Lorsqu’il entend le mot « âme », y voit-il un mot d’un autre âge ? Lui arrive-t-il de rire sous cape ? Peter Clarke est professeur associé au Département de biologie cellulaire et de morphologie de l’Université de Lausanne. Très engagé dans l’Eglise évangélique de Villard à Lausanne (FREE), ce spécialiste du cerveau relève en souriant que les neurobiologistes n’utilisent pas beaucoup le mot « âme ». « Pour moi, ajoute-t-il, on peut l’utiliser s’il ne renvoie pas à une entité séparée du corps, mais à l’entier d’une personne à partir d’une perspective particulière. »
Une vision moniste de l’être humain
En 2008, Peter Clarke a participé à un colloque de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine sur le thème de l’âme et du cerveau. A cette occasion et dans le livre qui a été publié par la suite, il évoque les conséquences du développement des neurosciences sur la vision de l’être humain. Celui qui passe ses journées à parler cortex cérébral, neurones, synapses et neurotransmetteurs, a expliqué aux théologiens que l’on peut comprendre le comportement d’un être humain en analysant le fonctionnement de ses neurones. « Pas besoin d’invoquer un élément séparé qui interagirait avec le corps : l’âme ou l’esprit par exemple. » En accord avec de nombreux théologiens contemporains, Peter Clarke refuse de voir dans la Bible une vision dualiste âme-corps. Selon lui, lorsque le mot « âme » y est utilisé, il renvoie souvent à la personne entière plutôt qu’à une substance qui constituerait l’être humain. A sa manière d’appréhender l’être humain, le neurobiologiste de Lausanne donne le nom de « monisme à double aspect ».
En plaidant pour une vision qui conçoit l’être humain comme une unité, Peter Clarke n’affiche pas pour autant la vision de certains scientifiques qui réduisent l’humain à un fonctionnement physico-chimique. Pour lui et à la suite de son mentor, le neuroscientifique et philosophe évangélique Donald MacKay, « l’âme et le cerveau sont deux perspectives complémentaires portant sur une entité unique : l’être humain ». Celui-ci comprend donc deux aspects : l’aspect physique, mais aussi l’aspect subjectif. « Pour ma part, je trouve incompréhensible qu’on puisse nier la réalité d’une expérience subjective », ajoute Peter Clarke.
Le discours des neurosciences : un parmi d’autres
Pour expliquer cela plus concrètement, le professeur de neurobiologie recourt volontiers à l’image d’un message écrit sur un tableau noir. « Si un chimiste vous dit : ‘Ce ne sont que des molécules de craie, enlevez-les et il n’y aura plus rien !’ Il n’a rien compris... Nous n’avons pas besoin de rejeter un niveau de description pour en valider un autre ! La réalité du tableau noir peut être appréhendée de différentes manières : chimique, physique, du point de vue de ce qui y est écrit ou du point de vue esthétique. » Ce que le neurobiologiste dit du cerveau et de son fonctionnement n’entraîne pas le rejet d’autres perspectives : l’homme est aussi un être avec une expérience consciente, avec une éthique, avec une spiritualité...
Alors certes les discours se contredisent parfois. Il y a quelques décennies de nombreux psychiatres pensaient que la schizophrénie était due au fonctionnement de la famille du malade. D’autres scientifiques considéraient que le malade avait un problème au niveau moléculaire et que c’était à partir de là qu’il fallait comprendre ce dont il souffrait. « Il y avait là deux théories situées à différents niveaux et qui étaient réellement contradictoires, commente Peter Clarke. Aujourd’hui, on peut dire que l’approche moléculaire a gagné et que l’approche psychologique de la famille s’est avérée fausse... Mais, pour autant que les différents discours ne se contredisent pas, ils sont vrais et se complètent. »
Le monisme remis en question à cause de l’état intermédiaire
Lors du colloque sur l’âme et le cerveau à Vaux-sur-Seine, Peter Clarke a pris conscience que sa vision moniste à double aspect de l’être humain n’avait pas la faveur de nombre de théologiens présents. Notamment à cause de l’état intermédiaire, cet état que connaîtraient les personnes défuntes entre leur mort et la résurrection des morts. « Tout le monde était d’accord, explique Peter Clarke, pour dire que la Bible n’enseigne pas que l’âme est éternelle à la manière d’un Platon. Néanmoins, après la mort, il resterait quelque chose des humains dans un état intermédiaire, avant la résurrection des corps. » Là le neurobiologiste a été surpris par la position de plusieurs théologiens présents qui défendaient une dualité, voire un dualisme. « A propos de cette question, je deviens un peu Vaudois, lâche-t-il en riant ! Je ne dirais pas que je ne suis pas d’accord, bien au contraire ! Mais je ne voudrais pas construire une argumentation sur l’état intermédiaire, probablement présent dans la Bible, mais nullement défini de manière claire ! » Pour le professeur lausannois, il n’y a pas de grandes différences entre le fait de dire que, lorsqu’on est mort, on n’existe plus et que Dieu nous recrée pour la résurrection des corps, et l’affirmation de l’état intermédiaire. « C’est tellement au-delà de notre compréhension et de nos connaissances que je ne voudrais pas en faire un point-clé de ma philosophie... »
Pas de gros problèmes entre sciences et foi
En général, pour Peter Clarke, il n’y a pas de gros problèmes entre la démarche scientifique et la foi chrétienne. Les interactions sont plutôt rares. « Si un chrétien travaille sur la chimie des plastiques, ça n’a rien à voir de manière directe avec ses convictions chrétiennes. Il y a toutefois quelques domaines où des interactions se font : la Création, la fin du monde, l’âme et le cerveau... » Mais pas de quoi mettre en cause des convictions chrétiennes profondes, plutôt l’occasion d’approfondissements où le neurobiologiste ne manquera pas d’y ajouter une once d’humour... very british !
Serge Carrel
Lydia Jaeger (éd.), L’âme et le cerveau. L’enjeu des neurosciences, Charols, Excelsis, 2009, 240 p. Voir notamment la contribution de Peter Clarke, « L’âme et les neurosciences : le dualisme en question », p. 29-64.