« Les Eglises évangéliques libanaises sont transformées par la crise syrienne ! » C’est ce qu’a lancé Martin Accad à une centaine de personnes le samedi 5 mars dans l’Eglise évangélique Arc-en-ciel (FREE) à Gland. Prenant son auditoire à rebrousse-poil, le théologien évangélique libanais a lancé qu’il était facile de voir le verre à moitié vide et de stimuler la peur. De son côté, il « essaie plutôt d’adopter une perspective selon Dieu » et de montrer d’abord comment le Liban connaît actuellement un retournement de situation extraordinairement surprenant. Pendant 35 ans, cette « Suisse » du Moyen-Orient était sous contrôle syrien. En 2005, cette armée d’occupation s’est retirée et, depuis 2011, c’est le peuple syrien qui « commence à nous envahir. Et on n’imagine pas que les Libanais soient capables de supporter cela… Et pourtant c’est le cas ! »
La crise syrienne réveille l’Eglise libanaise
Pour illustrer la capacité d’accueil de son pays, Martin Accad a évoqué l’exemple de l’Eglise baptiste qu’il fréquente à Beyrouth. Depuis deux ans, cette communauté s’est lancée dans l’accueil et le soutien des réfugiés. Elle est passée d’une assistance de 120 à 150 personnes au culte chaque dimanche, à deux cultes le dimanche matin, avec à chaque fois plus de trois cents personnes, et à un culte le samedi soir pour des réfugiés irakiens. « Dans l’assistance, 20 à 25 pour cent des femmes portent le voile islamique. Ce ne sont pas les Libanais qui sont parvenus à cela. Nous étions incapables de surmonter par nous-mêmes notre haine à l’endroit des Syriens… »
Pour ce théologien, Dieu est en train de transformer et de réveiller l’Eglise de son pays, comme il aimerait le faire au travers de cette crise avec les Eglises d’Europe. « C’est l’Eglise libanaise qui, par son attitude d’ouverture, est vraiment aidée par les réfugiés syriens, et non l’inverse ! »
Ce spécialiste du dialogue interreligieux voit dans l’émergence de l’Etat islamique une chance pour le Moyen-Orient. De nombreux musulmans modérés se sont prononcés publiquement et à grande échelle contre l’islam incarné par Daech. « Il y a eu plus d’une trentaine de conférences d’importance, mises sur pied par des organisation musulmanes, qui se sont départies de la lecture du Coran effectuée par Daech. Ce qui est important, c’est que cette majorité, souvent silencieuse, s’entende sur le besoin d’une réforme fondamentale. Les chrétiens sur place, en s’impliquant dans une telle discussion, pourraient permettre une transformation en profondeur de la société. »
Créer des groupes de recherche et d’action
Martin Accad a par ailleurs invité les chrétiens européens à résister à la peur. « Nous sommes les disciples d’un réfugié juif palestinien, dont la famille a dû fuir un tyran et se réfugier en Egypte », a-t-il lancé. Pour lui, chaque Eglise locale, communauté ou paroisse de Suisse devrait constituer un groupe de recherche et d’action pour s’informer de l’identité des réfugiés, de leurs origines et de leur vision du monde. Pour faciliter leur accueil, de tels groupes pourraient organiser des temps de sport, des cours de langue, des rencontres… afin de faire preuve d’une véritable hospitalité.
Le théologien évangélique libanais s’est montré un brin moqueur par rapport aux difficultés des Occidentaux à parler de religion avec les musulmans. Et ce praticien du dialogue interreligieux de dire : « Mais les musulmans ‘adorent’ parler de Dieu. Nul besoin de les forcer. Ils ne sont nullement offensés d’avoir des conversations autour d’un tel thème. Ils le désirent même ! »
Il a aussi rappelé la soif spirituelle et le vide profond que connaissent ces réfugiés. « Imaginez un peu : les Syriens qui arrivent en Europe ont dû tout quitter à cause d’un Etat qui se dit ‘islamique’, sunnite donc de la même obédience musulmane qu’eux. La déception est énorme et ils sont ouverts à quelque chose de nouveau ! »
Un tel groupe de recherche et d’action pourrait aussi créer des ponts culturels avec ces réfugiés et leur indiquer ce qu’ils ont besoin de comprendre pour s’intégrer de manière adéquate à la société occidentale, notamment pour les hommes dans leurs relations avec les femmes. « Peut-être que cette arrivée en masse de réfugiés syriens changera aussi vos Eglises dans les années qui viennent », a-t-il conclu.
Serge Carrel
L'enregistrement audio de la conférence sur le site de Portes ouvertes.
Voir un article de Martin Accad : « L’Etat islamique et le futur de l’islam ».