Parler du changement climatique, c’est susciter la polémique, que l’on examine l’aspect scientifique, les incidences économiques et politiques ou, dans notre cas, les théologies du changement climatique. J’ai délibérément intitulé ce chapitre « Vers une théologie du changement climatique » : je veux montrer qu’il s’agit d’un processus plus que d’un « fait accompli », d’un voyage plus que d’une destination, et je reconnais qu’il reste encore beaucoup de questions sans réponses. Peut-être que le titre pourrait être « Vers une approche théologique du changement climatique » pour souligner le fait qu’il y a différentes approches et différentes questions théologiques, suivant la perspective de celui qui les aborde. Les habitants des pays riches et occidentaux ont, bien involontairement, provoqué par leur comportement un changement climatique d’origine humaine. Ils font face à des questions différentes de celles des habitants des pays du Sud, qui souffrent des conséquences du chaos climatique dans leur vulnérabilité et leur pauvreté.
Je commencerai par cinq questions qui, d’après mon expérience, sont souvent posées lorsque, dans le milieu chrétien, on aborde la question du changement climatique (1). Nous verrons ensuite cinq principes essentiels qui peuvent étayer une réflexion biblique, puis nous proposerons quelques implications quant au comportement chrétien.
- Est-il certain que la Bible ne dise rien du changement climatique ?
- N'est-il pas évident que les hommes ne peuvent pas changer le climat à l'échelle mondiale ?
- Le propos de l'Évangile n'est-il pas de « sauver des âmes » ?
- La terre n'est-elle pas de toute façon condamnée à la destruction ?
- S'attaquer au problème du changement climatique, n'est-ce pas le travail de Dieu et non le nôtre ?
1. Est-il certain que la Bible ne dise rien du changement climatique ?
Il est bien sûr évident que la Bible ne dit rien d’explicite sur un changement climatique dû à l’activité humaine ; cependant il n’y a aucune raison de penser que la Bible n’a rien à dire de pertinent sur le sujet. Dans notre monde technologique, il y a de nombreux sujets dont la Bible ne parle pas directement, et pourtant des principes bibliques ont été fréquemment mis à profit pour éclairer de tels sujets. Par exemple, la Bible ne traite pas de la question de l’avortement, ni de celle de l’euthanasie, mais peu de chrétiens diraient qu’elle n’a rien de pertinent à dire dans ces domaines. Les doctrines bibliques qui affirment que la vie humaine est sacrée, et que sa valeur dépend, non pas d’une capacité physique ou mentale, mais d’un acte créateur de Dieu, sont utilisées à bon escient pour élaborer une réflexion éthique sur ces sujets. De nombreux chrétiens les considèrent comme fondamentales pour développer un engagement en politique. Les chrétiens ont aussi mis à contribution la Bible pour d’autres problèmes contemporains, parmi lesquels l’apartheid, le SIDA et l’énergie nucléaire, quelquefois avec des conclusions différentes, mais la Bible et ses valeurs ont été, à juste titre, versées au débat, avec des conséquences inimaginables pour ses auteurs ! Il en va de même pour le changement climatique. Prétendre qu’on peut discuter du changement climatique sans d’abord se pencher sur la Bible, c’est nier l’autorité et la portée de la Parole de Dieu.
2. N’est-il pas évident que les hommes ne peuvent pas changer le climat à l’échelle mondiale ?
Quelques chrétiens ont avancé qu’il était orgueilleux de croire que l’être humain pouvait influer sur le climat de notre planète, puisqu’il est sous le contrôle de Dieu. D’autres ont mis en cause la science qui fait un lien entre les émissions de carburants fossiles et le changement climatique mondial. Cette dernière question concerne la science, et je laisse à d’autres le soin de la traiter ; mais pour ce qui est de la façon dont l’être humain interagit avec la situation météorologique et le climat, la Bible apporte des réponses. L’Ancien Testament considère Dieu, l’humanité et le reste de la création comme étroitement liés, si bien que le péché des hommes affecte non seulement notre relation avec Dieu, mais aussi avec les autres créatures, avec la terre et son système, climat inclus. C’est ainsi que le péché d’Adam et Ève n’a pas comme seule conséquence leur séparation d’avec Dieu : la terre se met à produire des épines, et l’agriculture devient plus difficile (Genèse 3.17-19). De même, la Bible parle de la façon dont la terre « souffre » (Jérémie 12.14) et « pleure » (Osée 4.1-3) à cause du péché du peuple de Dieu ; la création « vomit » les habitants d’Israël l’infidèle (Lévitique 18.25-28), tandis qu’elle attend la rédemption. Bibliquement, le comportement des hommes affecte la terre entière, ce qui inclut le climat.
En fait, ce n’est pas l’Écriture, mais l’idée propre à la philosophie des Lumières qui sépare l’être humain de la nature et nous fait penser que nous ne pouvons pas affecter le climat. Comme le fait remarquer Michael Northcott dans Une théologie politique du changement climatique (2), ce sont un Français et un Anglais – René Descartes et Francis Bacon – qui ont créé les fondements intellectuels d’une approche agnostique, décrivant la nature comme une machine inanimée dont Dieu et l’humanité sont séparés (3). Ceux qui nient que le comportement humain puisse affecter le climat ont besoin de passer plus de temps à lire la Bible.
3. Le propos de l’Évangile n’est-il pas de « sauver des âmes » ?
Pour certains, le changement climatique est simplement une dernière diversion pour nous éloigner de notre tâche essentielle, qui est d’évangéliser. Nous devrions « sauver des âmes » et non pas comptabiliser les émissions de carbone, sauver des gens plutôt que de nous inquiéter de la terre. En réalité, cette façon de voir doit davantage à la philosophie païenne grecque qu’à la Bible, et ce sont Platon et Aristote qui ont avancé l’idée que les questions spirituelles étaient infiniment supérieures aux questions matérielles. À l’inverse, la vision hébraïque qui sous-tend la Bible refuse de séparer les aspects spirituel et matériel de la réalité. Dieu a fait un monde matériel « très bon », et il continue à s’en soucier et à le soutenir ; il a envoyé son Fils comme un être de chair et l’a ressuscité physiquement en tant que premier fruit d’une nouvelle création qui est totalement matérielle. Le mot « Évangile » signifie bien sûr « bonne nouvelle », et c’est la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu que Jésus a proclamée et démontrée. Quand on parle du Royaume de Dieu, il s’agit de la Seigneurie de Jésus-Christ sur l’âme et la vie de chacun bien sûr, mais aussi sur tout ce qui constitue la société des hommes (la politique, l’économie, la pauvreté, la santé) et sur la totalité de la création de Dieu. À la fin de l’Évangile de Marc, Jésus envoie en mission des disciples dans le monde « proclamer la bonne nouvelle (l’Évangile) à toute la création » (Marc 16.15 NBS). Nier que l’Évangile soit concerné par le changement climatique revient tout simplement à nier la Seigneurie de Jésus.
4. La terre n’est-elle pas de toute façon condamnée à la destruction ?
La conception ordinaire des chrétiens selon laquelle notre terre sera totalement détruite quand Jésus reviendra pour nous emmener au ciel, repose sur des fondements bibliques très fragiles. Historiquement, ce n’est qu’après la Révolution industrielle, alors que les hommes exploitaient la terre comme jamais auparavant, que l’idée de la destruction totale de la terre s’est répandue. Cette idée repose sur de mauvaises traductions de quelques textes bibliques très peu nombreux et difficiles à comprendre.
Par exemple, quand Jésus dit : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Matthieu 24.35), l’accent est mis sur la crédibilité des paroles de Jésus, et non pas sur le caractère temporaire de la terre (ni, plus inquiétant, du ciel !). Jésus utilise une figure de style habituelle dans les Psaumes (par exemple au Psaume 102.25-27), où les choses les plus solides et les plus durables que l’on peut imaginer (la terre et les cieux) sont comparées au pouvoir de Dieu et à sa Parole. Tout aussi souvent, l’image est inversée ; c’est ainsi qu’on peut lire : « Le monde est ferme, il ne vacille pas » (Psaume 93.1), « Le Seigneur est roi. Le monde est ferme, il ne vacille pas » (Psaume 96.10), et « Tu as affermi la terre, et elle subsiste » (Psaume 119.89-90). En général, dans les Psaumes et plus largement dans la Bible, l’accent est mis « sur la permanence et la stabilité, plutôt que sur l’instabilité ou la fragilité (cosmiques) » (4).
Le passage le plus cité qui semble prédire la destruction de la terre est 2 Pierre 3.10-13. Un examen approfondi de ce texte révèle toutefois une signification très différente. Premièrement, le passage établit un parallèle entre la destruction de la terre par l’eau à l’époque de Noé (versets 5-7) et la destruction par le feu au retour de Jésus ; cela suggère que ce qui est envisagé est un jugement purificateur plutôt qu’une destruction totale.
Deuxièmement, la mention du feu aurait rappelé aux auditeurs juifs le feu du fondeur (Malachie 3.2-3), et beaucoup de traductions modernes suivent les anciens manuscrits qui utilisent le mot grec eurethesetai qui signifie « mis à nu » ou « révélé » dans le verset 10, plutôt que « consumé par le feu ». Et troisièmement, les éléments (stoicheia) qui sont détruits par le feu ne sont probablement pas les éléments physiques ni chimiques, mais les forces spirituelles élémentaires que la mort du Christ a vaincues. En fin de compte, le passage traite clairement d’un jugement purificateur plutôt que d’une complète destruction.
Un autre point important à considérer se rapporte au terme utilisé pour parler de la « nouvelle » création, de la « nouvelle » terre, des « nouveaux » cieux, de la « nouvelle » Jérusalem. Le grec a deux mots pour dire « nouveau » : neos qui signifie entièrement neuf, et kainos qui suggère le renouvellement, la rédemption et la restauration. Le Nouveau Testament utilise toujours kainos quand il s’agit de la nouvelle création, mettant ainsi l’accent sur le fait que l’acte final de Dieu à travers Jésus consiste non à détruire la création – qu’il a déclarée bonne – et à créer des choses nouvelles, mais à « renouveler » toutes choses (Apocalypse 21.5). En d’autres termes : à purifier, renouveler et restaurer la création, avec Christ en son centre.
Ce que la Bible met en lumière, ce n’est pas la destruction de la terre, mais un jugement purificateur pour faire disparaître tous les effets du péché et de la chute, avant que le Christ ne soit à nouveau Seigneur, et que toute chose dans le ciel et sur la terre ne soit encore une fois sous son autorité (Éphésiens 1.10). L’apôtre Paul dit son grand espoir qu’un jour « cette même création sera libérée de l’esclavage du périssable pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu » (Romains 8.21).
5. S’attaquer au problème du changement climatique, n’est-ce pas le travail de Dieu et non le nôtre ?
Cette dernière question est intéressante, car elle sous-entend que Dieu peut désirer intervenir et s’attaquer au changement climatique, tandis que notre objectif prioritaire serait de construire l’Église et de laisser le problème du climat à Dieu. Le meilleur moyen de répondre, c’est de faire une comparaison avec ce qui est arrivé à l’époque de Noé (Genèse 6 à 9). Comme aujourd’hui, cette époque a subi un changement climatique immense et destructeur. À la fois la miséricorde de Dieu et son jugement ont été mis en oeuvre. Les plans de Dieu étaient totalement divins, mais il a choisi une intervention humaine pour les accomplir. Dieu aurait pu fournir un bateau sans aucune aide de la part de Noé, mais, comme ailleurs dans l’Écriture, il a choisi d’appeler un être humain pour qu’il soit son agent. La vision de Dieu était plus large que ce que Noé n’a probablement jamais compris. Il ne s’agissait pas simplement de sauver quelques animaux, mais d’instaurer une alliance qui incluait toute la création. Dans le chapitre 9 de la Genèse, nous lisons encore et encore que l’alliance salvatrice de Dieu concerne non seulement les hommes (« vous, et vos descendants »), mais aussi « toute créature vivant sur la terre » et même « la terre elle-même » (verset 13). Les desseins salvateurs de Dieu sont toujours bien plus larges que ce que notre imagination limitée peut concevoir, et il nous appelle constamment à saisir cette vision plus étendue. C’est arrivé quand le peuple d’Israël a compris petit à petit qu’il était destiné à être « la lumière des nations » (Ésaïe 46.6) et au moment où l’Église primitive a découvert qu’elle était appelée à témoigner « jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1.8). À mon sens, c’est ce qui se passe aujourd’hui : l’Église universelle découvre que se soucier de la création fait partie de l’appel et que « la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Romains 8.19).
Principes théologiques relatifs au changement climatique
Après avoir étudié quelques-unes des questions les plus souvent posées par les chrétiens sur un lien entre Dieu et le climat, nous allons nous pencher sur quelques principes théologiques fondamentaux qui devraient orienter notre façon de penser dans ce domaine. Tous sont au cœur des doctrines chrétiennes et de la foi. Mon désir est de montrer comment ces principes s’appliquent au contexte actuel, et comment en tirer des conséquences qui devraient guider notre réponse.
A. Une théologie de la création
La Bible ne commence pas par un traité sur la nature de Dieu, mais par une histoire d’amour racontant comment Dieu a créé avec abondance et trouvé du plaisir dans sa création. De façon répétitive, nous entendons le refrain « et c’était bon », jusqu’à ce qu’il soit dit – une fois que l’Homme a complété cette œuvre : « Dieu vit alors tout ce qu’il avait fait : c’était très bon » (Genèse 1.31). Il est intéressant de noter que l’expression « très bon » s’applique à « tout » et pas simplement à l’humanité : il semble que ce soit la biodiversité qui réjouisse Dieu à ce point. La tragédie du péché détruit l’harmonie à l’intérieur de la création de Dieu, mais ne supprime pas le souci bienveillant de Dieu pour sa création. À maintes reprises, les Psaumes se servent de la majesté, de l’ordre, de la puissance et de la beauté de la création comme d’une invitation à la louange. Dieu continue à entretenir et à renouveler la terre et ses créatures. Il prend même plaisir à ces créatures mystérieuses et dangereuses pour les hommes (Job 38.41) et il donne souffle, nourriture et habitat à toutes les créatures vivantes (Psaume 104).
D’après les Psaumes, il est clair aussi que la terre n’appartient pas aux hommes pour qu’ils en usent et abusent sans restriction. « La terre et ses richesses appartiennent à l’Éternel », proclame le Psaume 24.1. Même les habitations et les biens des hommes appartiennent en fin de compte à Dieu (Psaume 50.1), et la terre promise d’Israël est un prêt temporaire plutôt qu’une possession du peuple (Lévitique 25.23). À propos de la façon dont l’Homme doit traiter la terre et ses ressources, les implications suggérées par ces passages sont très profondes. Bien que la Bible n’utilise jamais le langage de la gestion pour décrire comment nous devons prendre soin de la création, c’est néanmoins une image appropriée quand elle est bien comprise. Dieu est le propriétaire de la création tout entière, et notre rôle ne peut jamais être supérieur à celui de gardiens, qui régissent avec soin les biens du propriétaire. Il s’agit de faire fructifier ces derniers et de les embellir pour son plaisir.
Les implications morales d’une théologie biblique de la création doivent inclure en même temps émerveillement et retenue. Il est juste que nous soyons émus jusqu’à l’émerveillement devant la beauté, l’étendue, la complexité et la délicatesse de la nature, et (comme le fait Paul en Romains 1.12-20) que nous voyions le caractère de Dieu dans la création. Nous vivons maintenant dans un monde très appauvri ; nous sommes entourés de paysages soumis à la déforestation, de coraux décolorés, d’océans remplis de plastique, et nous respirons un air qui contient plus de dioxine de carbone qu’aucune autre génération avant nous. Il nous faut donc reconnaître devant Dieu comment nous lui avons répondu et comment nous avons exercé notre responsabilité. Comme nous connaissons les dommages que l’utilisation sans limite de l’énergie fossile cause à la création de Dieu, nous devrions être amenés à nous repentir et à déplorer qu’il reste aujourd’hui bien peu de ce que Dieu a déclaré « très bon ». Nous avons besoin de faire preuve d’une plus grande retenue dans notre façon d’user des ressources du sol, en nous assurant qu’elles répondent à des besoins et ne servent pas simplement à nourrir notre cupidité. Pour prendre part très pratiquement à notre tâche de gestionnaires, il faut agir de toute urgence pour veiller à ce que la plus grande partie des énergies fossiles encore disponibles reste enterrée dans le sol, et à ce que soit utilisée une énergie alternative non polluante. C’est la moindre des choses que nous puissions faire pour affirmer notre foi en un Dieu qui a créé toutes choses très bonnes.
B. Une anthropologie théologique
Il est vital que nous connaissions notre place dans la création de Dieu si nous voulons vivre bien et de façon convenable. Souvent, on cite Genèse 1.8 pour suggérer que les êtres humains sont totalement uniques et distincts du reste de la création. Être fait « à l’image de Dieu » est certainement un statut privilégié, mais c’est également une grande responsabilité, et, bien plus, c’est seulement la moitié de l’histoire en termes d’anthropologie théologique. En Genèse 2.7, nous lisons que Dieu a créé le premier homme « avec de la poussière du sol ». En fait, le nom « Adam » se rattache à adamah, le terme hébreu pour désigner la terre ou le sol. Ainsi, nous faisons complètement partie de la création. Nous sommes faits de la même matière que toutes les autres créatures, et, comme elles, par la parole et le souffle de Dieu. Dans le premier chapitre de la Genèse, l’humanité est créée le même jour que les autres animaux terrestres, comme pour mettre l’accent sur notre parenté. On peut en conclure que, quelle que soit la signification de l’expression « image de Dieu », elle ne veut pas dire que nous sommes séparés de la création. C’est plutôt un terme fonctionnel, une description de poste. Dans les anciens temps, un roi plaçait son image quelque part pour rappeler à son peuple son pouvoir et son autorité. Notre rôle à l’intérieur de la création est donc de refléter le pouvoir de Dieu et son caractère envers « les bêtes dans les champs, les oiseaux dans les airs et les poissons dans la mer ». Nous ne sommes pas placés au-dessus, mais choisis parmi les créatures de Dieu pour dominer. Les mots que Dieu utilise pour envoyer Adam dans le jardin (Genèse 2.15) peuvent être compris comme un commentaire sur ce que signifie réfléchir l’image de Dieu. Nous sommes appelés à « cultiver et garder », à « servir et préserver » le reste de la création. La « domination » qui est entre nos mains est celle de rois serviteurs, et non pas de dictateurs arbitraires.
Aujourd’hui, un grand débat traverse le monde scientifique sur la place de l’Homme dans la nature. Certains ont reproché au christianisme d’avoir une vision du monde « anthropocentrique », qui a permis l’exploitation de la nature (5), mais, comme nous l’avons vu, c’est une mauvaise compréhension qui vient d’une mauvaise interprétation de Genèse 1.28. Sans aucun doute notre monde aujourd’hui est dévasté par des conceptions anthropocentriques qui traitent la nature simplement comme un objet inanimé. De telles conceptions, comme il a été dit plus haut, doivent plus à Descartes, à Bacon et à la philosophie hellénistique qu’à la Bible. D’autres ont proposé une vision du monde « écocentrique », dans laquelle l’Homme est seulement une créature parmi beaucoup d’autres, et n’a pas de droits ni de privilèges plus importants. Cette vision, bien qu’idéaliste, est aussi irréaliste : il est impossible de la mettre en pratique. Si toutes les espèces sont égales, nous n’avons aucune raison ni aucun droit d’essayer de gérer la nature. Nous n’avons aucune base non plus sur laquelle nous appuyer pour déterminer quelles espèces sont plus importantes que d’autres quand elles sont en conflit. Le virus Ébola a-t-il les mêmes droits qu’un enfant ? La compréhension biblique de l’humanité dans la nature n’est ni anthropocentrique, ni écocentrique. Toutes choses, les hommes comme les autres créatures, ont été créées pour la gloire de Dieu. L’Homme a une place spéciale, car il doit répondre à Dieu d’une mission : il a une responsabilité envers le reste de la création, un rôle d’humble leader et de serviteur. Face au changement climatique, à la disparition de la biodiversité et aux nombreux défis auxquels nous devons répondre, nous avons besoin de nous rappeler constamment que nous faisons partie de la création, et que nous sommes appelés à refléter l’image de Dieu, en exerçant avec douceur un pouvoir juste qui permette à toute la création de s’épanouir.
C. Une théologie de la justice
Le changement climatique nous concerne pour plusieurs raisons, ne serait-ce que parce qu’il est largement causé par les pays riches, et qu’il affecte de manière disproportionnée les peuples les plus pauvres. C’est donc une question d’équité, un sujet souvent abordé dans la Bible. Elaine Storkey, philosophe et écrivain britannique, a relevé : « Inévitablement les pauvres paient les pots cassés. Les pauvres sont là quand frappe l’ouragan, quand vient la tornade, quand se manifestent de graves perturbations météorologiques. Quatre-vingt-dix-huit pour cent de ceux qui sont tués ou affectés par les désastres naturels viennent de pays en voie de développement » (6). Pour Nazmul Chowdury, un expert en développement au Bangladesh, « ce n’est pas la peine d’écrire l’histoire de la pauvreté. Le changement climatique va rendre la pauvreté permanente » (7).
Dans Michée 6.8, nous lisons que ce que Dieu demande, c’est « de pratiquer la justice, d’aimer la miséricorde et de marcher humblement » avec lui. Quand nous restons indifférents au changement climatique et que nous ignorons l’appel à changer notre propre façon de vivre, de consommer et de voyager, et l’invitation à exercer une pression sur les entreprises et les gouvernements pour les amener à changer leurs priorités, nous manquons à notre devoir de pratiquer la justice et d’aimer la miséricorde. Jésus a résumé toute la loi en nous appelant à aimer Dieu et à aimer notre prochain (Luc 10.27), mais si nous continuons à avoir une façon de vivre qui ne prenne pas en compte le changement climatique, alors nous ne remplissons pas notre devoir d’aimer notre prochain et Dieu qui l’a créé.
Dans la Bible, l’histoire de Joseph peut nous aider à réfléchir à notre réaction face au changement climatique. Joseph était devenu gouverneur d’Égypte. Dieu l’avait averti par des songes qu’une époque de pénurie allait arriver. Qu’a-t-il fait ? Premièrement, il s’est tourné vers Dieu, réalisant qu’il s’agissait d’un problème qu’il ne pourrait pas résoudre tout seul. Il a dit : « Je ne peux pas faire cela, mais Dieu me donnera la réponse » (Genèse 41.16). Deuxièmement, il a dirigé les Égyptiens, pour que des réserves de nourriture soient faites en suffisance. Il a entreposé du blé et limité sa consommation quand les récoltes étaient abondantes, au lieu de laisser consommer à l’excès. Son principe de « mettre en réserve de la nourriture » (41.36) est important pour tous ceux qui vivent dans des sociétés dominées par une consommation à court terme. Enfin, quand les temps de famine sont arrivés, il a fait preuve de générosité et d’esprit de justice envers ceux qui vivaient dans des contrées proches ou lointaines : « De tous les pays on venait en Égypte acheter du blé » (41.57). Son action était locale, mais sa manière de voir et sa compassion dépassaient les frontières. Aujourd’hui, alors que des réfugiés climatiques cherchent, de plus en plus nombreux, à venir en Europe, il nous faut les accueillir comme l’a fait Joseph pour ceux qui venaient chercher de l’aide en Égypte.
D. Une théologie de la mission
En octobre 2015, juste avant les discussions sur le climat de la COP21, l’Association nationale des évangéliques des États-Unis a publié une déclaration qui approuve les principes de protection de la création, tels qu’ils ont été présentés dans L’Engagement du Cap du Mouvement de Lausanne. Ils comprennent une reconnaissance et un encouragement en faveur de « l’appel missionnel des chrétiens à s’engager (1) dans l’utilisation raisonnée des ressources de la terre pour répondre aux besoins des hommes et assurer leur bien-être et (2) dans la sauvegarde et la restauration des habitats et des espèces de la terre, par des actions de protection et un plaidoyer. Ces deux types d’engagement visent le même but, car tous deux servent le même Créateur, Pourvoyeur et Rédempteur » (8).
Le fait de comprendre que « des actions de protection et un plaidoyer pour la création font partie de la mission chrétienne » est nouveau pour beaucoup d’évangéliques. Cela résulte d’un examen attentif des évidences bibliques. L’Engagement du Cap du Mouvement de Lausanne déclare plus loin que la mission intégrale concerne les individus, la société et la création. Tous trois sont « brisés, et souffrent à cause du péché ; tous trois sont inclus dans l’amour et la mission rédempteurs de Dieu. Tous trois doivent faire partie de la mission complète du peuple de Dieu » (9).
Comme le reconnaissent à la fois l’Association nationale des évangéliques aux États-Unis et le Mouvement de Lausanne, la mission devrait inclure tout ce pour quoi Dieu envoie son peuple dans le monde. Il faut toujours garder une place centrale pour l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus, et son objectif n’est rien moins que le Royaume de Dieu, le shalom de Dieu à la fois sur la société humaine et sur la création. Comme nous l’avons vu plus haut, réduire la mission à des activités purement spirituelles est loin d’être biblique et limite la Seigneurie de Jésus-Christ. De plus en plus d’évangéliques trouvent que les « Cinq marques de la mission » forgées par la Communion anglicane sont bien pratiques pour aider à formuler cette façon de comprendre la mission (10). En résumé, les cinq marques recouvrent l’évangélisation, la vie de disciple, la charité, la justice et la sauvegarde de la création. Ainsi elles incluent la dimension personnelle (l’appel évangélique à se repentir, à croire et à mener une vie de disciple), la dimension sociale (charité pour les nécessiteux et justice pour les opprimés) et la dimension écologique (souci de la création).
Pour ce qui est du changement climatique, cette compréhension complète et globale de la mission appelle le peuple de Dieu à l’action : passer sous silence un problème qui suscite chez beaucoup de gens une remise en question de la pertinence du christianisme porte préjudice à notre évangélisation. Être un disciple de Jésus, qui a apaisé la tempête sur la mer de Galilée, implique de le laisser être le maître de notre attitude envers notre mode de vie, l’utilisation des ressources et la politique ; charité et justice nous obligent à agir au nom des pauvres, des déplacés, des réfugiés climatiques ; et bien sûr, protéger la création signifie chercher à guérir les blessures que nous avons infligées à la création de Dieu. Pour notre génération, le changement climatique est un des problèmes que la mission doit traiter, et, si nous désirons glorifier Dieu et voir l’Église croître, il nous faut nous y attaquer maintenant.
E. Une théologie de l’espérance
Aujourd’hui, beaucoup de personnes engagées en faveur de l’écologie sont désespérées. Tous les nouveaux rapports scientifiques indiquent que la situation empire de plus en plus rapidement. Pour ce qui est de la possibilité de s’attaquer au changement climatique, il semble que tous les accords politiques s’enlisent, victimes de compromissions ou d’immobilisme. Néanmoins, pour nous chrétiens, c’est une occasion de réagir, sans arrogance ni faiblesse, mais avec un amour empreint d’humilité et par une action accomplie dans la joie. La raison pour laquelle les chrétiens peuvent garder espoir est enracinée non pas dans une action humaine, puisque l’humanité reste profondément défaillante, mais dans l’engagement de Dieu envers la création, et dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Dans un commentaire du passage de Romains 8.22, où l’apôtre Paul compare la création à une femme enceinte qui souffre des douleurs de l’enfantement, dans l’attente d’une nouvelle création, le théologien N.T. Wright affirme succinctement : « Dieu rachètera l’univers tout entier ; la résurrection de Jésus est le commencement de cette nouvelle vie, l’herbe fraîche qui pousse à travers le béton de la décomposition et de la corruption du vieux monde » (11).
Un autre texte biblique important décrit l’espérance que nous avons en Christ pour la création. Il s’agit de Colossiens 1.15-20. Ici, Christ est considéré comme l’origine de la création (« Par lui, toutes choses ont été créées », verset 16), comme le soutien de celle-ci (« en lui, toutes choses subsistent », verset 17) et comme le sauveur de tout l’ordre de la création, car il est celui en qui il plaît à Dieu de « réconcilier tout avec lui-même, tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang versé sur la croix ».
Aujourd’hui, tandis que les dommages que nous avons infligés à la terre de Dieu qui est bonne deviennent chaque jour plus désastreux, nous sommes cernés par le désespoir. Dans cette situation, les Écritures et l’action du Christ parlent d’espérance. Il y a de l’espoir tant pour l’humanité pécheresse, que pour notre création endommagée. Jésus reviendra en tant que Juge et Roi, pour enlever tout ce qui aura pollué et abîmé sa création, et pour être à nouveau couronné Roi, quand tout genou dans toute la création se courbera devant lui (Philippiens 2.10-11). Alors « la terre sera remplie de la connaissance de la gloire du Seigneur, comme les eaux recouvrent les fonds des mers » (Habacuc 2.14), tandis que la création accueillera son Roi.
Cette espérance ne devrait pas nous conduire à un excès de confiance, mais nous appeler à une action accomplie avec joie. Nous devrions ressembler à ces jeunes filles dont parle Jésus (Matthieu 25.1-13) et qui se préparent activement pour le retour de l’Époux, cherchant à faire de la terre un présent convenable et magnifique pour son Seigneur. Ainsi, pour les chrétiens qui suivent l’enseignement biblique, s’impliquer dans la lutte contre le changement climatique, c’est adorer le Seigneur, agir en tant que disciples et répondre à son ordre de mission. Nous le faisons pour la gloire de celui par qui et pour qui toutes choses ont été créées.
Dave Bookless
Cette contribution est tirée de Émilie Hobbs, Jean-François Mouhot et Chris Walley (éd.), Évangile et changement climatique, Dossier Vivre 40, Saint-Prex, Je Sème, 2017, p. 15 à 31. Un Dossier Vivre à commander ici.
Notes
1 Pour aller plus loin dans l’étude des objections à une réflexion écologique chrétienne, voir du même auteur : Dieu, l’écologie et moi, Dossier Vivre no 37, Saint-Prex, A Rocha, Je Sème, 2014, 208 p.
2 Michael S. Northcott, A Political Theology of Climate Change, Grand Rapids, Eerdmans, 2013.
3 « Être moderne, alors, c’est nier que la situation météorologique soit politique, ou que la politique influence le climat » (Michael S. Northcott, A Political Theology of Climate Change, p. 46).
4 Paul Williamson, « Destruction or Transformation ? Earth’s Future in Biblical Perspective », dans J. Moo et R. Routledge (éd.), As Long as the Earth Endures : The Bible, Creation and the Environment, Nottingham, Apollos, 2014, p. 135.
5 Voir particulièrement Lynn White Jr, « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis », Science 155 (3767), 1967, p. 1203-07.
6 http://www.ctbiarchive.org/pdf_view.php?id=338
7 http://www.christianaid.org.uk/Images/A-fairer-brighter-future-June-2014. pdf
8 http://nae.net/nae-issues-call-to-action-on-creation-care
9 Voir L’Engagement du Cap. Une confession de foi et un appel à l’action, Marpent, BLF Europe, 2011, p. 34. Voir aussi : https://www.lausanne.org/fr/mediatheque/lengagement-du-cap/engagement-du-cap#p1-7.
10 http://www.anglicancommunion.org/identity/marks-of-mission.aspx
11 N. T. Wright, Surprised by Hope, Londres, SPCK, 2007, p. 134.