Comment appréhendez-vous la demande de pardon du pape François aux pentecôtistes?
C'est bien sûr un acte d'humilité fort qui force le respect. C'est une attitude profondément chrétienne : reconnaître des torts objectifs et demander pardon. Cela montre l'humilité du pape. Remarquons que Jean-Paul II a aussi formulé plusieurs demandes de pardon. Mais c'est peut-être la première fois que des évangéliques ont reçu une demande de pardon à ce niveau.
Il importe toutefois d'apporter deux nuances. D'abord cette demande de pardon est intervenue dans le cadre d'une visite privée du pape à un ami personnel. Cette visite ne revêtait donc pas de caractère officiel. Le pape a des connaissances, et parmi elles des amis évangéliques, dont ce pasteur italien, Giovanni Traettino, qu'il a connu en Argentine. Il est allé rendre visite à son ami et à sa communauté.
C'est toute la difficulté dans nos sociétés de communication où la distinction entre le privé et le public est souvent brouillée. Un acte privé se transforme vite en acte public. Donc vu le caractère privé de cette visite, il ne faudrait pas lui donner trop de portée institutionnelle.
En outre, le pape fait référence à une situation locale et historique précise. Il parle de la situation de l'Italie fasciste des années 30. Pendant cette période, il y a eu des lois répressives promulguées par le gouvernement fasciste contre les pentecôtistes. Et c'est à cet épisode que le pape fait allusion. François précise bien : « Parmi ceux qui ont rédigé ces lois et persécuté, dénoncé nos frères pentecôtistes parce qu'ils étaient 'enthousiastes', presque 'fous', il y a eu des catholiques. »
Le pape dit donc que des catholiques ont été séduits et aveuglés par cette idéologie et ont persécuté des pentecôtistes. Il ne dit pas que l'Eglise catholique, en tant qu'institution, a persécuté des pentecôtistes et que cette Eglise en tant qu'institution demande pardon aux pentecôtistes.
Qu'est-ce que cela ouvre comme perspectives pour les relations des évangéliques avec les catholiques?
Cela pourrait décrisper les relations, apporter une certaine détente, faire grandir la confiance. Certains évangéliques y seront très sensibles. D'autant plus que cela se passe en Italie où le catholicisme est largement majoritaire, et où le protestantisme évangélique et pentecôtiste, très minoritaire, est facilement assimilé aux sectes.
Le pape rend donc un grand service au niveau de la communication et de l'image des Eglises évangéliques, aux yeux de la presse et des catholiques italiens, mais aussi partout où cette information sera relayée.
Certains craignent que ce geste ne soit une porte ouverte à une unité factice entre catholiques et évangéliques. En fait, un dialogue qui se fasse sur le dos de la vérité biblique: Jésus, seul médiateur entre Dieu et les hommes, l'Eglise avant tout servante de la société et nullement au pouvoir...
A mon sens, l'intérêt du pape François pour les évangéliques ne relève pas simplement de la tactique ecclésiastique. Ce n'est pas un moyen d'enrayer les passages de catholiques vers les Eglises évangéliques, notamment sur le continent sud-américain.
Il y a une réelle sympathie de François pour les pentecôtistes et les évangéliques. Il se trouve en affinité réelle avec eux sur certains points : l'amour pour Jésus, le zèle pour la foi, la piété joyeuse et radicale... Il le fait tout en encourageant chez eux un engagement social plus marqué.
Il y a là un changement avec son prédécesseur. Le pape Benoît XVI est un théologien, un intellectuel de haut niveau. Mais il a fallu se rendre compte que son style ne passait pas et qu'il était peu médiatique.
François est différent. Il adopte une attitude résolument pastorale. Il veut donner un visage différent de l'Eglise : non pas une Eglise dogmatique, une Eglise puissante, influente, une Eglise qui dit ce qui faut croire et qui rappelle les enseignements moraux, mais une Eglise servante (peut-être s'inspire-t-il des thèses que l'on trouve dans le livre du théologien Yves Congar, récemment réimprimé, Pour une Eglise servante et pauvre2).
Il est plus prédicateur que théologien. D'ailleurs l'allocution qu'il a donnée à Caserta était peut-être même spontanée. En tout cas, elle n'a pas été rédigée très soigneusement. Chaque mot n'était pas pesé, c'était une exhortation fraternelle, un partage entre chrétiens.
Ce qui frappe aussi, c'est que le pape François est moins centré sur l'Eglise que son prédécesseur. On peut dire de lui qu'il est plus « christocentré » dans ses discours. Ce qui est plus en affinité avec la mentalité des évangéliques.
Dans sa prédication, il dit des choses assez fortes sur Jésus, sur son unicité, sur l'incarnation. « L'apôtre Jean est clair : 'Celui qui dit que le Verbe n'est pas venu dans la chair n'est pas de Dieu ! Il appartient au diable.' Il n'est pas des nôtres, c'est un ennemi ! C'était la première hérésie – nous utilisons ce mot entre nous – et c'était cela que l'apôtre condamnait : l'idée que le Verbe ne soit pas venu dans la chair. Non ! L'incarnation du Verbe est à la base : c'est Jésus-Christ ! Dieu et homme, Fils de Dieu et Fils de l'homme, vrai Dieu et vrai homme. Et les premiers chrétiens l'ont compris ainsi et ont dû beaucoup lutter, beaucoup, beaucoup, pour maintenir cette vérité : le Seigneur est Dieu et homme. »
Reste à voir les attitudes et les discours que François prononcera dans le cadre de ses rencontres avec les représentants d'autres religions...
Partagez-vous l'enthousiasme de beaucoup à l'endroit de ce pape hors norme?
J'ai une certaine admiration et du respect devant tout chrétien qui m'interpelle et qui m'encourage à aller plus loin dans ma foi. J'accepte cette interpellation de tout chrétien, quelle que soit son appartenance confessionnelle.
Le pape François, c'est indéniable, est un homme sympathique. Certainement un chrétien profond. Le pape Jean-Paul II a aussi provoqué un certain enthousiasme. C'est peut-être la personne de Benoît XVI, intercalé entre ces deux grandes figures, qui prend un coup.
Cependant, est-ce que le pape saura faire bouger la curie ? Sera-t-il un assez habile politicien ?
Il faut être patient.
Propos recueillis par Serge Carrel
Note
1 Alain Nisus a publié aux éditions du Cerf : L'Eglise comme communion et comme institution. Une lecture de l'ecclésiologie du cardinal Congar à partir de la tradition des Eglises de professants, Cogitatio fidei, Paris, Cerf, 2012, 512 p.
2 Yves Congar, Pour une Eglise servante et pauvre, Le livre-programme du Pape François, Paris, Cerf, 2014, 144 p.