S’il est un titre qui colle à la peau de Salomon, c’est celui de « sage ». A bien des égards d’ailleurs, ce titre n’est pas usurpé ! N’est-ce pas Salomon qui demanda à Dieu la sagesse pour gouverner (1R 3.7-9) ? Cette sagesse lui fut manifestement accordée, si l’on considère non seulement l’attitude du roi face aux deux prostituées clamant la maternité de l’enfant survivant (1R 3.16-28), mais également le témoignage élogieux de la reine de Saba (1R 10.6-10).
Pour autant, est-ce là le tout de Salomon ? Le témoignage biblique nous conduit à en douter sérieusement.
Par la bouche de Philinte, Molière avait pu dire qu’« à force de sagesse, on peut être blâmable » (1). Peut-être ce danger se fait-il plus pressant quand la sagesse confine à l’excès de confiance en soi, pour finalement donner naissance à l’orgueil ?
Des choix personnels emplis d’orgueil
La démesure architecturale. A côté de sa sagesse légendaire, Salomon est également entré dans la postérité en tant que maître d’ouvrage de l’habitation de Dieu sur terre : le Temple de Jérusalem.
Mais, sur sa lancée, le roi n’a pas manqué de se faire bâtir une habitation digne de sa grandeur ! La précision nous frappe : si le Temple du Seigneur fut bâti en sept ans (1R 6.38), l’auteur biblique indique : « Quant à sa propre maison, Salomon la bâtit pendant treize ans » (1R 7.1). Soit presque le double du temps consacré à l’édification du temple ! « Le palais semble avoir préoccupé davantage le roi bâtisseur» (2), que le Temple du Seigneur !
Les matériaux employés pour la construction du palais royal manifestent également le désir de grandeur et d’apparat qui animait Salomon. Le grand architecte Salomon avait réussi à transformer la pierre en argent : « Le roi rendit l’argent aussi commun à Jérusalem que les pierres » (1R 10.27). Mais cette façade clinquante ne saurait camoufler durablement la triste réalité d’un homme atteint de folie des grandeurs, au seuil d’une chute personnelle et, pire encore, d’un roi entraînant son peuple à des heures parmi les plus sombres de son histoire.
La démesure amoureuse. L’architecture est une chose, la volupté en est une autre !
A ce titre, un des premiers actes du roi nouvellement établi est de se marier avec la fille du pharaon égyptien. Mais bien plus que d’annoncer le seul mariage du roi d’Israël avec la fille du pharaon, l’auteur du livre des Rois expose clairement l’enjeu : « Salomon s’allia par mariage avec le pharaon, le roi d’Egypte » (1R 3.1). Le roi, au bénéfice de l’alliance avec l’Eternel, décide de contracter une alliance supplémentaire avec le roi d’Egypte. Des fins diplomatiques ne sont sans doute pas étrangères à ce mariage. Mais cette stratégie, habile sur le plan politique et commercial, s’avérera désastreuse sur le plan moral et religieux.
Dans sa démesure, le roi Salomon ne s’est pas contenté d’une épouse, fût-elle pourtant la fille du pharaon ! Le roi s’est épris d’un très grand nombre de femmes étrangères (1R 11.1). Or quelle était la mise en garde divine ? « Tu ne t’allieras pas par des mariages avec ces peuples » (Dt 7.3).
Et non content de s’allier par mariage à plusieurs peuples étrangers, Salomon va jusqu’à s’entourer d’un véritable harem : « Il eut sept cents princesses pour femmes et trois cents concubines » (1R 11.3) !
Encore, si les débordements voluptueux de Salomon avaient pu être contenus au périmètre du palais royal, mais il n’en fut rien ! Progressivement, le cœur du roi s’inclina vers les dieux étrangers de ses femmes (1R 11.5). Salomon se livra ainsi à des cultes idolâtres infâmes. La sentence divine ne tarda pas à tomber : « Puisque tu n’as pas observé mon alliance et mes prescriptions, telles que je les avais instituées pour toi, je vais déchirer le royaume pour te l’ôter et le donner à ton serviteur » (1R 11.11).
Des choix financiers et politiques emplis d’orgueil
En dirigeant politique, le roi Salomon avait pour mission de contrôler le développement du territoire que lui avait légué David. Il avait également pour tâche d’assurer une bonne transition entre la confédération tribale qui avait caractérisé la vie politique pré-davidique et un gouvernement central fort, seul à même de garantir l’unité d’Israël (3). Y est-il parvenu ?
Un royaume à crédit. Au vu du train de vie fastueux du roi Salomon et de celui qu’il impose à Israël, qu’il s’agisse de son entreprise architecturale, de l’entretien de son harem et de sa cour, et de tant d’autres engagements propres à la gouvernance d’un royaume comme celui d’Israël, nous imaginons que les besoins financiers sont à la hauteur des dépenses publiques. En réalité, il y a fort à penser que le règne de Salomon n’ait guère connu d’équilibre budgétaire.
En effet, Salomon a eu recours à un endettement extérieur massif : « Comme Hiram, roi de Tyr, avait fourni à Salomon du bois de cèdre, du bois de cyprès et de l’or, autant qu’il en avait désiré, le roi Salomon donna à Hiram vingt villes au pays de Galilée » (1R 9.11). L’abandon d’une partie du pays pourtant donné par Dieu à son peuple peut apparaître comme une tragédie en soi. Mais cette dernière sera étroitement liée à la suivante, le schisme, en ce que le Nord se trouve, de ce fait, déprécié. Pour Salomon, ces villes du Nord ne sont que « chose lointaine et monnayable » (4). Et l’auteur biblique de préciser que ces villes ne plaisent pas à son bénéficiaire – Hiram – qui s’empresse alors de les rebaptiser « pays de Kaboul » (1R 9.13), dont le sens probable est « Quasi-rien » !
Au plan interne, Salomon finance ses excès par le biais d’une forte pression – pour ne pas dire oppression – fiscale. Afin de se donner les moyens de ses ambitions, il introduit très rapidement une réforme administrative consistant en un découpage administratif du royaume en douze régions. A la tête de chaque région était nommé un préfet (1R 4.7-19), doté selon toute vraisemblance « d’une mission particulière, celle de faire converger vers Jérusalem, vers le palais royal, vers la table du roi tout un approvisionnement, des impôts en argent et en nature » (5).
Un roi dans sa tour d’ivoire. Pour financer ses multiples entreprises, Salomon a également contraint son peuple à des travaux forcés. Evitons tout anachronisme : en ces temps, la pratique était répandue dans toute la région. « Mais en Israël, sous Salomon, elle semble avoir atteint des proportions hors du commun » (6). Une telle servitude n’a-t-elle pas dû avoir, pour le peuple, le goût amer de l’histoire qui se répète en considérant l’état de servitude des pères en Egypte ? A au moins une différence près, et non des moindres : si la servitude des pères était le fait d’un acteur étranger, la servitude orchestrée par Salomon l’est par le conducteur terrestre du peuple lui-même !
Un sage ? Oui, mais… un sage pris de folie des grandeurs !
Se rappeler de la sagesse de Salomon est une chose légitime. Mais ne se rappeler que d’elle est illégitime. L’infidélité caractérisée de Salomon a eu pour conséquence la déchirure du royaume (1R 11.11). « Dès la disparition du monarque (en 931 av. J.-C.), nous assistons à l’écroulement subit de son œuvre. Pour s’effondrer ainsi, l’édifice devait être déjà effroyablement lézardé. Mauvaise référence pour le constructeur qu’on voudrait nous présenter comme un architecte génial » (7).
En somme, il nous paraît plus sage (!) de retirer à Salomon son « titre » de sage, pour préférer voir en lui un homme ayant agi… parfois avec sagesse et parfois avec beaucoup moins de sagesse. Un peu comme nous finalement…