« Monsieur P., évangéliste » par David Richir

mardi 21 mai 2013

A partir du donné biblique, David Richir jette un regard stimulant sur le ministère d'évangéliste. A l'heure où ce service connaît un regain d'intérêt grâce au Forum des évangélistes, l'occasion de rappeler son lien à la communauté locale.

Quelle image vous vient à l'esprit lorsque vous entendez le mot : « évangéliste » ? Billy Graham, campé sur ses deux jambes, haranguant les foules Bible en main ? Le « monsieur évangélisation » de votre communauté qui vous culpabilise par ses appels à participer à des actions dans les rues ? Ou encore le bon missionnaire blanc, tout droit sorti de Tintin au Congo, rencontrant les sauvages de l'autre bout de la terre ?
Mais qu'enseigne la Bible sur le ministère d'évangéliste ? Quels exemples nous propose-t-elle ?

L'évangéliste dans la Bible
Le terme « évangéliste » n'apparaît que très rarement dans la Bible : en Ephésiens 4.11, aux côtés des apôtres, prophètes, enseignants et pasteurs, pour désigner les ministères donnés par Jésus à l'Eglise ; en 2 Timothée 4.5, où Paul exhorte Timothée à « faire œuvre d'évangéliste » en proclamant la vérité et en corrigeant les erreurs qui circulent dans l'Eglise. Ces deux passages renvoient à un ministère, voire à une fonction dans l'Eglise, mais à quoi ressemble un évangéliste en chair et en os ?
La seule personne qualifiée d'évangéliste dans la Bible n'est ni Jésus, ni Etienne, ni Paul, mais un certain « Monsieur P., évangéliste ».
Le livre des Actes (21.8) nous parle en effet de « Philippe l'évangéliste », l'un des Sept choisis en Actes 6 pour seconder les apôtres. Pourquoi lui avoir donné ce titre ? Sans doute pour le distinguer de « Philippe l'apôtre », un des Douze. Mais on aurait pu l'appeler simplement « Philippe, l'un des Sept ». En quoi a-t-il été un évangéliste ? Quel exemple nous donne-t-il pour guider la compréhension du ministère d'évangéliste dans nos communautés ?
Philippe apparaît à trois reprises dans le livre des Actes : au chapitre 6, lorsqu'il est nommé avec six autres pour seconder les apôtres ; au chapitre 8, où il évangélise la Samarie et un haut fonctionnaire éthiopien ; et finalement au chapitre 21, bien plus tard, lorsqu'il reçoit chez lui, à Césarée, Paul et son équipe en route pour Jérusalem.

Un homme de confiance reconnu
En Actes 6, l'Eglise naissante semble être victime de son succès : il y a tellement de conversions, de dons et d'aide à distribuer, que les Douze apôtres ne suffisent plus à la tâche ! Une crise à saveur culturelle opposant les Juifs de Palestine à ceux issus de la Diaspora, les Hellénistes, menace l'unité de la communauté. Face à cet obstacle culturel, les Douze ont le courage politique de ne pas gérer eux-mêmes cette situation délicate : natifs du pays, ils seraient considérés comme juges et parties par les plaignants d'origine étrangère. Les apôtres en délèguent la gestion à sept assistants. Ils laissent même l'Eglise les choisir, tout en fixant des critères (« des hommes ayant un bon témoignage, remplis d'Esprit et de sagesse » Ac 6.3). Les Sept élus ont tous des noms à consonance grecque. Ils font sans doute partie de l'aile helléniste et seront à même d'avoir toute la confiance de la partie qui se sent lésée. Cela n'empêche nullement les apôtres de leur imposer les mains en signe de solidarité et de délégation d'autorité.
Que peut nous enseigner ce récit sur le ministère d'évangéliste ? Premièrement, qu'avant d'être établi dans son ministère d'évangéliste, Philippe – comme Etienne d'ailleurs – avait été reconnu comme un homme de confiance « ayant un bon témoignage, rempli d'Esprit et de sagesse », et qu'il avait fait ses preuves en servant ses frères et sœurs. Ensuite qu'un ministère n'est pas une affaire purement personnelle. Il y a l'appel de Dieu – qui apparaîtra plus clairement encore au chapitre 8 – mais il y a également la reconnaissance de la communauté et la délégation de la part de ses responsables. L'équilibre entre ces deux aspects est admirable en Actes 6 : ni oligarchie (les Douze imposent des critères, puis délèguent une partie de leur autorité en imposant les mains aux Sept), ni démocratie (c'est la communauté qui choisit les Sept), mais plutôt une saine compréhension du sacerdoce universel et de l'autorité accordée à des ministères spécifiques.
Jusqu'ici, notre étude ne nous apprend rien de très spécifique concernant le ministère d'évangéliste, mais elle nous rappelle que, comme tous les ministères, il voit le jour et arrive à maturité dans le cadre de l'Eglise. Si l'Eglise a besoin des ministères, les ministères ont eux aussi besoin de l'Eglise !

Quelques questions pour nourrir la réflexion
Comment mon Eglise reconnaît-elle les ministères présents en son sein (bénévoles et salariés) ?
Les responsables leur délèguent-ils réellement une part de leur autorité ?
Comment cette reconnaissance, ou son absence, influence-t-elle la communauté ? Les ministères ?

Solitaire et solidaire
Le huitième chapitre du livre des Actes est sans doute celui qui présente le mieux le ministère d'évangéliste et ses diverses facettes ! On y trouve la proclamation aux foules samaritaines, accompagnée de miracles, mais aussi l'entretien individuel autour de la Bible avec l'eunuque éthiopien ; autant de chemins pour un même but : amener à la confession de Jésus comme Sauveur et Seigneur, et au baptême signe de l'incorporation au nouveau peuple de Dieu.
Ce chapitre nous montre aussi ce qui fait la spécificité du ministère d'évangéliste : traverser les barrières pour ouvrir un chemin à l'Evangile. Si ce sont les circonstances de persécution qui ont conduit Philippe en Samarie, il n'en franchit pas moins les barrières religieuses et culturelles pour oser adresser l'Evangile à ces Samaritains honnis : jusque-là, la Bonne nouvelle n'avait été prêchée qu'aux Juifs ! Bien que ce soit un ange qui l'ait conduit sur un chemin désert à la rencontre de l'Ethiopien, il en a fallu du courage à Philippe pour dépasser les barrières sociales et culturelles qui l'en séparait !
Le danger de l'évangéliste qui franchit les barrières jusqu'en « territoire ennemi », c'est de s'y retrouver tout seul... coupé de l'Eglise, son arrière-garde ! La tentation est alors grande de construire sa communauté de son côté. Mais Philippe ne tombe pas dans ce piège, protégé par son lien avec l'Eglise : les apôtres viennent de Jérusalem pour établir la connexion entre les communautés chrétiennes samaritaines et juives, connexion attestée par la venue de l'Esprit. De même, l'eunuque est-il baptisé en signe d'appartenance à la famille de Dieu.
Finalement, après sa tâche de prêcher et de baptiser, Philippe disparaît : il quitte la foule de Samarie pour aller vers un seul homme, sur un chemin désert ; il laisse l'eunuque nouveau-né à sa joie pour être transporté dans un autre lieu... où il continuera à prêcher !
Quelles leçons tirer de ces récits ? Premièrement, que l'évangéliste se caractérise par une très grande capacité à s'adapter à son environnement. Qu'il se trouve dans un nouveau contexte à la suite d'un appel précis ou à cause des circonstances, il est capable de dire son message dans le « langage » de ses interlocuteurs. Deuxièmement, à cause de sa capacité à franchir des barrières culturelles, religieuses ou sociales, le ministère d'évangéliste se retrouve seul plus facilement qu'un autre. Il importe alors particulièrement de soigner la solidarité entre Eglise et évangéliste ; tant pour le soutien du ministère, que pour l'accompagnement des futurs convertis ! Finalement, il est essentiel que l'évangéliste puisse passer le témoin : son rôle est de prêcher et de baptiser, non d'amener à la maturité spirituelle. Y a-t-il toujours quelqu'un pour saisir le témoin et continuer la course ?

Quelques questions pour nourrir la réflexion
Avec lequel des deux portraits du ministère d'évangéliste du chapitre 8 suis-je le moins à l'aise ? Pourquoi ?
La communauté doit-elle être le « garde-fou » de l'évangéliste, ou ce dernier doit-il plutôt lui instiller sa « folie » de l'Evangile ?

L'accueil et la fécondité
Alors que son périple relaté dans Actes 8 l'avait mené à Césarée, c'est dans cette même ville que nous retrouvons Philippe installé avec sa famille. Il reçoit chez lui Paul et son équipe dans leur dernière étape avant Jérusalem et l'arrestation de l'apôtre. Philippe accueille celui qui, vingt ans plus tôt, l'avait fait fuir de Jérusalem.
Du temps a passé et Philippe n'est plus simplement « Philippe », mais « Philippe l'évangéliste », un des chrétiens de la première heure, héros de la foi... une pointure ! Luc nous apprend également que Philippe est père de quatre filles adultes qui sont prophétesses : on imagine l'animation des repas de famille ! Et comme si cela ne suffisait pas, le célèbre prophète Agabus vient de Judée pour avertir Paul qu'il sera arrêté s'il se rend à Jérusalem.
Philippe nous est présenté ici, non plus comme le proclamateur en première ligne, mais comme celui qui accueille les autres : non seulement Paul et son équipe d'évangélistes, mais également d'autres ministères. Et non seulement les accueille-t-il en visite, mais aussi dans sa propre famille : ces quatre filles sont prophétesses... et aucune n'est évangéliste !
Pourquoi cette place laissée ici à la prophétie ? Le besoin de Paul, à cette étape de son voyage, n'est pas de rappeler avec un frère évangéliste les souvenirs des campagnes d'évangélisation « du bon vieux temps ». Dans sa montée vers Jérusalem, Paul a besoin de rencontrer des prophètes pour l'encourager, le fortifier et le préparer au choc qu'il va affronter. Ces messages prophétiques alarment son entourage qui les interprète comme un encouragement à la fuite. Mais eux aussi ont besoin d'être préparés à l'emprisonnement de Paul. Et en lui parlant comme ils le font, ils sont sans doute les porte-parole des propres doutes de l'apôtre. Leurs paroles aiguisent la détermination de Paul et le prépare à l'épreuve qui l'attend. Plus que de partager de bons souvenirs avec son ami Paul, Philippe l'évangéliste discerne donc son besoin de paroles prophétiques, et laisse la place à ces ministères.
Ce dernier récit nous invite à considérer les relations entre les ministères. Il existe des temps et des circonstances pour chacun d'eux, et le bon exercice d'un ministère consiste aussi à accueillir les autres ministères et à savoir leur laisser la place. Actes 21 nous montre aussi un grand homme de foi qui vit la fécondité : un évangéliste donne naissance à quatre prophétesses. Plutôt que de les faire entrer dans le même ministère que le sien, il accepte et valorise leur ministère propre.

Quelques questions pour nourrir la réflexion
Comment est-ce que je conçois ma « fécondité » ministérielle ?
Jusqu'à quel point mes « héritiers » doivent-ils me ressembler ?
Quelle place est-ce que je laisse aux autres ministères ?

Ce petit parcours aux côtés de « Monsieur P., évangéliste » éclaire d'un jour nouveau le ministère de l'évangéliste et sa place dans l'Eglise locale. Philippe interroge chacun, évangélistes et communautés, et nous rappelle en particulier qu'aucun ministère ne peut vivre hors du corps, et que ce dernier ne survit pas sans ministère.
Que Jésus nous donne son Esprit et sa sagesse pour que nous puissions être mutuellement en bénédiction !
David Richir, pasteur dans l'Eglise évangélique L'Oasis à Morges

  • Encadré 1:

    L'évangéliste sous toutes ses formes, un livre à découvrir !
    Dans son dernier livre, très stimulant et éminemment pratique, L'évangéliste sous toutes ses formes, Raphaël Anzenberger propose de redécouvrir ce ministère donné à l'Eglise. A travers son ouvrage, l'auteur offre aux communautés un mode d'emploi pour discerner et faire fructifier ce ministère qui peut prendre jusqu'à sept expressions différentes : proclamateur, artiste, implanteur, propagateur, animateur, apologète ou gagneur d'âmes ! Chacune de ces expressions est développée par l'interview d'une personne qui incarne cette manière d'être évangéliste : Olivier Pfingstag, Pierre Lachat, Didider Chastagnier...

    Raphaël Anzenberger et d'autres, L'évangéliste sous toutes ses formes, Mode d'emploi d'un ministère donné à l'Eglise, Marpant, BLF, 2012, 224 p.

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