« La laïcité : neutralité positive ou nouvel intégrisme ? » par Olivier Favre, sociologue

Olivier Favre lundi 22 février 2016 icon-comments 1

Derrière le terme de « laïcité » se cachent différentes conceptions de la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Dans ce contexte, Olivier Favre, sociologue et pasteur au Centre de vie à Neuchâtel, opère d’utiles distinctions. Parce que la laïcité à la française est très différente des conceptions de la laïcité qui prévalent en Suisse. A creuser.

La récente polémique autour de la crèche de Noël déplacée par les Autorités de la ville de Neuchâtel révèle un flou quant à l’interprétation de la laïcité. Il est pourtant facile de le dissiper en rappelant quelques notions simples au sujet de la compréhension neuchâteloise de celle-ci, très éloignée de la notion française.

Des compréhensions diverses de la laïcité

Cette clarification semble d’autant plus utile qu’une interprétation radicale conduirait à supprimer la croix de nos cimes et de nos écussons, couper les montants attribués aux temples et Eglises par les communes et l’Etat, à interdire les allocutions des pasteurs et prêtres lors des célébrations du 1er août, etc. En France, on en arrive même à la situation absurde où un maire aurait répondu à des parents d’élèves inquiets : « Nous servons de la viande hallal par respect pour la diversité, mais pas de poisson par respect pour la laïcité » (1).

Une conception extrémiste de la laïcité se donnerait donc pour mission de traquer et d’effacer toute référence au christianisme dans la sphère publique. On s’en doute, rien n’est plus éloigné de la pratique helvétique dont les cantons reconnaissent tous, à différents degrés, les institutions religieuses comme une plus-value pour la société. Alors que la laïcité « à la française » se veut souvent combattive, voire anticléricale, c’est un tout autre esprit qui prévaut en Suisse, dont la Constitution commence par l’invocation : « Au nom du Dieu tout-puissant ! » C’est ainsi, dans le même esprit, que la Constitution neuchâteloise peut reconnaître certaines Eglises d’intérêt public, tout en se déclarant « république laïque » par ailleurs.

La laïcité « positive »

La laïcité « positive » implique en réalité deux mesures fort simples. Premièrement, c’est l’affirmation de la séparation de l’Eglise et de l’Etat dans l’idée d’une indépendance de gouvernance des deux. Ainsi, on rompt avec les anciennes prérogatives de l’un ou l’une sur l’autre. Mais ceci étant dit, rien n’empêche les relations, mêmes financières, de sorte que l’Etat neuchâtelois reconnaît certaines communautés religieuses comme « représentant les traditions chrétiennes du pays » (2). Deuxièmement, dans une logique de neutralité confessionnelle, c’est la garantie pour toutes les communautés religieuses de s’épanouir librement, sans que l’une d’entre elles soit discriminée. Autrement dit, la laïcité « positive » est garante de la liberté religieuse, ce qui inclut son expression publique.

Non à la laïcité intégriste !

A partir de là, on comprend que la laïcité neuchâteloise n’implique aucunement l’interdiction de manifestations religieuses dans l’espace public ou au sein d’institutions telles que les écoles ou les hôpitaux. Une crèche devant un édifice officiel, des chants de tradition chrétienne à Noël dans les écoles – [l’enseignement] est donné dans le respect des conceptions religieuses (3) –, la participation des Autorités au Synode réformé, à une messe festive ou à un culte cantonal évangélique, etc., sont non seulement autorisés mais souhaités par cette forme de laïcité ouverte. Dans la foulée, les représentants des Autorités neuchâteloises ont tout à fait le droit de professer leur foi chrétienne s’ils le souhaitent. Cette laïcité-là ne vise en effet pas à rejeter les expressions religieuses dans la seule sphère privée. Ce n’est pas sa vocation. Elle est simplement un mode de vivre ensemble qui assure un équilibre et permet le traitement de toutes les confessions avec respect. Nous devons donc nous méfier de toute forme intégriste de la laïcité qui viserait à gommer les références judéo-chrétiennes de notre société et, par là même, en affaiblirait périlleusement les fondements identitaires et spirituels.

Olivier Favre, Dr ès sciences sociales, responsable du Centre de vie de Neuchâtel,
collaborateur scientifique à l’Observatoire des religions en Suisse de l’Université de Lausanne

Cette opinion est parue dans l’édition du 19 février de L’Express.

Notes

1 Michel Barth, Les lois de la République et la Charia, Paris, Panthéon, 2013.
2 Constitution neuchâteloise, article 98.
3 Art. 5 Loi sur l’organisation scolaire du canton de Neuchâtel.

 

1 réaction

  • Erard mercredi, 24 février 2016 09:41

    J'ai beaucoup aimé votre message à propos de la laïcité dans l'Express.
    Je pense qu'il devrait être encore diffusé (je l'ai fait lire à toutes les personnes qui ne l'avaient pas lu), par exemple dans LIbertés Neuchâteloises dont je suis rédacteur occasionnel et qui sont sensibles à ce problème, ou doivent encore y être sensibilisées.
    J'habite à Bôle, donc non loin de Neuchâtel. Ce serait sympa de nous rencontrer, qu'en pensez-vous ?
    Avec mes cordiales salutations.

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