Michel Kocher: un bilan de quatre décennies d’activités médiatiques pour les Eglises

Michel Kocher: un bilan de quatre décennies d’activités médiatiques pour les Eglises
(©Valdemar Verissimo) icon-info
mercredi 03 avril 2024

En décembre dernier, il a pris congé de son activité de journaliste à la direction de Média-pro, le département médias des Eglises réformées de Suisse romande. A l’heure d’une retraite active, le théologien Michel Kocher dresse un bilan de l’évolution de la présence chrétienne dans le paysage médiatique romand, notamment à la RTS, la radio et TV de service public. Serge Carrel, son ancien collègue et animateur du FREE COLLEGE, est à l'interview. Cet article est paru dans le no 125 de la revue Itinéraires.

Comment se porte l'activité médiatique chrétienne en Suisse romande ?

Nous sommes dans une situation fragile, mais nous sommes assis sur des trésors de culture et de savoir-faire. Notamment en lien avec le vivre ensemble dans un pays de tradition chrétienne. Cette expérience est sans prix. Ce n'est pas parce que les Eglises ne sont plus sur le devant de la scène qu'elles ne sont pas nécessaires au bien commun et au vivre ensemble.

 

L’activité médiatique chrétienne glisserait-elle vers des médias plus identitaires ?

Les médias au service de tous se fatiguent et ont des problèmes de financement. Les médias identitaires ne se fatiguent pas, même s’ils ont aussi des problèmes de financement. Les médias au service de tous se fatiguent, parce que la société est de plus en plus compartimentée et fragmentée et que, évidemment, chaque groupe ou chaque tribu a besoin d'un média, de porte-parole ou d'espaces de communication dans lesquels les membres de ces tribus se retrouvent.

 

Pendant une quarantaine d'années, vous avez été l'un des acteurs majeurs de la présence réformée en Suisse commande. Qu'est-ce qui, à votre avis, a changé depuis vos débuts au milieu des années 80 ?

Par rapport à la société en général, il y a, à mon sens, trois éléments principaux : le renforcement de la privatisation du croire, la montée de l'islam et de l’islamisme, et le recul des Eglises historiques, en particulier des réformés, qui, en l'espace de 40 ans, ont perdu un nombre impressionnant de membres.

Si on part de cela, j’entrevois deux changements dans le monde médiatique réformé : un renforcement du besoin d'informations et le fait que l’on est passé d’un désintérêt pour la religion instituée à un intérêt pour la spiritualité.

Du coup, notre travail dans le service public est de répondre à cette attente. Ce qui nous donne une légitimité qu'on nous reconnaît. Par ailleurs, il y a 40 ans, la religion avait une place reconnue. On pouvait être d'accord ou pas, mais au fond sa légitimité n'était pas discutée. Aujourd'hui, la religion est largement délaissée au profit de la spiritualité. C'est pour cela qu'à RTSreligion mais aussi sur le site réformés.ch, on parle toujours de religion, mais aussi d’éthique et de spiritualité. Ces trois thèmes vont ensemble et nous donnent une légitimité solide pour rencontrer un public relativement large.

 

Quels ont été les événements majeurs dans l'évolution de la présence des Eglises dans le service public ?

Une des dates importantes, c'est le passage du culte et de la messe du premier programme au deuxième programme. C’était à la fin des années 90. Pendant longtemps messes et cultes ont été diffusés sur la première chaîne de la Radio suisse romande.

Un autre événement important, ce fut en 2008 la création de Médias-pro, le département médias des réformés romands. On est passé d'une logique où chaque acteur se trouvait dans une sorte de silo : l'agence de presse, la TV, la radio et cetera, à une vision plus organique avec une instance qui a le souci d'une présence sur ces différents vecteurs.

Pour moi, 2015 et la création de « Ma femme est pasteure » avec Carolina Costa constitue aussi une date importante. Cette pasteure genevoise, avec son mari Victor, a réussi au nom de l'Evangile à inventer une figure médiatique grand public qui ne cède en rien sur les fondamentaux et qui réussit à incarner une présence originale dans un domaine où les Eglises historiques n'étaient pas du tout présentes.

En 2016, nous avons connu une grande crise avec la RTS. La direction du service public a voulu supprimer tous les magazines religieux en TV et en radio. La réaction du public avec une pétition forte de 25000 signatures a envoyé un signal clair : le public est attaché aux produits que nous réalisons et ces derniers sont indispensables dans l’offre de programmes.

La dernière date que je mettrai en avant, c’est en 2020 le partenariat entre catholiques et réformés pour être témoins ensemble dans l'espace médiatique. Jusqu'alors, nous étions ensemble parce que la RTS nous le demandait. Nous n'avions pas de liens bilatéraux propres. En 2020, avec Bernard Litzler, alors directeur de Cath-info, nous avons signé une convention entre catholiques et protestants, qui conforte non seulement notre travail dans le service public, mais nous incite à travailler ensemble en dehors du service public dans la réalisation notamment de capsules vidéo à message chrétien.

 

Ces dernières années, les institutions ecclésiales se font de plus en plus pressante pour développer la communication et les relations publiques aux dépens du journalisme. Comment appréhendez-vous cette évolution ?

On peut suivre deux fils rouges pour répondre à cette question. Suivons d’abord celui du journalisme. Depuis la naissance de la presse, il a toujours été difficile pour les Eglises d'avoir une presse libre qu'elles financent, mais qui, en même temps, ne soit pas à leur botte. Il ne faut pas oublier les crises successives que nous avons vécues dans le monde réformé romand avec les journaux « Vie protestante » ou « Réformés ». C’est une belle performance pour les Eglises d'arriver à financer un journal à qui on donne une mission d'information mais aussi, de temps en temps, la liberté de « tacler » l’institution. Pour les Eglises, ce n’est pas toujours facile à accepter, surtout lorsqu’elles sont fragiles financièrement. Donc la pression à contrôler le journalisme a toujours existé, et elle n’est pas près de baisser aujourd'hui. C'est bien malheureux, parce que si dans la société numérique actuelle le travail du journaliste change, il n’est pas moins utile qu'avant. Il faut chercher des news, vérifier les faits, hiérarchiser les informations… toutes choses que vous ne faites pas quand vous êtes sur Facebook ou TikTok. Si personne ne fait ce travail, il y a un vrai souci, et les Eglises doivent être attentives à cela.

 

Et le fil rouge de la communication ?

Il y a 40 ans, il n’y avait pas de chargé de communication ou de « responsable com ». Les Eglises n’en avaient pas besoin. Au fond, le pasteur était le « chargé de com » de la paroisse dans la région où il était. Il rendait visible l'institution et relayait les prises de position des conseils synodaux et des autres autorités ecclésiales. Avec le déclin de la participation au culte, ce canal de communication est devenu moins signifiant. Les responsables d'Eglise et les Eglises elles-mêmes se sont dit qu’il fallait d'autres canaux : la publicité, les conférences de presse ou les canaux d'information et de communication en général. Les Eglises ont mis beaucoup de temps à investir ces canaux-là. Elles l’ont fait petit à petit pour arriver aujourd'hui à une situation où chaque Eglise a un « chargé de com » qui a le souci de relayer la parole des Eglises et de promouvoir les événements qu’elles organisent. Ces dernières années, beaucoup de moyens ont été engagés pour ce travail de communication.

 

Dans un tel contexte, parvenez-vous à développer une présence réformée ou chrétienne avec des prises de position qui témoignent de vos convictions de foi au niveau romand ?

Comme directeur de Médias-pro, j’ai œuvré pour que nous soyons respectueux des institutions et relativement consensuels. Sur le site réformés.ch, on a toutes sortes de tendances qui s'expriment, mais les voix un peu « personnelles » qui jouent une certaine rupture sont souvent perçues comme des voix de trouble-fête au rayonnement des Eglises. Je plaide pour qu’il y ait cette diversité et que le débat se déroule dans un cadre de non-jugement et d'acceptation mutuelle. Les lieux éditoriaux dont j'ai eu la responsabilité sont des lieux où chacun a pu s'exprimer y compris des voix du R3, la minorité évangélique au sein de l’Eglise réformée.

 

On assiste à l'émergence de journalistes qui travaillent pour les Eglises et qui n’ont pas de formation théologique. N’est-ce pas dommageable à la présence chrétienne dans l’espace public ?

Je ne vais pas critiquer les journalistes qui ne sont pas théologiens et qui travaillent pour les Eglises avec leurs compétences spécifiques. Mais je déplore que l’on n’ait pas eu dans les appels à candidature de ces dernières années plus de théologiens qui s'intéressent au journalisme. A mon sens, les responsabilités sont à chercher dans les facultés de théologie. Depuis le professeur Jean-Marc Chappuis à la Faculté de théologie de Genève, dont j’ai été l'assistant, ces lieux de formation n'ont jamais pris au sérieux la question médiatique. Elle est complètement absente du cursus théologique et n’a pas été perçue comme un lieu pertinent de développement de la réflexion.

Les médias et la culture sont un lieu théologique important et la formation en théologie ouvre un espace spécifique dans lequel un journaliste-théologien peut féconder des connaissances pour construire un propos original. Le journaliste qui ne possède pas de formation théologique se risquera moins facilement à articuler une rationalité chrétienne à un événement ou à décrypter une pensée à partir de l’Evangile.

Propos recueillis par Serge Carrel (1)

 

Note

1 Serge Carrel est pasteur et journaliste. Il a été le premier journaliste issu des Eglises évangéliques à travailler dans le cadre de Médias-pro de 1997 à 2005.

  • Encadré 1:

    Bio express

    Michel Kocher est journaliste et théologien. Après une formation à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, puis à Birmingham (GB), il a suivi une formation journalistique à la RTS, en radio et en TV. Après quatre décennies d’engagement médiatique en lien avec les Eglises, il prend une retraite active avec une société de consulting : MicroGlobal.

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