« Au nom de Dieu et de la patrie » : une réaction à l’émission de la TSR

mercredi 15 mars 2006

Le 9 mars, Temps présent, l’une des émissions phares de la TSR, a diffusé « Au nom de Dieu et de la patrie », une enquête sur les évangéliques en Suisse. Focalisée sur le discours moral des évangéliques, l’émission a dressé le portrait d’un mouvement très intéressé à fréquenter les arcanes du pouvoir pour faire du lobbying pour Jésus. Prise de position.

« Au nom de Dieu et de la patrie », l’émission de Temps présent sur TSR 1 jeudi 9 mars pose question. Et plus d’une !

1. Tout d’abord sur la qualité du journalisme pratiqué. Avec les moyens considérables dont dispose l’équipe de Temps présent, en temps et en capacités de tournage, annoncer à l’antenne que les évangéliques sont un mouvement « originaire d’Amérique » est une erreur grossière. Le journaliste n’a-t-il pas eu le temps de lire quelques pages de présentation du protestantisme ? N’aurait-il pas pu lancer un coup de fil à un théologien ou à un sociologue de la religion en Suisse romande pour vérifier son affirmation ? Il aurait découvert que le mouvement évangélique plonge de solides racines en Suisse ! Du côté de Zurich notamment ! Avec des anabaptistes dont certains, au XVIe siècle, ont été noyés dans la Limmat par les notables d’alors. Raison invoquée : la mise en cause de la sécurité de l’Etat... Des racines, les évangéliques en ont aussi à Genève, au travers du Réveil du début du XIXe siècle qui est à l’origine des AESR. Ce mouvement de restauration spirituelle a traversé l’ensemble du protestantisme et marqué des personnalités reconnues aujourd’hui : Henri Dunant, Félix Neff... Dès lors dire que les évangéliques sont d’origine américaine laisse pantois !

2. Toujours par rapport à la qualité du journalisme pratiqué. La formule « les fondamentalistes chrétiens » a été scandée comme un épouvantail, tout au long de l’émission. Quand M. ou Mme Tout le monde entend le mot « fondamentaliste » aujourd’hui, des images fortes - kamikazes, bombe, attentat, sang, vies à jamais sacrifiées... - viennent à l’esprit. Parler des évangéliques suisses comme de « fondamentalistes chrétiens » aurait demandé un peu d’esprit de finesse. Au minimum une clarification des termes. Qu’est-ce qu’un « fondamentaliste » protestant par rapport à un « fondamentaliste » musulman ? Tous les évangéliques sont-ils des fondamentalistes ? Quand on dit que Georges W. Bush doit sa réélection aux fondamentalistes chrétiens, qu’est-ce que cela veut dire ? Sait-on que 40 pour-cent des Américains se définissent comme des « born again » et sont donc proches de la mouvance évangélique ? Sont-ils alors tous d’affreux va-t-en guerre, épris de sang et tueurs de liberté ? Sont-ils tous pro-Bush ?... Mais là, avec davantage de nuances, l’émission aurait perdu en rythme et ne susciterait plus la peur...

3. Des questions, cette émission en pose aussi au mouvement évangélique. Quand les médias s’intéressent à nos Eglises, quel message entrevoient-ils ? Plus fondamentalement, quelle image donnons-nous à voir au public ? A cause de certains groupes très actifs dans le milieu évangélique, un certain patriotisme s’est développé ces dernières années en se référant à certains symboles politiques forts : les drapeaux des communes suisses au Jour du Christ en 2004, le Palais fédéral avec des aumôniers évangéliques, l’organisation de manifestations sur la Place fédérale, le lancement d’initiatives ou de référendums, touchant quasi toujours à des questions d’éthique individuelle... Autant d’indices qui peuvent donner à penser au grand public que les quelque 2,2 pour-cent de la population helvétique qui se définissent comme évangéliques (selon le recensement de 2000) disposeraient d’un agenda caché et viseraient la conquête du pouvoir ! Rappelons que, dans l’histoire de la Suisse, les évangéliques ont constitué une minorité longtemps persécutée et marginalisée « Au nom du Dieu tout-puissant » ! Rappelons aussi que le Christ lui-même n’a jamais cherché le pouvoir. Son Evangile est de bout en bout service du prochain et des plus pauvres. Il n’a rien à voir avec une revendication sur les leviers de l’Etat.

4. « Au nom de Dieu et de la patrie » donnait aussi l’impression que l’un des buts des évangéliques consistait à entraîner les politiciens à prier... Certes, c’est encourageant, voire rassurant, de penser que des politiciens invoquent Dieu. Néanmoins, cette piété ne constitue pas la garantie d’une politique de qualité. Pour preuve : George W. Bush ou l’ancien dictateur et président guatémaltèque Rioss Montt de sensibilité pentecôtisante... La prière ne dispense pas de choix politiques. De gauche ou de droite ! Ces choix ne sont pas approuvés par Dieu, du simple fait qu’ils sont l’oeuvre de chrétiens. En la matière, ne soyons pas candides ! Qu’est-ce qui importe : que mon chirurgien prie avant l’opération ou qu’il soit compétent, quelles que soient ses convictions ?

5. Enfin cette émission interroge le bien-fondé de notre recours au terme de « fondamentaliste » pour nous définir. Certains en usent sans complexe, conscients du contexte historique dans lequel ce vocable a été utilisé : le début du XXe siècle et une réaction théologique qui traversait le protestantisme américain. A l’heure où le mot « fondamentaliste » caractérise tous les extrémistes qui sont prêts à se faire exploser pour une cause politique ou religieuse, ne faudrait-il pas user de cette appellation avec modération et au moins l’expliquer ? Et pourquoi ne pas purement et simplement la bannir de notre bouche ?

A ces questions soulevées par Temps présent, on peut en ajouter d’autres... Une chose est sûre. Du côté de la TSR, on a vu pire dans la superficialité du traitement de l’information concernant les évangéliques ! Par exemple l’émission « Fans de Jésus » en 1993 ! Peut-être faudra-t-il attendre encore 10 ans pour que notre TV nationale affiche un regard moins parasité d’inexactitudes, quand elle a l’amabilité de traiter de chrétiens pour lesquels l’Evangile est une authentique source de sens à la vie.

Serge Carrel, journaliste et chargé de communication dans l’Union des AESR

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