D’emblée, je voudrais avertir mes lecteurs que je suis très critique quant aux relations de l’Eglise au monde financier. Je suis d’autant plus acerbe que je travaille à plein temps en entreprise et que je suis journellement au contact de l’e-commerce, du marketing et des contingences financières. Faut-il préciser que je suis à l’aise dans mon job et que je n’ai pas d’appréhension à gagner de l’argent ! Il en va tout autrement pour l’Eglise. Dans mon ministère, j’ai dû apprendre à travailler avec une autre mentalité quant aux questions financières, non pas qu’il y ait dichotomie entre mon existence en entreprise et celle en Eglise, mais plutôt une portée différente.
De bon ton
Pour parler du chantier financier de l’Eglise, je voudrais surtout me référer à la question du pouvoir. Mammon est un puissant pouvoir qui a pourri la vie des chrétiens et du monde depuis la nuit des temps. À la différence du passé, aujourd’hui, l’argent est le pouvoir central dans notre monde. Il n’a que très peu de contre-pouvoir et il devient de bon ton, surtout dans nos pays européens, de l’afficher. Ce n’est pas innocent qu’un président en France, qui se dit vouloir être le président de tous les Français, se prélasse, après son élection, au vu et au su de tous, sur le yacht d’un de ses amis milliardaires. Même si les présidents précédents n’étaient pas des angelots en la matière, au moins ils avaient la pudeur de ne pas s’afficher ostensiblement avec les plus riches.
Une Eglise politicarde
L’Eglise s’est toujours fait avoir par les différents pouvoirs. Lorsqu’elle a frayé avec l’empereur Constantin dans les premiers siècles, elle est devenue éminemment politique et l’Eglise catholique, issue de ce lignage, l’est encore en grande partie aujourd’hui, détenant même un territoire (le Vatican), une armée (les Gardes suisses), une administration, des ambassadeurs (les nonces apostoliques) et un certain pouvoir politique !
Comment peux-t-on imaginer qu’une figure de proue de la chrétienté comme Bernard de Clairvaux (1090-1153) ait pu prêcher la deuxième croisade à Vézelay ? Il a simplement raisonné selon le pouvoir dominant. Pour nous, aujourd’hui, ce côté politique et politicard de l’Eglise nous est complètement étranger.
Une Eglise « intellectuelle »
Plus tard, les réformés et les luthériens, issus des milieux humanistes et universitaires de la Renaissance, sont devenus des chrétiens dominés par l’université et l’école, nouveau pouvoir en Occident. Au XIXe siècle, les évangéliques ont réagi contre cet intellectualisme froid et raisonneur en lançant un vrai contre-pouvoir où on a redonné de l’importance aux prédicateurs laïcs, non formés dans le sérail de l’Académie, ainsi qu’à des pratiques comme les dons spirituels pour le pentecôtisme, qui ne pouvaient pas s’apprendre sur les bancs de l’école.
Une Eglise riche
Le mouvement évangélique est né avec l’essor de l’industrie en Europe, marchepied du capitalisme. Il a beaucoup « guerroyé » sur le plan doctrinal pour se faire une place au soleil, alors qu’un pouvoir plus puissant le guettait. Il a passé son temps à s’opposer aux Eglises officielles et historiques, sans se rendre compte qu’elles allaient de toute façon perdre de leur importance et de leur influence.
Ces dernières années, les évangéliques ont lancé « Le défi Michée » ou « Stop Pauvreté 2015 », tout en vivant dans le cadre de l’Eglise comme des « riches ». Avec une mentalité de riches, comparable à la mentalité du Moyen Age marquée par la politique ou à celle des XIX et XXe siècles qui croyait que l’élévation de la qualité de l’enseignement dans les facultés de théologie allait promouvoir une spiritualité plus engagée !
Mentalité de riches ? Evidemment, lorsqu’on pense que sans investissements financiers, sans appel aux donateurs, on ne peut pas faire progresser une œuvre d’une manière significative! Les premiers apôtres sont partis les mains vides pour conquérir le monde. Ils ont commencé dans une petite localité de l’empire Romain pour arriver dans la capitale, à coup de naufrages, à coups de petits boulots (Paul, l’intérimaire de la tente), à coup de passages en prison. Ils n’avaient (pas encore) la mentalité du politique, de l’intellectuel, du financier, même s’ils n’hésitaient pas à avoir des amis politiques, à se cultiver, à étudier, à gagner de l’argent, à faire des collectes.
Si je pousse le raisonnement à fond, je dirais que, dans quelques décennies ou quelques siècles, les Eglises évangéliques seront dominées par des multinationales, ayant leurs services financiers offerts à la population tout entière, leurs sociétés de marketing, leurs business plans, leurs supermarchés avec bien sûr des rayonnages de bibles (avec notre audiobible, bien sûr !) pour se dédouaner, ses télés dites chrétiennes, mais financées par la pub… Et tout le monde trouvera cela normal comme Bernard de Clairvaux a trouvé normal d’envoyer des armées pour libérer le tombeau (vide) de celui qui a dit : « Heureux les doux, car ils hériteront la terre » (Mt 5,4).
Haro sur Mammon
Pourtant, je ne me fais pas de soucis. Dieu enverra un vrai réveil qui mettra les pendules à l’heure. Comme par le passé, ces nouveaux « pauvres » vont se faire « caillaisser », embastiller, calomnier, traiter de dissidents financiers, d’idéalistes, voire de sectaires, mais c’est eux que l’on retrouvera sur le devant de la scène pour un temps et si le Seigneur ne revient pas avant, comme les précédents, ils seront absorbés par leur propre système qu’ils auront élaboré avec beaucoup de larmes et d’abnégation. Ainsi va la vie… de l’Eglise ! Mais en attendant, haro sur l’argent qui gangrène nos communautés !
Quelques pistes pratiques
Il faut donc aborder les relations Eglise-argent avec une nouvelle mentalité. On ne combat pas un pouvoir à coup de programmes d’application. Lorsque nous pensons qu’une œuvre peut difficilement se développer sans apport d’argent, c’est que nous sommes déjà dans une fausse position… de combat. On enseigne bien que, par exemple, dans le sport, le mental est déterminant pour gagner un match. Donc, c’est bien d’entrer dans une démarche financière avec un certain nombre de convictions :
- L’Evangile est gratuit. Si nous mettons des péages sur les chemins d’accès à la foi, ne contredisons-nous pas cette notion de gratuité en vendant par exemple des tickets d’entrée à une manifestation chrétienne ?
- La pauvreté, pas la misère, ni le misérabilisme, est un « must » dans la théologie chrétienne, y compris dans le domaine financier. Comment aborder nos ministères sous cet angle-là ? Sous prétexte de faire avancer le Royaume de Dieu, nous construisons souvent des « cathédrales », pas vraiment nécessaires à l’exercice de la foi chrétienne.
- Le modèle de financement par excellence, dans la perspective biblique, c’est de vivre, comme on dit dans le jargon, par « la foi ». On n’entend plus tellement parler dans nos milieux de ce genre de comportement. C’est vrai que c’est dur et astreignant...
- Le « faiseur de tentes » est un autre modèle biblique. Hélas, il est très peu soutenu par l’Eglise ou, bien plutôt, l’Eglise ne prend pas la peine d’organiser ses ressources humaines en fonction de cette donne. Bien des pasteurs supporteraient mieux leur charge pastorale en travaillant, par exemple à mi-temps en entreprise. On pourrait alors engager un pasteur supplémentaire...
- Le financement personnel est un autre chemin d’excellence. Un groupe de jeunes veut monter une comédie musicale qui demande pas mal de finances ? Pourquoi ne feraient-ils pas une croix sur leurs vacances, leurs soirées au ciné ou à des concerts, leurs voyages à Barcelone ou à Bruxelles pour financer leur travail, au lieu de faire payer une entrée ? C’est un excellent placement pour l’éternité !
- Le partage de ressources est le modèle par excellence dans la foi chrétienne. Combien d’entre nous ont des ordinateurs hyper-puissants dont ils ne se servent pas vraiment ? Je donne un exemple : j’enregistre mes commentaires audio pour la vidéo, dans une des chambres de mon appartement. Je n’ai ni le matériel, ni l’environnement adéquat, mais je suis convaincu que certains chrétiens sont super bien équipés. Au lieu de devoir acheter mon matériel, pourquoi ne pas utiliser celui de mon frère ?
Et comme en mai 68, l’imagination au pouvoir !
Henri Bacher, directeur de Logoscom