Daniel Arnold lance un pavé « théonomiste » dans la réflexion éthique évangélique

mardi 22 février 2011

400 pages pour une éthique chrétienne pour aujourd’hui. C’est le pari du dernier livre de Daniel Arnold « Vivre l’éthique de Dieu ». La démarche impressionne, mais ne doit pas laisser sans voix. Elle est typique d’une éthique très minoritaire en milieu évangélique. A la demande de l’auteur, voici une recension de « Vivre l’éthique de Dieu » signée Serge Carrel.

En 2010, Daniel Arnold a publié un gros livre de 400 pages intitulé « Vivre l’éthique de Dieu. L’amour et la justice au quotidien ». Ce professeur de l’Institut biblique et missionnaire Emmaüs à St-Légier propose au public intéressé le fruit de plusieurs années de travail biblique dans un style alerte et agréable à lire.
Le titre de l’ouvrage – « Vivre l’éthique de Dieu » – impressionne par son ambition ! D’ordinaire, dans le milieu évangélique, les livres comparables affichent des titres au ton plus modeste : « L’éthique et l’Ancien Testament », « Le chrétien et les défis de la vie moderne », « Bien vivre sa vie »... Là, l’auteur n’y va pas par 4 chemins et ne parle de rien moins que d’« éthique de Dieu » !

L’horizon de l’éthique : la loi de Moïse
L’ouvrage se divise en deux parties. Une première traite des « bases fondamentales de l’éthique » et une seconde des « grands domaines de l’éthique » où sur 240 pages l’auteur offre une méditation tous azimuts des 5 derniers commandements du Décalogue. Les grands axes de la démarche éthique de Daniel Arnold apparaissent clairement dans des titres de chapitre comme « Le génie de la loi mosaïque » ou « Le Décalogue : plaque tournante de toute réflexion éthique ». La thèse est ainsi posée. En foi chrétienne, la réflexion éthique se fait à partir du Décalogue, découle de lui et se finit en lui. Même si le propos peut paraître classique à certains égards, puisque tant Luther que Calvin ont médité les 10 commandements dans leurs écrits les plus connus, il surprend par l’insistance mise sur la loi de Moïse.
En feuilletant l’ouvrage, on découvre par ailleurs un plaidoyer pour la peine capitale ou, à peine voilée, pour le « goël », cette pratique de l’Ancien Testament  qui voulait qu’un proche parent d’une victime puisse poursuivre un criminel et le tuer. De tels développements surviennent dans un contexte où l’auteur se montre très critique par rapport au système judiciaire occidental, qu’il accuse de lenteur, de coûter cher et de privilégier les riches (p. 174, p. 177, p. 185-186). Comment un théologien évangélique parvient-il à légitimer de tels développements éthiques ?

Une démarche « théonomiste »
Ce que le professeur d’Emmaüs ne dit qu’en passant (p. 36), c’est que son propos s’inspire de la pensée « théonomiste », de ces théologiens principalement américains, mais aussi suisses autour de Jean-Marc Berthoud, qui « exaltent l’Ancien Testament comme l’expression perpétuellement valide de la volonté morale de Dieu pour toutes les sociétés » (1). Dans l’histoire du salut, l’essentiel n’est pas la venue de Jésus-Christ et la grâce qui nous est faite d’une relation nouvelle avec Dieu. L’éthique n’est pas comme pour l’apôtre Paul un geste second qui découle de l’oeuvre de la croix, une réponse qui surgit de la découverte de la grâce. Non l’horizon éthique, c’est le Décalogue. Entre Ancien et Nouveau Testament, pas de rupture ou au moins de réaménagement, mais une unité fondamentale et une continuité. L’exégèse du passage clé de Matthieu 5,17 (« Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir ») est parlante (p. 43s.). L’auteur plaide la continuité entre Jésus et Moïse. Il veut éviter toute discontinuité ou opposition entre le Seigneur et l’éthique de l’Ancien Testament (voir aussi le commentaire de Jn 8,2-11, p. 47s). Daniel Arnold passe comme chat sur braise sur l’invitation de Jésus à aimer ses ennemis (Mt 5,43-44) (p. 46). Tout en reprenant l’invitation à aimer son prochain au sein de la communauté israélite (voir Lv 19,18), Jésus invite à sortir du cadre communautaire (le prochain), pour inscrire cet amour dans la relation à tout être humain, membre de la communauté juive ou non. On découvre ainsi que le salut de Dieu ne se réduit pas au cadre légal et à une obéissance au commandement. Il vise plutôt une nouvelle disposition de coeur, qui s’ouvre au souffle du Royaume de Dieu.
Par ailleurs, dans ce lieu théologique délicat du Nouveau Testament qu’est le rapport entre Loi et Evangile, aucune mention des perspectives pauliennes comme celles où l’apôtre affirme que Jésus est la « fin de la loi » (Ro 10,4).

Une vision restreinte de Jésus-Christ
Là où la puce grattera davantage encore l’oreille du lecteur, c’est lorsque Daniel Arnold parle du sens de la venue de Jésus. « Son oeuvre sur terre s’oriente dès le départ vers son oeuvre expiatoire sur la croix » (p. 49). Sous des airs de catéchisme évangélique classique, on assiste à une réduction du sens de la venue du Christ. La christologie est faible ! Que fait-on  des perspectives de Luc qui présente Jésus comme l’évangéliste des pauvres, le libérateur des opprimés (Lc 4,18-19) ? Que fait-on de la proclamation du Royaume qui s’incarne dans les dires et dans les actions de Jésus ? Que fait-on des perspectives de l’évangéliste Jean qui fait de Jésus la manifestation en ce monde de la présence du Père (Jn 14,9), ou l’humain déployé dans sa plénitude au travers de cette expression célèbre de Pilate : « Voici l’homme » (Jn 19,5) ?

Une interprétation littérale du donné biblique
Du point de vue de l’interprétation, la démarche de Daniel Arnold est purement littérale. Pas d’inscription du texte dans un contexte agraire de voilà 3'000 ans. Le récit biblique vient à nous comme s’il avait été écrit hier matin. Pas de démarche d’herméneutique biblique qui chercherait à forger à partir du texte biblique des principes que l’on pourrait reprendre aujourd’hui (2).
Les limites de la démarche apparaissent par exemple dans la réflexion autour de la pratique du lévirat qui ne rebondit pas dans le présent (p. 268s). Pour le Deutéronome, une veuve sans enfant doit être prise comme épouse par un proche parent du défunt. Dans le traitement proposé par Daniel Arnold, aucune mention du rôle d’assurance vieillesse de cette pratique. Une veuve sans enfant dans le monde antique connaissait la plupart du temps une situation économique précaire et se voyait souvent condamnée à la prostitution. Le mariage lévirat permettait d’assurer une « AVS » à cette veuve. Aujourd’hui une rente de veuve ou une bonne AVS joue un rôle comparable... Et sans doute de manière tout aussi pertinente que la pratique du lévirat !

Une manière très minoritaire de faire de l’éthique en milieu évangélique
Sur le fond, chacun est bien entendu libre de ses positionnements théologiques. Mais ce que l’on aurait pu attendre d’un professeur d’Emmaüs, censé initier étudiants et futurs pasteurs à la complexité de l’éthique, c’est d'indiquer qu’il y a d’autres manières de faire de l’éthique à partir de l’Ancien Testament. Dès l’ouverture de « Vivre l’éthique de Dieu », son auteur aurait dû dire « de quel bois il se chauffe ». Le théonomisme est une manière très minoritaire de faire de l’éthique en milieu évangélique. Loin d’être aussi biblique qu’il y paraît au premier abord, il véhicule son lot de présupposés dans lesquels il contraint le texte biblique à entrer. Le lecteur non spécialiste est en droit de connaître franchement les a priori de l’auteur pour pouvoir appréhender la démarche proposée en toute connaissance de cause... et se positionner.
Serge Carrel

Notes
1 Christopher Wright, L’éthique et l’Ancien Testament, Cléon d’Andran, Excelsis, 2007, p. 468. Pour une autre critique du théonomisme, voir Jacques Blandenier, L’Ancien Testament à la lumière de l’Evangile, Dossier Semailles et moisson no 12, Genève, 1998, p. 95s.
2 Ce que fait Christopher Wright dans son L’éthique et l’Ancien Testament, en considérant Israël comme le « paradigme de Dieu » (p. 70s) ou en proposant par rapport à chaque texte de chercher son objectif et le principe moral qu’il renferme (p. 369 par exemple). Pareille démarche est suivie par de nombreux autres théologiens évangéliques ! Voir par exemple John Stott et sa « transposition culturelle » qu’il oppose à un « littéralisme rigide et dépourvu d’imagination » (sic !) (Le chrétien à l’aube du XXIe siècle. Vivre aujourd’hui la Parole éternelle de Dieu, Vol. 1, Québec, La Clairière, p. 186s), Gordon Fee et sa prise en compte de « la relativité culturelle » (Un nouveau regard sur la Bible. Un guide pour comprendre la Bible, Deerfield, Vida, 1990, p. 68s), Gilbert Bilézikian et la révélation progressive de Dieu dans la Bible qui s’articule autour des 3 moments : création, chute, rédemption (Homme-femme. Vers une autre relation, Mulhouse, Grâce et vérité, 1992, p. 5s)...

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