Job : un résistant universel, par Gabrielle Desarzens

mercredi 01 juin 2011
Tout perdre. L’histoire du dénuement de Job s’illustre de manière multiple et fracassante à travers le monde. Pierre Assouline, personnalité littéraire parisienne, en rend compte dans son dernier livre : « Vies de Job ». Rencontre.
De la victime du tremblement de terre à celle qui doit fuir les conflits de sa région : « Il y a aujourd’hui des millions de Job », indique l’écrivain et journaliste français Pierre Assouline. Mais se dégage de ce personnage avant tout une figure majeure de résistance, estime-t-il.
Le récit de Job est particulier : on le retrouve dans toutes les civilisations, même avant l’ère biblique. Et au fil du temps, le personnage a tour à tour inspiré ou irrité nombre d’écrivains, de philosophes, de théologiens, de peintres, de musiciens, de poètes, de cinéastes ou encore de metteurs en scène. Présent dans les trois religions monothéistes comme dans l’imaginaire collectif, il reste aujourd’hui encore une référence en matière de souffrance humaine. « Job a toujours été là quelque part dans mon esprit, exprime Pierre Assouline, qui vient de signer un livre à son sujet. J’ai écrit la biographie de Gaston Gallimard, de Simenon, de Hergé ; je me disais que Job, ce n’était pas possible, car il n’a sans doute jamais existé ; et comment faire la biographie de quelqu’un dans ce cas-là ? Et puis Job s’est imposé. Parce qu’il est des nôtres, qu’il est fraternel. Parce qu’on peut tous s’identifier à lui : ce qu’il a éprouvé, on l’a tous éprouvé. » Rencontré récemment avant qu’il ne donne une conférence à la Maison de l’Histoire de l’Université de Genève, Pierre Assouline, le regard bleu, le verbe clair explique : « Dès le départ, Job est universel. Il n’est pas israélite, il n’appartient pas à une religion particulière. Son histoire a dès lors remporté un succès jamais démenti depuis 25 siècles environ. Et il aide véritablement des hommes à vivre, à affronter le mal, la maladie, l’absence, la mort des proches. »
 
« Je cherche Job... »
Pour le biographe, l’histoire de Job se lit dans la situation de Joseph K du Procès de Franz Kafka : un châtié à la recherche de sa faute. « Il ne sait pas pourquoi on lui fait subir tout cela ; c’est la situation quotidienne de millions de gens aujourd’hui. » Mais comme tout chef-d’œuvre, le texte jobien « formule mieux que je ne saurais le dire ce qui m’arrive », estime-t-il. Non sans souligner que Job est porteur d’une sagesse essentielle, qui consiste à apprendre à ne pas se résigner. « Pour moi, c’est de longue date un modèle de résistance ; le plus admirable, en fait. » Ce modèle, Pierre Assouline l’a découvert jeune, à l’âge de 16 ans, à la mort de son frère. Il dit d’ailleurs être né à cet âge-là, à l’écoute des paroles du rituel juif de deuil, « avec Job pour invisible parrain ». En écrivant sur cet épisode de sa vie, « j’ai compris qui j’étais », résume-t-il pudiquement.
Dans les quelque 500 pages qu’il lui consacre, Pierre Assouline emmène le lecteur dans l’immense parcours qui l’a conduit pendant 4 ans à visiter les musées et bibliothèques du monde entier : « Je cherche Job. — C’est par là... », a-t-il entendu moult fois pour se trouver enfin face à un mur de livres consacrés au personnage. Au fil des chapitres, l’enquêteur fait connaître ses découvertes, ses surprises et ses interrogations. Tiens, pour un homme dont on n’est pas sûr s’il a véritablement existé, le nombre de tombeaux foisonne... ! Et puis ce constat : « Job est des nôtres, car sa vraie misère est la nôtre. Un certain nombre de siècles ont passé depuis son problème avec Dieu, mais les questions qui se posent dans son livre se posent encore sans que les réponses nous satisfassent. »
 
Job en moi
Alors l’enquêteur cherche encore, lit et rencontre celles et ceux qui ont étudié le personnage. A Paris, le rabbin Joseph Cohen lui dit que Dieu envoie des épreuves à Job pour faire ressortir le fond de sa personnalité. « Jusqu’alors, [Job] a campé en être superficiel sur ses bords ; or, tant qu’on n’est pas passé par la souffrance, on ignore l’intériorité. » A Lausanne, cette femme déclare que le chômage lui fait dire qu’elle est Job. « Son livre m’apporte plus de questions que de réponses. C’est en cela qu’il m’aide. »
Pas de morale tirée des nombreuses rencontres et observations que Pierre Assouline a faites ; pas de conclusion, si ce n’est celle que la souffrance révèle l’homme à lui-même. Et que l’on peut lire cette histoire « comme une invitation à se parcourir et se visiter ». Et l’exercice n’est jamais terminé, confie-t-il.
Gabrielle Desarzens
Pierre Assouline, Vies de Job, Paris, Gallimard, 2011.
 
Pierre Assouline, Lytta Basset et Pierre-André Pouly ont été les invités de l’émission A vue d’Esprit sur RSR-Espace 2 du 23 au 27 mai. Il est possible d’écouter ou de podcaster ces émissions sur : www.esprit.rsr.ch. Ces émissions seront rediffusées du 22 au 26 août prochain.

  • Encadré 1: Une figure christique
    A la demande de ses paroissiens, le pasteur réformé résident de Crêt-Bérard (VD) Pierre-André Pouly a prêché sur Job tous les dimanches d’août à décembre dernier. La Passion du Christ a souvent été mise en résonnance avec l’épreuve de Job ? Tous deux ont souffert, crié à Dieu ; et n’ont pas eu des amis qui ont su les soutenir. Et leur parole qui dit le mal insupportable, inacceptable, est légitime, estime-t-il. Dans la salle du clocher de la maison de Crêt-Bérard qu’il dirige, notre homme feuillette les pages de la Bible. « Je défends le fait que Job – qui préfigure la personne du Christ – est à la fois détenteur d’une grande sagesse et qu’il incarne en même temps la parole qui rend compte du malheur que connaît le monde dans lequel on vit », dit-il.
    La grande morale de cette histoire ? « Job refuse une sorte de système moral ou religieux dans lequel la souffrance serait légitime. Et Dieu lui donne raison ! Par extension, cela signifie que MA parole qui dit MA souffrance dans MON histoire a une valeur intrinsèque. C’est fondamental. Cela signifie que le salut n’est pas de se conformer à un ordre donné, mais qu’il intervient dans la relation. C’est ma clé de lecture de ce livre, mon credo. »
    G.D.
  • Encadré 2: Un modèle de colère
    Sa thèse de doctorat avait porté sur Job. Pour la théologienne Lytta Basset, ce livre de l’Ancien Testament est « de la dynamite » et peut ouvrir un chemin de libération extraordinaire. « Si Job a eu des moments de grande dépression, il a aussi exprimé des colères extrêmes, qui ont permis un tournant dans sa vie. Ces sentiments de fureur l’ont maintenu en relation avec les autres, avec Dieu et lui ont permis de rester en vie », estime-t-elle.
    Rencontrée dans sa maison de la Côte lémanique, la théologienne parle avec passion de l’actualité toujours brûlante de ce livre. Elle reprend l’une des thèses d’un des ouvrages qu’elle a publiés sur le thème de la colère pour affirmer qu’il y a un « non-savoir » fondamental dans ce qui arrive à l’être humain en termes de souffrance. Et que le salut consiste à considérer les énergies de vie qui en découlent. « En exprimant sa colère, Job fait un choix de vie », souligne-t-elle.
    Et le personnage incarne de facto toute une part de l’humanité, car avec les fléaux que l’on connaît en termes de catastrophes naturelles ou de maltraitance, on sait aujourd’hui plus que jamais que l’être humain n’est pas à l’origine de ce qu’il subit.
    G.D.
    Lytta Basset, Sainte colère, Genève, Labor et Fides, 2002.
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