"Le défi de vivre le mandat missionnaire comme partenaires" par David Valdez

jeudi 01 mai 2014

Début mai, le Mouvement de Lausanne marque ses quarante ans par diverses rencontres et célébrations en Suisse romande. L'occasion de poursuivre et de terminer le parcours que David Valdez, pasteur à la Rochette, l'Eglise évangélique libre de Neuchâtel (FREE), consacre au dernier document majeur de ce mouvement évangélique : L'Engagement du Cap.

« Nous devons laisser de la place à un esprit de partenariat dans lequel les femmes et les hommes ainsi que les gens issus de groupes ethniques différents unissent leurs mains en Christ, pour apporter l'Evangile jusqu'aux extrémités de la terre. » Lors du congrès qui s'est tenu au Cap en octobre 2010, le directeur international du Mouvement de Lausanne, Lindsay Brown, a insisté sur l'importance du partenariat en mission. La mission est centrale à la vision du Mouvement de Lausanne, mais une telle vision ne pourra voir le jour que si l'Eglise met tout en œuvre pour que les chrétiens de toutes traditions soient en mesure de réfléchir et d'œuvrer ensemble (1). Le plus grand combat spirituel de l'Eglise est de lutter contre le Satan qui empêche l'Eglise d'œuvrer à un tel projet. Ramez Attalah, secrétaire général de la Société biblique en Egypte, a rappelé dans sa prédication sur le chapitre 6 de la lettre de Paul aux Ephésiens (2) que les chrétiens ne prennent pas suffisamment conscience des projets du Satan. Ces derniers s'étonnent que l'Evangile touche si peu de personnes dans certaines régions du monde, mais, dans sa lettre aux Ephésiens, Paul rappelle à ses lecteurs qu'il faut d'abord et avant tout lutter contre le Satan et les esprits du mal (6.12). Il est vrai que nous pourrions nous sentir facilement déstabilisés par ces réalités célestes, mais il est important de réaliser que l'Eglise est bien plus grande que nous l'imaginons. Dieu fait croître son Eglise d'une manière exceptionnelle. Les chrétiens doivent toutefois être attentifs et prêts à lutter pour que le mandat missionnaire qui est rappelé dans l'Evangile («faites de toutes les nations des disciples... », Mt 28.19) soit une réalité. Ramez Attalah souligne que, pour relever le défi de vivre ce mandat missionnaire, il est fondamental pour l'Eglise de s'appuyer sur des valeurs, des convictions et des ressources essentielles. Les chrétiens sont appelés à prendre « toutes les armes de Dieu » pour résister au mauvais. Il est question de la ceinture de la vérité, car sans la vérité de l'Evangile, nous ne pouvons pas nous engager dans le combat spirituel ou dans la défense de l'Evangile ; de la cuirasse de la justice qui permet au cœur de rester intègre ; des chaussures de l'Evangile de la paix qui reflètent la paix qu'il y a entre Dieu et nous, et que nous pouvons transmettre à d'autres. De telles valeurs s'accompagnent de convictions incontournables. Ramez Attalah insiste sur le fait que nous avons besoin de croire que Dieu est un Dieu d'amour, qu'il nous donne la vision des grandes choses auxquelles il nous appelle. Cependant, il faudra suffisamment de courage pour prendre part à de tels projets. Pour nourrir une telle foi et prendre part à ces projets, le chrétien doit puiser dans les ressources que sont la Parole de Dieu, qui est l'épée de l'Esprit, et la prière (6.19, 20). Le Mouvement de Lausanne désire aider l'Eglise à trouver des solutions concrètes pour enrayer une déficience des connaissances bibliques parmi les chrétiens. C'est seulement ainsi que l'Eglise pourra relever le défi de vivre le mandat missionnaire.

Le défi de réfléchir à une Eglise polycentrique
Le Mouvement de Lausanne reconnaît non seulement que l'unité dans la vérité de l'Evangile, nourrie par les Ecritures saintes, permet à l'Eglise de prendre part à la mission de Dieu, mais il réalise que l'Eglise dans sa globalité ne peut plus se permettre de fonctionner comme par le passé où la mission chrétienne n'avait qu'une seule source : l'Occident. Dans sa conférence, Patrick Fung, le directeur de la mission OMF, rappelle que si l'Eglise tout entière désire proclamer l'Evangile tout entier au monde entier, il lui faudra équilibrer ou égaliser les différentes influences en son sein (3). Samuel Escobar, le théologien colombien, a souvent lutté par le passé en disant que l'esprit impérialiste ne devait pas avoir de place dans la tâche théologique et missionnaire de l'Eglise. Le visage du christianisme a changé très profondément depuis que l'Eglise connaît une croissance plus que significative dans les « pays du Sud ». Les principaux centres du christianisme ne se situent plus uniquement dans les villes de Rome, de Canterbury, de Wheaton, de Strasbourg, de Zurich ou de Genève, mais les poumons de la foi chrétienne sont à Buenos Aires, Sao Paulo, Santiago du Chili, Nairobi, Lagos, Tizi-Ouzou, Séoul, Shanghaï et dans bien d'autres endroits qui ne sont pas en Occident ! L'Evangile se répand vers des populations qui n'avaient eu jusqu'ici que très peu de contacts avec le christianisme. La mission n'est plus forcément un mouvement de « l'Ouest vers le reste du monde», mais plutôt « du monde entier vers le monde entier ». Des missionnaires brésiliens servent en Afrique, des Africains en Grande-Bretagne, en Belgique ou en France, des missionnaires indiens aux Etats-Unis, des Coréens en Asie centrale, des Philippins dans les Etats du golfe au Moyen-Orient. L'Eglise est donc devenue polycentrique. Il est dorénavant important de vivre cet équilibre et cette égalité entre chrétiens de toutes les nations dans la mission de Dieu. Le théologien indien Paul Joshua Bhakiaraj se permet d'ajouter dans un article sur le thème du leadership (4) que « l'Evangile ne sera pas forcément associé à l'Occident, et l'histoire de l'Eglise ne sera pas un récit à dominante occidentale dans les domaines politiques, économiques ou théologiques. Ce polycentrisme doit se répandre à travers le monde, avec l'enracinement de l'Evangile dans de nombreuses cultures et traditions locales. » Par le passé, les pays occidentaux ont non seulement financé la mission sur les différents continents, mais ils ont installé localement des Eglises occidentales coupées de la culture locale. Aujourd'hui, la situation a complètement changé. De par sa diversité, l'Eglise est mieux à même d'atteindre le monde entier avec l'Evangile. Encore faut-il que les Eglises d'Occident acceptent de se mettre sur pied d'égalité avec celles qui viennent d'autres continents, et dont les communautés locales sont établies dans des régions pauvres !

Le défi d'oeuvrer pour le partenariat mondial
Dans sa conférence au Cap, Patrick Fung fait référence à plusieurs facteurs à prendre en considération pour permettre à l'Eglise de poursuivre sa croissance. Il parle tout d'abord de la puissance de Dieu, en faisant référence aux premières années de l'Eglise. En effet, il affirme que la première Eglise a connu une telle croissance non pas grâce à certains leaders charismatiques ou grâce à des stratégies particulières, mais tout simplement grâce à la puissance de Dieu dont étaient revêtus ces premiers chrétiens qui étaient pauvres, sans instruction, mais qui, reconnaissant la Seigneurie du Christ, ont proclamé l'Evangile en étant prêts à payer le prix. Une telle puissance de Dieu ne s'est pas uniquement manifestée au travers de la prédication, mais elle est devenue aussi évidente par la générosité qui s'est exprimée entre les Eglises de l'époque, qui vivaient de manière interdépendante. Il y avait, par exemple, entre les Eglises d'Antioche et de Jérusalem ce désir de donner et cette humilité à recevoir. Cependant Patrick Fung se permet d'ajouter que, si la générosité ne se vivait que dans un sens, elle pourrait freiner la croissance de l'Eglise. Il donne l'exemple de leaders chinois qui lui ont dit un jour : « Ne nous donnez pas d'argent, parce que l'argent divise l'Eglise. » Il est fondamental de se souvenir que le partenariat en mission ne peut se limiter à des questions uniquement financières. Les Eglises de toutes les régions du monde ont des ressources qu'elles peuvent se partager les unes avec les autres. Les Eglises sont ainsi invitées à donner dans la joie et elles sont appelées à accepter dans l'humilité ce que les autres désirent leur offrir. Par conséquent, il sera fondamental que les Eglises soient prêtes à se sacrifier pour s'aider les unes les autres dans la proclamation de l'Evangile dans le monde entier. Patrick Fung rappelle également qu'une autre base d'un bon partenariat entre les Eglises est la réconciliation. Il n'est pas seulement question d'une réconciliation entre les groupes ethniques et les différentes générations, mais il est également question d'une réconciliation entre hommes et femmes dans le ministère. Le couple Segraves a donné un exposé intitulé : « Le partenariat hommes-femmes dans le nouvel équilibre mondial » (5). Ils ont insisté sur le fait que Dieu appelle les gens au salut, pour ensuite les envoyer dans le monde dans le but de travailler ensemble comme un seul corps, équipés de dons spirituels pour étendre son règne sur terre. Les questions qu'ils ont soulevées sont fondamentales. Ils ont demandé aux participants du congrès si Dieu distribuait les dons spirituels en fonction du genre, si Dieu accordait des dons de leadership aussi bien aux femmes qu'aux hommes. Ils se sont permis de rappeler que de nombreux chrétiens estiment que la femme ne peut exercer qu'un ministère auprès des enfants et des autres femmes. Une telle position serait-elle bibliquement défendable ? Quoi qu'il en soit, toutes ces questions nous conduisent à nous demander si le fait de restreindre ou de libérer les femmes pour un leadership spirituel pourrait avoir un impact sur le mandat missionnaire auquel l'Eglise est appelée. Le couple Segraves a rappelé la vision du Mouvement de Lausanne sur cette question, en disant que les hommes et les femmes ont reçu des dons de Dieu et que leur partenariat est nécessaire pour l'évangélisation du monde. Les Segraves citent le Manifeste de Manille, fruit du deuxième Congrès mondial de Lausanne en 1989 : « Nous affirmons que les dons de l'Esprit sont accordés à tout le peuple de Dieu, aux femmes comme aux hommes, et qu'il faut encourager la collaboration de tous dans l'œuvre d'évangélisation, pour le bien commun » (Affirmation 14, 1989). Ils citent encore le résumé des Déclarations du forum de Lausanne 2004 : « Nous appelons l'Eglise partout dans le monde à œuvrer en faveur d'un partenariat plein et entier entre hommes et femmes pour l'évangélisation du monde, en valorisant au maximum les dons des uns et des autres. »
Sans entrer dans l'argumentation théologique présentée par les Segraves, ce couple a comparé le partenariat hommes-femmes à la Trinité, en s'appuyant sur le travail d'Athanase et sur les Symboles de Nicée (325) et de Nicée-Constantinople (381). Ils affirment que « l'Eglise déclare qu'il n'y a pas de hiérarchie au sein de la Trinité ». Les Segraves ont aussi ajouté que « l'accueil que l'Eglise réserve aux femmes lui permet potentiellement de manifester la puissance et la vérité de la réconciliation dans un monde brisé, tandis que l'exclusion, basée sur des critères d'origine ethnique, de genre ou de classe sociale, ne fait que reproduire l'injustice de ce monde fragmenté ». Le partenariat hommes-femmes reste donc incontournable pour que l'Eglise entière puisse proclamer l'Evangile entier au monde entier. Il s'agira donc d'éduquer, d'équiper et de libérer les hommes et les femmes aux ministères que le Dieu trinitaire offre à Son Eglise.

Le défi de mourir à soi-même
Afin de pouvoir entrer dans cette vision d'un partenariat mondial pour l'Eglise, il est donc nécessaire de renoncer à certaines positions théologiques secondaires qui nous animent et, de manière générale, de « mourir à soi-même ». Patrick Fung rappelle que, lors de la conférence missionnaire qui a eu lieu à Edimbourg en 1910, les participants aspiraient à ce que le monde entier soit touché par l'Evangile, et pourtant, lors de ce moment historique, il y avait très peu de délégués provenant d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique latine. Lors du congrès qui s'est tenu au Cap en 2010, plus de la moitié des délégués venaient des « pays du Sud ». Les Occidentaux ne représentaient plus une majorité, étant donné que la croissance de l'Eglise a connu une poussée remarquable dans les régions d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud. Les missionnaires, d'ailleurs, viennent majoritairement de ces continents. On entend même souvent dire aujourd'hui que la mission chrétienne appartient aux Chinois ou aux Coréens ! Il faut reconnaître qu'ils sont très actifs dans de nombreuses régions du monde. La Corée est connue pour avoir envoyé plus de 20 000 missionnaires vers plus de 160 pays. La Chine compte une population chrétienne de plus de 70 millions de personnes, et les Eglises chinoises témoignent d'un intérêt croissant pour l'évangélisation du monde. Cependant, le grand risque de ces « nouveaux missionnaires » est qu'ils commettent les mêmes erreurs que les Occidentaux par le passé. Patrick Fung affirme : « Je suis préoccupé du risque que nous, les Asiatiques, ne répétions la même erreur que nos frères occidentaux pourraient avoir commise dans le passé – c'est-à-dire, assimiler la puissance économique et politique aux avancées de la propagation de l'Evangile. Nous continuons à renforcer la perception que la propagation de l'Evangile va toujours des puissants aux impuissants, de ceux qui ont vers ceux qui n'ont pas. Il existe un sentiment de triomphalisme asiatique qui m'inquiète. » Nous sommes donc invités à reconnaître qu'aucun groupe ethnique, aucune nation ne peut revendiquer le privilège exclusif de porter à son terme le mandat missionnaire.


***

L'Eglise est cette communauté créée par la grâce divine en Jésus-Christ, rassemblant des personnes de toute tribu et de toute nation, pour qu'elle annonce la Bonne Nouvelle au monde entier. Cette nouvelle communauté doit être une communauté d'encouragement et d'apprentissage mutuels. Toutes les Eglises sont appelées à vivre dans cette interdépendance les unes des autres, pour qu'elles soient toutes en mesure de dire l'Evangile entier au monde entier. Les chrétiens qui ne sont pas issus de l'Occident sont invités à relire l'histoire de la mission protestante occidentale moderne, car la foi et la persévérance de ces missionnaires ont conduit à la croissance de l'Eglise dans de nombreuses régions du monde. Cependant, les Occidentaux sont également invités à observer le dynamisme spirituel émanant du Sud, qui pourrait devenir une source d'inspiration utile pour la croissance de l'Eglise dans leurs contrées.
Nous sommes invités à vivre ce partenariat à l'échelle mondiale. Il doit découler d'un profond sentiment de gratitude envers Dieu, par ce que le Christ a accompli dans sa mort sur la croix. Le Christ a détruit les obstacles, le mur d'hostilité qui nous divisait et qui nous séparait de Dieu et les uns des autres. Il nous invite à l'égalité et au respect entre tous les chrétiens. Un tel partenariat est cruciforme. Il nous invite à « mourir à nous-mêmes ». Une telle démarche nous permettra d'apporter au monde un témoignage plus efficace à l'Evangile.
David Valdez

Notes
1 Voir : « Etre partenaire dans le Corps du Christ pour l'unité dans la mission », dans coll, L'Engagement du Cap, Une confession de foi et un appel à l'action, Marpant, BLF Europe, 2011, p. 84-90. Voir aussi les autres contributions de David Valdez autour de ce document.
2 Voir l'enseignement de Ramez Attalah.
3 Voir l'enseignement de Patrick Fung.
4 « Les responsables locaux dans l'Eglise mondiale ».
Voir aussi l'enseignement de Paul Joshua Bhakiaraj.
5 Voir l'enseignement de Chad et Leslie Segraves.

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