changements dans les rapports sociaux – ce que les sociologues anglo-saxons appellent « social-engineering » ». Des exemples? Quand on organise une distribution de nourriture, la répartition est bien plus équitable si on passe par les femmes. Mais il y a un revers de la médaille. En privant les hommes de leur rôle traditionnel de pourvoyeur des biens matériels, on induit une augmentation de la violence conjugale et des problèmes de dépression chez les hommes. « Ce qui semblait idéal du point de vue nutritionnel, commente Donata Schneider, s’avère socialement problématique. Il n’y a pas de réponses simples, mais il faut absolument reconnaître la complexité des situations et des conséquences possibles lorsqu’on intervient.»
Surtout, ne pas baisser les bras
Après ce séjour, Donata Schneider a de nouveau besoin de «se poser», de reprendre pied. Mais elle garde un coeur pour l’Afrique et pour le Congo. Elle continue d’ailleurs à entretenir des contacts avec des Congolais d’ici. «Cela aussi a pas mal bouleversé ma perspective. Ils reprochent aux campagnes de recherches de fonds de présenter une image dégradante de l’Afrique. Cela me touche de voir combien ils ont honte de cette image de l’Afrique qu’on se construit ici – même si les problèmes présentés sont une réalité.»
Mais ces questions ne doivent pas nous décourager, bien au contraire! «Certes, nous avons fait beaucoup d’erreurs avec les meilleures intentions du monde. Cela m’a rendue humble. Mais il ne faudrait surtout pas que cela nous détourne de l’action et de la solidarité nécessaires. Seulement, il faut rester à l’écoute des gens, respectueux de la culture, à la recherche constante de la volonté de Dieu dans chaque situation, sans nous laisser diriger par nos sentiments de pitié et de culpabilité.»
Silvain Dupertuis
Note:
1 Le réseau NOHA est un réseau universitaire de programme de masters dans l’humanitaire, offrant une formation interdisciplinaire dans 7 universités européennes : Louvain (Belgique), Aix-Marseille (France), Bochum (Allemagne), Dublin (Irlande), Bilbao (Espagne), Uppsala (Suède), Groningen (Pays-Bas). Pour plus d’infos : http://www.nohanet.org.