« Cukup » – à prononcer tchou-koup – signifie « assez » en indonésien. C’est ainsi qu’une dizaine de jeunes Bernois ont décidé de nommer leur association. « Assez », car il est possible et souhaitable, estiment-ils, de vivre avec le nécessaire et de partager la somme restante avec des personnes dans le besoin, en Suisse ou à l’étranger. « Je n’ai pas trouvé d’explication convaincante pour justifier le fait que je dispose de suffisamment de moyens pour vivre, alors que d’autres manquent de tout. » C’est une des raisons qui a conduit Dominic Roser, l’un des fondateurs de « Cukup », à mettre ce projet sur pied. Economiste de formation, Dominic s’est vu présenter au cours de ses études de nombreuses théories expliquant cet état de fait. Aucune, excepté celle ouverte sur le partage, n’a pourtant trouvé grâce à ses yeux. C’est sur cette dernière notion, peu à la mode et largement supplantée aujourd’hui par la croissance, que repose le projet « Cukup ».
Des projets variés
Le concept de cette association est simple : les participants élaborent un « budget de nécessité », un budget qui leur permet de vivre simplement. Bien entendu, le « surplus » - la différence entre le budget et le revenu - diffère considérablement selon la profession et le statut socioprofessionnel de la personne. Mais, à l’image de la parabole de la veuve et de la drachme perdue, la taille de la somme investie est moins importante que la démarche elle-même.
Chacun définit ensuite les projets qu’il souhaite soutenir. Ces derniers sont très variés et concernent aussi bien l’écologie, l’aide aux sans abris, la lutte contre la traite des femmes que l’éducation des enfants. A noter que si les organisations soutenues sont souvent d’obédience chrétienne, le but premier de « Cukup » n’est pas de soutenir directement des Eglises, mais de rester dans le registre de la lutte contre la pauvreté.
Quid du nécessaire et du superflu ?
Distinguer le superflu du nécessaire n’est pas évident. Où classer les leçons de pianos ? Les loisirs doivent-ils passer aux oubliettes ? La question reste ouverte et il revient à chacun d’y apporter sa réponse. L’objectif de l’association n’est pas d’apporter des solutions clés en main, mais de fournir aux participants des outils qui leur permettent de discerner leur propre route sur laquelle ils se sentiront en accord avec eux-mêmes, avec Dieu et avec les autres. Les réunions mensuelles sont d’ailleurs l’occasion pour eux de parler de leurs avancées, de leurs doutes et des difficultés rencontrées, mais aussi de partager un moment convivial autour d’un repas, de louer et de prier ensemble.
Passer d’une réflexion individuelle à une démarche collective reste néanmoins difficile et cela même pour des personnes désireuses de s’engager concrètement. « Parler publiquement de son budget, de ses dépenses ou de ses envies, remarque Dominic, peut susciter certains sentiments de gêne et de culpabilité. Une chose est cependant sûre, poursuit-il, il faut à tout prix éviter de tomber dans une pensée légaliste ou de type martyre. Quelle que soit la taille de la réduction budgétaire réalisée, il importe que celle-ci se fasse dans la joie. »
Une confiance en Dieu renouvelée
Préserver la joie est d’autant plus important que l’un des objectifs de l’association est d’améliorer la qualité de vie de la personne qui s’engage dans cette démarche. « Vivre avec moins pour vivre mieux », n’est-ce pas là une injonction paradoxale ? « Absolument pas ! », répond Dominic Roser, qui rappelle que si la richesse ne doit pas être diabolisée, il faut aussi prendre conscience qu’elle peut agir comme un écran entre soi et les autres, mais aussi entre soi et Dieu. Rechercher la simplicité, c’est avant tout se placer dans une étroite relation de dépendance à Dieu et indirectement aux autres. Jésus n’a-t-il pas exhorté ses disciples, lors de leur envoi, à n’emporter qu’un seul manteau? Quant au « reste », celui-ci devait être pourvu par leurs hôtes. « Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures ; ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni souliers, ni bâton ; car l’ouvrier mérite sa nourriture. Dans quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous s’il s’y trouve quelque homme digne de vous recevoir, et demeurez chez lui jusqu’à ce que vous partiez » (Matthieu 10. 9-11). Confiance dans la bonté de Dieu, activation du principe de solidarité humaine, simplicité de vie : cette triple recommandation de Jésus à ses disciples fait figure de point de repère pour les membres de « Cukup », d’étoile grâce à laquelle ils s’efforcent d’orienter leurs pas.
Béatrice Steiner