« La montagne m'a valorisé, m'a construit. » Rencontré dans la région de la Sagne, à la Roche-aux-Crocs, sur le pilier ouest qu'il a ouvert à l'aide de spits* pour y conduire des débutants, le guide de haute montagne Michel Gentil a le regard qui pétille. S'il se rappelle avoir été en tête de la Directe américaine dans la face ouest des Drus, à Chamonix, quand il avait 18 ans, il indique qu'il vivait alors la montagne pour l'exploit : « Elle me disait : 'Michel, t'as de la valeur, tu es fort.' C'est elle qui m'a donné une place dans la société, en dehors de toute spiritualité. »
Ici, au pied du pilier de cette falaise neuchâteloise qu'il a atteinte d'un bon pas à travers les prairies montantes, Michel Gentil, la cinquantaine, contrôle aujourd'hui l'équipement de son deuxième de cordée, dont c'est la première expérience de grimpe. Baudrier ajusté, mousquetons... Il montre comment faire un nœud de huit, puis partage : « J'aime beaucoup la montagne, car on ne peut pas tricher. Elle nous place face à nous-mêmes et prodigue un sentiment de liberté extraordinaire, vous verrez ! »
Encordé et dirigé...
Dubitative, la néophyte du jour lorgne sur la roche de calcaire blanche qui annonce 120 mètres de dénivelé. Pour celle ou celui qui n'aime pas être « attaché » ou « lié », c'est râpé : la corde d'escalade est l'élément central de l'exercice, sorte de cordon ombilical, qui permet d'ailleurs le contact entre les personnes engagées dans l'aventure. Pour celui qui n'aime pas non plus être « dirigé », ou suivre une voie décidée d'avance, c'est embêtant : le premier de cordée choisit l'itinéraire et les encordés suivants n'ont pas loisir de s'engager dans la direction opposée ! Ces « petites » contrariétés mises à part, l'opération s'annonce en théorie plutôt simple : il suffit pour celle ou celui qui n'y connaîtrait encore rien de laisser coulisser la corde dans le demi-nœud d'amarre pour assurer celui qui ouvre le chemin puis, au signal donné, de décrocher les divers éléments du relais... pour enfin s'engager dans la paroi.
« Harmonie avec le terrain »
« Il faut mettre le pied face à la paroi si possible, trouver où accrocher ses mains, monter le corps... » Michel Gentil est pédagogue, patient. A priori, ça fonctionne. Il effectue de petites distances et discute à nouveau quand son deuxième de cordée le rejoint : « C'est aux Ponts-de-Martel dans le Jura neuchâtelois que je suis né en 1960. J'y ai vécu toute ma jeunesse. Dès 16 ans, j'ai commencé l'escalade ; le massif du Mont-Blanc m'a vite fasciné plus que toute autre région : le rocher y est juste parfait, les fissures remarquables, l'engagement total ! » Et le guide d'évoquer l'« harmonie avec le terrain » et le bonheur de « faire sa trace », en énumérant un grand nombre de faces nord en Suisse et ailleurs qu'il a faites en été ou en hiver.
Il s'engage soudain en latéral sur sa droite, dans une paroi à pic, dans laquelle il faut avancer en descendant un peu d'un petit promontoire... « Mon Dieu ! Si je déroche, bien sûr, il va assurer, mais où dois-je placer mes pieds, et comment me retenir avec les mains pour pivoter mon corps sur cet autre pan de paroi ? » Michel Gentil sent la peur, conseille, encourage. Je panique un peu, laisse une sangle derrière moi, accroche les mousquetons n'importe où et n'importe comment, croise les pieds. Lui, tire doucement sur la corde, redonne confiance : « Tu as le temps ! »... Ouf ! Mon cœur bat la chamade. On s'arrête sur un replat. Il donne de l'eau, une pomme. Discute à nouveau.
Une espérance
Tranquillement, il parle de cette voix de Dieu qu'il a entendue une fois, puis de cette dimension spirituelle qu'il a découverte. De ce Christ qui a restauré complètement son identité et façonné « une espérance aussi solide que le granit du Grand-Capucin : belle en couleur, et digne d'être vécue en toute simplicité et liberté ! »
La deuxième moitié du chemin s'annonce plus facile, si ce n'est cette crête à traverser, alors que le vent souffle... Au final, l'apprentie-grimpeuse reste assez ahurie d'être parvenue au but, moyennant la confiance qui s'est rapidement installée avec le guide. Elle se dit qu'en quelques heures, beaucoup d'essentiel a été partagé là, entre ciel et terre, dans une vraie liberté. Les leçons de « corde » et de « chemin à suivre », elle les garde pour elle. « Il faut écouter ce que la montagne nous renvoie », a conclu Michel Gentil. A bon entendeur !
Gabrielle Desarzens
* Ancrages métalliques enfoncés dans le rocher sur lesquels sont vissées des plaquettes.