«Le Réveil de Genève»: un ouvrage collectif qui fera date

mardi 26 novembre 2024

Il est sorti en anglais en 2023. La version française était attendue… « Le Réveil de Genève. Perspectives internationales » vient de paraître. Cet ouvrage collectif édité par Jean Decorvet inscrit le Réveil de Genève du début du XIXe siècle dans le tissu relationnel local et international qui l’a accompagné dès ses origines et tout au long de son développement. Un incontournable accessible aux non-initiés et riche en découvertes pour ceux qui connaissent l’histoire de ce mouvement qui a profondément modifié le paysage du protestantisme francophone.

« Ce livre nous offre un festin ! » Voilà en substance ce que le fameux historien du mouvement évangélique, l’Etasunien Mark A. Noll, déclare dans la préface du livre collectif : « Le Réveil de Genève. Perspectives internationales » (1). Il y a là festin tout d’abord pour celui qui ne connaît pas les origines du mouvement évangélique en Suisse romande. Cette publication de plusieurs spécialistes, éditée notamment par Jean Decorvet, recteur de la HET-PRO à Saint-Légier, est l’occasion de découvrir l’histoire d’un mouvement de renouveau de la foi, qui débute dans les premières années du XIXe siècle à Genève, avec des figures de proue comme Robert Haldane, Félix Neff ou Louis Gaussen.

Ce livre est aussi « un festin » pour celui qui en sait davantage sur le Réveil à l’origine de l’Eglise libre de Genève, des Eglises de la FREE et de plusieurs familles d’Eglises libres en Suisse comme en France. Grâce à l’inscription de ce mouvement dans sa dimension internationale, ce livre permet de prendre conscience de ses nombreux liens avec le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le monde germanique, les Pays-Bas… et bien entendu la France ! « Le Réveil de Genève » pose donc un regard beaucoup plus large – international – sur un phénomène local où nombre de lieux chargés d’histoire se trouvent en vieille-ville de Genève.

 

Un réveil en deux vagues

Dans une introduction générale, Jean Decorvet montre comment le Réveil de Genève a transformé le paysage protestant francophone. Au travers de deux vagues successives, le Premier Réveil (1810-1818) et le Second Réveil (1830-1832), de jeunes étudiants en théologie et de jeunes pasteurs genevois découvrent Jésus-Christ au travers d’une expérience spirituelle personnelle. Dans la foulée, ils s’enracinent dans la pensée du Réformateur du XVIe siècle Jean Calvin, en un temps où l’Eglise protestante de Genève était marquée par le « déisme » plutôt que par une pensée trinitaire. Pour faire court : par des vues libérales, plutôt que par un christianisme orthodoxe.

Cette double revitalisation spirituelle et calvinienne va entraîner un autre rapport à l’Etat et à la société. Certains « réveillés » vont créer des Eglises indépendantes de l’Etat, une nouveauté à l’époque en terreau protestant romand, du point de vue du pluralisme religieux. Ces communautés seront les ancêtres de l’Eglise libre de Genève et, via l’Eglise évangélique de la Pélisserie, des Eglises de la FREE. D’autres « réveillés » comme César Malan vont créer des communautés qui s’affilieront à des Eglises réformées à l’étranger, plus orthodoxes que l’Eglise réformée de Genève. Et d’autres, comme Louis Gaussen ou Frédéric Monod, tenteront de rester dans leur Eglise réformée pour œuvrer de l’intérieur à leur renouveau.

 

Un réveil populaire, puis plus aristocratique

Mû par cette découverte de la joie du salut en Jésus-Christ, le Premier Réveil éclot en milieu populaire, alors que le Second Réveil touchera une population plus aristocratique, avec des personnalités comme le théologien Louis Gaussen ou Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge. Cette seconde vague donnera une assise intellectuelle au mouvement, notamment au travers de la fondation en 1831 de l’Ecole de théologie qui s'installera bientôt sur le site de la chapelle de l’Oratoire, en vieille ville de Genève.

Comme le souligne Jean Decorvet : « En bénéficiant de contacts abondants avec des missionnaires britanniques, nord-américains et allemands à divers stades de son développement, le Réveil s’est inscrit dans l’« Internationale évangélique » qu’il contribua à façonner et à influencer par le biais de ses propres activités littéraires, missionnaires et philanthropiques » (2).

Dans la deuxième partie de ce festin, « Le Réveil de Genève. Perspectives internationales » nous emmène à la découverte de la diffusion de ce mouvement en France, dans le canton de Vaud, dans les régions germanophones, aux Pays-Bas, en terres anglophones, en Italie et au Canada. Au travers de divers contributeurs, la troisième partie de ce livre se penche sur des « Figures majeures du Réveil » : Adolphe Monod, Frédéric Monod, César Malan, Félix Neff ou Louis Gaussen, notamment.

 

Diffusion et impact

Grâce à des contributions de Monique Cuany, professeur d’histoire à la HET-PRO, et de Sarah Scholl, professeur associée d’histoire du christianisme à l’Université de Genève, la quatrième partie du livre « Le Réveil de Genève » va traiter entre autres du sujet « Le Réveil et les oeuvres. Education, soins et société » et du thème : « Réveil et catholicisme ». Dans sa contribution, Monique Cuany souligne la multiplication dans la foulée du Réveil de Genève des œuvres ou sociétés charitables et philanthropiques à Genève et dans le monde francophone. Parmi les plus marquantes, elle en présente deux : les diaconnesses de Reuilly et de Saint-Loup ainsi que la Croix-Rouge fondée par Henri Dunant et Gustave Moynier.

De son côté, Sarah Scholl montre que le Réveil se nourrit dans ses débuts d’une fascination pour le catholicisme à cause de sa doctrine et de son rituel, et plus tard d’un anticatholicisme qui remonte à la Réforme du XVIe siècle. Néanmoins des causes communes comme la défense de la liberté religieuse et la défense du dimanche comme jour chômé a posé les bases d’un « proto-œcuménisme ».

 

« Cet ouvrage est un commencement »

Par ses prestigieux contributeurs, « Le Réveil de Genève. Perspectives internationales » donne un nouveau crédit à ce renouveau très helvétique et à l’impact international qu’il a eu. Cet ouvrage de référence devrait ouvrir des perspectives à des recherches nouvelles, non seulement en milieu évangélique, mais beaucoup plus largement au plan académique. Ce qu’aucune publication en français de ces dernières décennies, aussi remarquables soit-elle (3), n’est parvenue à susciter.

« Plus qu’un aboutissement, cet ouvrage est un commencement », appuie Jean Decorvet dans son introduction générale. On se réjouit de poursuivre ce festin en découvrant de futurs travaux historiques et théologiques, qui pourraient ouvrir des pistes stimulantes non seulement pour approfondir la contribution évangélique au pluralisme religieux et à la liberté de conscience en Suisse… mais peut-être pour contribuer à la revitalisation de toutes nos Eglises (4) !

Serge Carrel

 

Notes

1 Jean Decorvet, Tim Grass et Kenneth J. Stewart (dir.), Le Réveil de Genève. Perspectives internationales, Saint-Légier, HET-PRO, 2024, 592 p. Prix : CHF 25.- et 25 €.
2 Ibidem, p. 44.
3 Parmi ces publications, on peut mentionner par ordre de parution décroissant :
- Sylvain Aharonian, Les « frères larges » en France métropolitaine. Sociohistoire d’un mouvement évangélique de 1850 à 2010, Paris, Cerf, 2017, 648 p. Notre recension.
- Olivier Favre, Les Eglises évangéliques de Suisse. Origines et identités, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 63-87.
- Marc Lüthi, Aux sources historiques des Eglises évangéliques : l'évolution en Suisse romande de leurs ministères et de leurs ecclésiologies, Genève, Je sème, 2003, 304 p.
- Jacques Blandenier, « Les grandes fractures du protestantisme », in : Incontournables évangéliques, Histoire et actualité des courants « évangéliques » dans le protestantisme contemporain, Hokhma 60, 1995, p. 3-34.
- Gabriel Mützenberg, A l’écoute du Réveil, Saint-Légier, Emmaüs, 1989, 272 p.

Pour découvrir la manière dont le Réveil de Genève est présenté dans des publications récentes en dehors du milieu évangélique, on peut lire :
- Olivier Bauer, 500 ans de Suisse romande protestante, Neuchâtel, Livreo-Alphil, 2020, p. 93-111.
- Jean-Pierre Bastian, La fracture religieuse vaudoise, 1847-1966 : l’Eglise libre, la « Môme » et le canton de Vaud, Genève, Labor et Fides, 2016, 400 p.
- Frédéric Amsler et Sarah Scholl, L’apprentissage du pluralisme religieux. Le cas genevois au XIXe siècle, Genève, Labor et Fides, 2013, 288 p.
- Sébastien Fath, Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en France 1800-2005, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 94s.

4 Voir la « Postface : du Réveil et du revivalisme » de Henri Blocher, p. 575.

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