Le passeport de Dieu, vous connaissez ! Terrain miné s’il en est ! Et pourtant une chose est sûre ! On n’arrête pas de naturaliser Dieu à l’ombre de tous les drapeaux ! On connaît le « Gott mit uns ! » de sinistre mémoire, voilà 70 ans. On connaît le « God bless America ! » plus actuel. On connaît aussi les affirmations d’extrémistes musulmans qui, au travers de leur « Allah akbar ! », s’appuient sur leur dieu pour légitimer les pires atrocités ! Loin de moi aujourd’hui de vouloir en rajouter une couche… Mais je ne peux m’empêcher d’affirmer que Dieu est… Italien ! Pas Suisse! Ce dont pourrait se vanter un Helvète au patriotisme enflé ! Pas Egyptien, un pays que j’apprécie par les vacances qu’il propose ! Pas Zambien, à cause des quelques amis que j’ai là-bas… Non ! Dieu est Italien… parce qu’il parle… avec les mains !
« Le ciel oeuvre de ses mains ! »
L’ensemble de la tradition biblique ne rechigne pas devant pareil anthropomorphisme. Elle dit sans retenue que le ciel est l’œuvre des mains de Dieu (Ps 8, 1-5). Comme un potier façonne la terre de ses mains pour en faire un ustensile de cuisine, le Créateur façonne le monde. Et ce que Dieu crée renferme un message : celui de la beauté et de la majesté d’une création qui nous échappe et qui fait de nous des êtres fourmis au sein d’un univers de 15 milliards d’années.
Dieu est Italien, parce qu’il parle avec les mains. En l’occurrence au travers de nos mains ! Un organe de notre corps qui a tout du petit bijou technologique. Un organe qui réussit à épouser la forme de la balle qu’il saisit. Un organe qui peut se déformer et s’articuler pour faciliter l’escalade d’un rocher abrupte… Tout cela grâce à une mécanique tout ce qu’il y a de plus complexe, qui fait s’articuler des petits os comme le pyramidal, le semi-lunaire, le scaphoïde, l’os crochu, le trapézoïde, le grand os… Un bijou extraordinaire la main ! Un bijou de technologie qui renvoie à la grandeur d’un Créateur dont les œuvres nous coupent le souffle !
Dieu est Italien, parce qu’il parle au travers de nos mains. Au travers de celles d’Adam et Eve qui, chassés du jardin, s’empressent de confectionner de leurs mains un vêtement pour masquer leur nudité (Gn 3,7). Après la grande séparation, l’humain n’a de cesse de coudre ensemble des feuilles de figuier pour masquer sa vulnérabilité, pour voiler la précarité de son existence. Au travers de ces mains industrieuses, constamment inscrites dans l’ordre de la production et de l’acquisition, Dieu parle. En dehors de lui, les mains tentent de combler ce vide, murmure d’un paradis perdu, manque qui, comme le dit Augustin avec force, affiche la forme de Dieu.
Des mains humaines qui renvoient à celles de Dieu !
Peut-être connaissez-vous cette parole de Jésus dans l’évangile de Jean : « Qui m’a vu a vu le Père ! » (Jn 12,45)… Sans abuser de cette affirmation, on pourrait relever que celui qui a vu les mains de Jésus, voit les mains de Dieu. Rien de plus suggestif, lorsque dans le récit de l’homme à la main paralysée (Mc 3, 1-6), on assiste à un jeu de mains tout à fait surprenant.
D’un côté bien sûr, il y la main paralysée. Cette main invalide renvoie à notre humanité usée, à bout de souffle. Pour laquelle tout est poids et lourdeur. Cette main ne participe plus à la saga des mains. Elle est hors-jeu, recroquevillée, seule dans son coin. Et ce n’est pas qu’une formule de style. Au temps de Jésus, la personne à qui appartient cette main est un « out cast », un marginal. Il n’a qu’un accès limité au monde de l’avoir, à ce combat des mains pour le quotidien. En fait, notre homme ne peut faire qu’une chose : montrer sa main sèche et tendre la valide pour quémander le nécessaire au quotidien.
Et Jésus d’avoir de la tendresse pour cette main. La main relationnelle de Jésus appelle la main invalide à se mettre au centre des regards, à quitter les marges, qui faisaient son quotidien, pour être en attente de quelque chose.
Dans les jeux de mains de la vie, il y a beaucoup de mains sèches. De ces mains paralysées par les blessures de l’existence, par les souffrances du monde. Et la main libératrice de Jésus ramène ces mains au centre de l’attention. Il leur offre la possibilité de vivre d’un nouveau souffle, de goûter à sa puissance de restauration.
Des mains crispées invitées à lâcher prise
Dans ce jeu de mains autour de l’homme à la main paralysée, il y a d’autres mains qui se pressent. Celles des pharisiens. Des mains crispées. Comme les serres d’un aigle, plantées sur leur proie. Elles sont crispées sur ce qu’elles ont perçu de Dieu. « Le Seigneur Eternel demande de ne rien faire le jour du sabbat ! Attention à toi Jésus, si tu libères cet homme de son infirmité un jour de sabbat ! Tu contreviens au commandement ! »
Des mains crispées sur une vision du monde, on en connaît aujourd’hui... à la pelle ! Ces directeurs d’entreprise ou ces actionnaires qui n’ont pour tout objectif que de faire croître leurs profits au maximum. Ces religieux, tellement convaincus de la pertinence de leurs principes moraux, qu’ils tiennent des discours de mort... pour autrui !
Et là, la main de Jésus invite à lâcher prise. Elle invite à quitter l’attitude de l’oiseau de proie, les serres rivées sur ce qu’elles tiennent, pour imiter l’Homme qui place le service de l’humain au-dessus du commandement. Même s’il n’abolit pas le commandement ! Les mains de Jésus se tendent vers les mains crispées et les invitent à vivre de son Esprit.
Se laisser toucher par ses mains ?
Le troisième acteur du récit de l’homme à la main sèche, ce sont bien entendu les mains de Jésus. Des mains qui se tendent vers l’exclu, des mains qui invitent à occuper le centre de l’espace, des mains qui n’accaparent pas, mais qui touchent. D’abord pour redonner à la main humaine la dimension de vie qui doit être la sienne. Ensuite pour restituer à une existence pleine et entière. Profondément, les mains de Jésus rejoignent l’activité des mains de Dieu qui, du fond des âges, libère de tous les filets tissés par la nature, le quotidien de la vie ou d’autres mains humaines.
Te laisseras-tu toucher aujourd’hui par ces mains de Jésus ? Te laisseras-tu réinsérer par elles dans le cercle de la vie ou resteras-tu crispé sur ta paralysie ou sur ta vision du monde sclérosée ?
Du temps de Jésus, l’humanité a répondu aux mains de Dieu, qui se tendaient vers nous au travers de celles de Jésus, en les clouant au bois d’une croix. Le refus violent n’est pas inéluctable! Il est possible de faire autre chose que de crucifier à nouveau ces mains qui se tendent vers nous ! Es-tu prêt à ouvrir ta main et à la tendre vers celle qui s’approche maintenant ?
Amédée Lerrac