En général, les chrétiens abordent le futur avec les lunettes du passé. Ce qui n’est pas faux en soi, même si l’exercice peut s’avérer limité. Je prends par exemple la question de l’individualisme. On tire à boulet rouge sur cette génération qui s’isole par rapport à la communauté familiale, qui ne veut plus soutenir les institutions traditionnelles, qui veut jouir seule de la vie sans prendre ses responsabilités vis-à-vis de son groupe social. Ce travail d’analyse, nous le faisons par rapport à notre passé européen. Pour nous, communauté veut dire : se rassembler « en tas » le dimanche matin ou en semaine pour « têter » à la même mamelle spirituelle. L’individualisme se manifeste justement par le comportement de ceux qui voudraient avoir autant de « mamelles » que de désirs.
Décadence ou repositionnement ?
L’Eglise, en critiquant le monde actuel sur la base de sa propre expérience culturelle du passé, ne voit pas ce qui est en train de se dessiner sous ses yeux. L’homme est un animal social. Il n’est pas créé pour vivre seul et même le péché ne pourra pas faire disparaître cette donne fondamentale de l’humain. Il pourra la perturber, mais pas l’éliminer. Ce besoin d’individualisme qu’on a ressenti et vécu ces dernières décennies, n’est peut-être pas tant le reflet d’une décadence que l’expression d’une nouvelle recherche d’un style de vie plus adapté à notre environnement.
On ne peut pas sauter d’un seul coup d’un type de sociabilité dans un autre, sans passer par des stades intermédiaires. On conseille bien aux jeunes qui veulent se marier, d’apprendre à vivre un certain temps seuls, sans compagnon, afin de mieux se préparer pour la vie commune. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer que l’individualisme de notre société n’est qu’une manière de se détacher des ornières du passé pour mieux construire quelque chose de nouveau ?
Des communautés par milliers !
Savez-vous qu’aujourd’hui il y a des centaines de milliers de communautés qui se sont créées sur le net ? Ne les traitez pas de superficielles, même si certaines le sont. Prenez le cas de Craig Newmark, un informaticien de la région de San Francisco. Il a commencé, vers 1995, par envoyer à ses amis des mails avec des petites annonces sur des tuyaux de location d’appartements, des places de travail vacantes, etc. Il voulait rendre service et, à l’époque, ce genre de partage ne se faisait pas sur le web. Finalement, le bouche à oreille a tellement bien fonctionné que des millions de personnes consultent et alimentent les sites web issus de cette première expérience. Il a réussi à créer une immense communauté d’intérêts qui s’étend sur le monde entier. Regardez vous même sur : www.craigslist.org. Craig Newmark a lâché son job principal pour se consacrer à ses sites. Ils ne sont actuellement qu’une petite équipe de vingt-deux personnes et les salaires des dirigeants ne sont pas calculés d’après le volume des transactions. D’ailleurs, tout est gratuit, sauf les annonces des agences immobilières. Ils le disent eux-mêmes : leur plus grande satisfaction, c’est de rendre service aux gens et pas de faire fortune comme certains magnats du net ! Je rêve ! Ils fonctionnent comme des chrétiens !
En fait, le nouveau système communautaire qui est en train de se mettre en place est simplement différent de celui que nous connaissions. Lorsque je regarde vivre mes quatre enfants, dont la plupart sont mariés, je constate qu’ils ont réussi à créer des réseaux sociaux, des sortes de tribus extrêmement solides et interdépendantes. Les points d’articulations principaux ne sont plus les parents ou la communauté ecclésiastique, comme jadis, mais les copains, les cousins... Est-ce un péché ?
Et c’est bien ça l’enjeu : comprendre que la configuration des communautés actuelles ne ressemble pas à celles de hier.
Questions :
1. Quels sont les ingrédients mis en œuvre pour forger la notion communautaire dans un réseau ?
2. Faut-il amener les réseaux dans la communauté actuelle ou bien l’inverse ?
3. Comment évangéliser des réseaux ?
4. Est-ce que les centres de formation actuels préparent des responsables pour des communautés-réseaux ou continuent-ils à les former pour les communautés classiques du passé ?
Henri Bacher
Logoscom