Espace public : la présence chrétienne dans le collimateur

mardi 08 mars 2011
Les chrétiens sont appelés à être des témoins du Christ. Une invitation qui stipule une parole. Mais laquelle et comment s’exerce-t-elle de manière publique ? Cas d’école sous la loupe.
Meyrin est une commune genevoise qui s’est beaucoup développée dans les années 60. Elle connaît aujourd’hui une cinquantaine de nationalités. En 2009, les chrétiens de la place ont tenté une présence œcuménique sur le marché local. « Mais les autorités nous ont dit à l’époque que l’espace public n’était pas un lieu où l’expression religieuse était souhaitable », indique Michel Serex, président du Conseil de l’Eglise évangélique de Meyrin (FREE). La maire Monique Poget confirme : « Nous sommes régulièrement sollicités par des Eglises et nous voulons observer une stricte laïcité dans l’espace public », explique-t-elle. « Nous avons aussi refusé la demande de musulmans qui voulaient servir la soupe de rupture de jeune à la fin du Ramadan. »

Au bénéfice d’une esplanade à l’extérieur de son bâtiment, la communauté évangélique s’est rabattue en décembre dernier sur ce terrain extérieur pour y jouer l’histoire de Noël avec ânes, moutons, poules et lapins... et pas moins de 350 spectateurs sur deux soirs ! « Quelques personnes sont venues du centre commercial où on avait distribué des invitations avec un âne. Plusieurs d’entre elles n’avaient jamais entendu parler de l’histoire de Noël », commente Denise Félix, membre du comité d’organisation de cette fête. Si les nombreuses personnes présentes se sont montrées très réceptives et heureuses de la proposition originale, « l’intérêt pour nous a été de pouvoir dire notre foi de manière publique, même si c’est resté confiné à notre esplanade », déclare encore Michel Serex.

Freinés à Meyrin dans leur souhait d’investir l’espace public, les chrétiens du bout du lac ont pourtant pu manifester à Genève le 17 octobre 2010 pour dénoncer la pauvreté à l’occasion de la journée internationale du refus de la misère. Sur la place des Nations, 500 personnes ont déployé une banderole en spirale et, sur l’initiative du mouvement évangélique StopPauvreté, demandé aux organisations politiques de respecter leurs engagements envers les Objectifs du Millénaire pour le développement. « L’application ou l’interprétation de la laïcité dans les faits est du ressort communal », commente Monique Poget, pour qui le démarchage religieux sur la place publique s’apparente aux mêmes modes publicitaires que d’autres produits et n’est par conséquent pas « le bon moyen » de toucher les gens. 

« Jésus seul », plus uni-compatible ?
A Neuchâtel, le Groupe biblique universitaire ne peut plus se réunir dans les locaux académiques depuis le début de l’année. En cause : la tenue d’une conférence donnée en novembre dernier sur le secret par une ancienne guérisseuse convertie au christianisme.
« Jacqueline Frésard a témoigné de sa foi en Jésus-Christ dans les locaux de l’Eglise évangélique la Rochette (FREE), donc hors de l’université, et sans aucune publicité auprès de ses étudiants, explique à Fenin Christian Schneeberger, animateur responsable des Groupes bibliques des écoles et universités (GBEU) de la région. Mais il est vrai que ce sont les membres du Groupe biblique universitaire de Neuchâtel (GBUN) qui l’organisaient. »

Ce qui a mis le feu aux poudres : un article de presse dans lequel la journaliste se demandait notamment si l’Université, dont se réclame le GBUN, cautionnait « ces propos liant Hitler, le yoga, l’hindouisme et Satan ». « Des liens que la conférencière n’a jamais faits en tant que tels », s’insurge à Lausanne Colin Donaldson, responsable des GBEU pour toute la Suisse romande. Mais suite à l’information diffusée dans le quotidien orange et aux nombreux commentaires qu’elle a suscités sur internet, une rencontre entre l’aumônier de l’université Sandro Agustoni, la rectrice Martine Rahier et Colin Donaldson est intervenue. « Cette discussion a montré que le GBUN disposait de locaux mis à disposition par l’aumônerie sans que le rectorat ne soit au courant, explique à Neuchâtel Claudine Assad Clémençon, responsable de la communication de l’université. L’aumônier a demandé à cette occasion au groupe d’organiser désormais ses rencontres hebdomadaires dans d’autres locaux. »

Une décision que Colin Donaldson ne comprend pas. « On a toujours cherché à ne pas avoir de couleur dénominationnelle, à ne pas être rattaché à une Eglise », déclare-t-il. Pour l’heure, la vingtaine de réguliers du groupe est encore sous le choc. Et sous le coup du reproche qui leur a été fait de tenir des propos comme quoi « seul Jésus sauve ». Des reproches que Colin Donaldson a aussi entendus et qu’il commente en rappelant que l’université devrait pouvoir être un lieu où l’on débatte aussi de cette question-là.

Une marche pour Jésus
Dans la capitale vaudoise, la présence de chrétiens dans l’espace public est interprétée différemment. Le 16 octobre dernier, une marche intitulée « Lausanne pour Jésus » a été organisée, réunissant environ 800 personnes. La manifestation, ponctuée de prières et de témoignages, était organisée par plusieurs mouvements évangéliques. Trois itinéraires étaient prévus pour toucher un maximum de gens et les cortèges ont cheminé plusieurs heures depuis le centre-ville jusqu’au bord du lac, où une partie plus festive s’est déroulée.
Cette manifestation chrétienne interdénominationnelle est organisée annuellement dans plusieurs villes du monde. A l’origine de sa première édition qui a rassemblé 15'000 personnes à Londres en 1987 : le désir de réaffirmer publiquement la foi chrétienne dans une société perçue en voie de déchristianisation.
Gabrielle Desarzens

  • Encadré 1: La laïcité sous la loupe
    Dans son livre « Une théologie pour temps de crise »*, Shafique Keshavjee explique que l’Etat doit aujourd’hui gérer un espace social où une pluralité de convictions cohabitent.
    Il dégage au moins trois sortes de laïcités :
    -    la laïcité d’opposition, où l’Etat s’oppose aux communautés religieuses, voire les persécute. Cette laïcité a caractérisé de nombreux pays « communistes » du passé et du présent ;
    -    la laïcité d’abstention, où l’Etat veille à protéger sa « neutralité » et refuse de favoriser une communauté aux dépens des autres. Cette abstention peut s’exprimer en refusant l’accès public (écoles, manifestations dans les rues...) à toute expression religieuse. C’est le cas de Meyrin et semble être le cas de Neuchâtel. Mais selon Shafique Keshavjee, la laïcité d’abstention peut s’exprimer aussi en veillant à une égale accession sur le plan de l’Etat de différents partenaires religieux, sans en privilégier aucun ;
    -    la laïcité d’engagement, qui est celle où l’Etat tient compte de l’histoire de l’espace social qu’il gère et valorise la transmission de sa tradition religieuse majoritaire, tout en veillant au respect des traditions minoritaires dont il assure la protection et le respect de leurs droits fondamentaux.
    G.D.
    * Shafique Keshavje, « Une théologie pour temps de crise »,  éd Labor et Fides, 2010.
  • Encadré 2: « Liberté religieuse pour tous »
    Spécialiste de la liberté religieuse en droit international, Michael Mutzner est aussi le secrétaire général adjoint du Réseau évangélique. Pour lui, les chrétiens comme aussi les membres d’autres religions devraient pouvoir exprimer leur foi dans l’espace public.

    -    Les évangéliques sont-ils suffisamment présents dans l’espace public selon vous ?

    En Suisse, chacun devrait pouvoir exprimer sa foi. Le mandat du Réseau évangélique et l’un de ses objectifs principaux est que les chrétiens de conviction évangélique puissent être présents dans l’espace public pour exprimer ce qu’ils croient. L’évangélisation est d’ailleurs reconnue commun un droit, que ce soit en droit international ou dans le droit suisse. Le Tribunal fédéral (TF) a ainsi dit très clairement en 1999 qu’il existe un droit d’arrêter des passants dans la rue pour leur proposer un traité ou pour discuter avec eux. Si le passant n’est pas intéressé, le TF précise qu’il ne faut pas insister. Maintenant, si une maire refuse une présence publique sur un marché, par exemple, il faudrait selon moi qu’elle propose une alternative valable pour que ce droit puisse tout de même être exercé.

    -    Quel est l’enjeu de cette ouverture ?
    L’évangélisation est malheureusement trop souvent perçue comme une menace. C’est comme si les évangélistes étaient des prédateurs à la recherche de victimes naïves et crédules. En réalité, nous n’avons pas à avoir honte de faire de l’évangélisation, car c’est un service que nous voulons rendre, dans le respect et l’amour de nos prochains, quelle que soit leur réponse à l’Evangile. Nous voulons offrir la possibilité aux gens de découvrir quelque chose qui peut transformer leur vie. Comment arriver à faire comprendre à cette maire que l’évangélisation est un plus pour les habitants de sa commune, parce qu’elle offre une réponse à des personnes en recherche spirituelle ?

    -    Y a-t-il un prix à payer ?
    Si on s’implique en faveur de la liberté religieuse, on s’implique en faveur de la liberté religieuse de tous. Il faut être cohérent et reconnaître ce droit aux musulmans aussi, par exemple. Cela s’appelle la tolérance. On ne peut pas accorder une place dans l’espace public uniquement à ceux avec qui on est d’accord. Par contre, si une autre communauté de foi fait une action publique, nous conservons aussi la possibilité d’exprimer notre propre point de vue, et si nécessaire d’exercer une forme de droit de réponse. Le défi consiste alors souvent à dire la vérité, dans l’amour.
    G.D.
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