« Liberté : mirage ou réalité ? » par Jean Villard

lundi 29 mars 2010
De nombreux philosophes font de la liberté l’un des concepts-clés de leur réflexion. Jean Villard constate que souvent cette liberté peine à s’inscrire dans leur vie. Malgré les beaux discours, ils demeurent asservis à leurs pulsions. Pour le philosophe vaudois, seule la rencontre de Dieu pose l’humain en être libre.
Connaissez-vous ce philosophe du XXe siècle, idole des jeunes intellectuels, qui proclamait la liberté totale de l’homme ? Il ajoutait que ma liberté va de pair avec celle des autres. Sublimes paroles ! Mais si l’on s’informe de la manière dont il a vécu, il y a de quoi être stupéfait : il avait de nombreuses relations sexuelles avec de très jeunes filles, qu’il laissait tomber après avoir joui d’elles. Certaines d’entre elles lui étaient fournies par son amie, qui les recrutait parmi ses élèves ! Elle était pourtant connue pour être une championne du féminisme (1) !
Avez-vous entendu parler de ce philosophe du XIXe siècle, dont la pensée révolutionnaire annonçait la fin prochaine de « l’exploitation de l’homme par l’homme » ? Splendide ! Mais comment a-t-il réellement vécu ? On le sait maintenant : c’était une personnalité écrasante et abusive ; jouisseur, au point de faire un enfant à la bonne, alors que sa femme avait tout abandonné pour le suivre fidèlement et lui avait donné 7 enfants (2).
« Ils leur promettent la liberté, alors qu'ils sont eux-mêmes esclaves de la pourriture – car chacun est l'esclave de ce qui le domine » (2 Pi 2,19). Quelle actualité dans ces propos de l’apôtre Pierre ! Ils visaient des enseignants chrétiens qui avaient perverti le message de Jésus sur la liberté. Mais aujourd’hui, ils s’appliquent aussi à ceux qui, partout, font miroiter la prétendue liberté et la prétendue indépendance de l’homme comptant sur ses seules ressources. Ainsi les deux philosophes, chantres de la liberté, dont nous avons parlé, ont en fait asservi les femmes de leur famille ou celles qu’ils rencontraient pour en faire des objets de plaisir. De plus, ils étaient eux-mêmes esclaves de leurs viles pulsions, qui les ont amenés à démentir, dans leurs actions, l’idéal de liberté que leur pensée prônait.

Querelle de mots ou drame vécu ?
Il est vrai que le terme de liberté a plusieurs significations. Le plus souvent, aujourd’hui, on entend par là le pouvoir de choisir entre plusieurs éventualités, ou du moins la capacité de dire oui ou non à ce qui se présente. Selon la Bible, l’homme a souvent (mais pas toujours) cette possibilité de choisir ; c’est le cas notamment lorsqu’il entend la Parole de Dieu : les commandements ne sont pas des contraintes, il est possible d’y désobéir comme d’y obéir. Mais en général, la Bible n’appelle pas cela « liberté ».
« Jésus disait aux Juifs (…) : Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Ils lui répondirent : Nous sommes la descendance d'Abraham et nous n'avons jamais été esclaves de personne ; comment peux-tu dire, toi : ‘Vous deviendrez libres !’ Jésus leur répondit : Amen, amen, je vous le dis, quiconque fait le péché est esclave du péché. Or l'esclave ne demeure pas pour toujours dans la maison ; le fils, lui, demeure pour toujours. Si donc le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres » (Jn 8, 31-36).
Les hommes de l’Antiquité, comme les Juifs à qui Jésus parlait, entendaient par « liberté » un statut social, celui du citoyen ou de l’héritier, par opposition au statut de l’esclave. On naît libre si on a un père libre ; et plus la lignée des ancêtres dont on est issu est longue, plus on est assuré de sa propre liberté. Ainsi les Juifs dialoguant avec Jésus se croyaient définitivement libres, puisque leurs généalogies remontaient à Abraham.

L’esclave peut dire : « C’est mon choix ! »
Mais Jésus ne l’entendait pas ainsi. Ce n’est pas une simple question de vocabulaire. Jésus discernait, derrière les prétentions de ses interlocuteurs, un drame : ils étaient entraînés, sans en être conscients peut-être, par des forces obscures qui les empêchaient de réaliser ce à quoi ils étaient appelés et ce à quoi tendaient leurs plus profondes aspirations : vivre en tant qu’enfants de Dieu. Il étaient donc esclaves.
Aujourd’hui encore, il y a, derrière les rodomontades de ceux qui agissent mal tout en prétendant : « C’est mon choix ! », un véritable esclavage. Ils sont dominés par des tendances qu’ils ne maîtrisent pas, abusés par des mirages. Et c’est bien là ma condition d’homme pécheur, dont je suis, par mes propres ressources, incapable de m’affranchir. Il a fallu que je m’ouvre à la révélation qu’apporte Jésus : Dieu a envoyé son Fils pour briser nos chaînes ! Ce ne sont donc pas mes efforts, c’est la réception de la Vérité, par la pure et simple foi, qui va faire de moi un homme libre.

Seule la Vérité peut apporter la liberté !
La Vérité dont parle Jésus n’est pas une simple idée juste reflétant la réalité. Elle est, au sens fondamental, la fermeté inébranlable de la personne même de Dieu, qui donne l’assurance, à laquelle on peut toujours se confier. Un homme qui tente de marcher dans un marais, sans point d’appui, a beau se prétendre libre et indépendant, il peut taper des pieds ou des mains à droite ou à gauche, en disant : « C’est mon choix ! » Il n’avancera pas, il risque même de s’enliser dans la fange. En revanche, s’il trouve un rocher, il pourra y marcher, et s’il y a là une route solide, il pourra avancer et atteindre son but : il sera concrètement libre ! De même, celui qui fonde son existence sur le Dieu fidèle, tel qu’il se révèle en Christ, pourra progresser, et cela sans fin, vers les buts les plus intéressants. Il sera bien plus libre que ceux qui pataugent dans les illusions et les incertitudes !
La Vérité, dans le Nouveau Testament, est aussi le dévoilement : ce qui était caché, ce qui était mystère depuis l’origine, se manifeste. Dieu est invisible, mais le Christ est l’image de Dieu. Lui seul nous fait connaître qui est Dieu. Et sa parole ne nous communique pas simplement des idées sur Dieu ; par l’action de l’Esprit, cette parole enlève la culpabilité, libère des désirs asservissants, donne la force d’aimer, de pardonner, de servir. Bref, de vivre, sans entraves, une vie pleine, digne d’être vécue.

Le Christ, source de la liberté
La liberté dans sa signification profonde n’est donc pas seulement la faculté de former des projets ou de souhaiter ce qui paraît bon, c’est la force de réaliser, d’accomplir ce qu’on veut. Cette liberté, seul le Christ peut me la donner, et j’ai sans cesse à la recevoir de sa parole.

Jean Villard
Commission théologique de la FREE


Notes
1) Voir Bianca Lamblin, Mémoires d’une jeune fille dérangée, Paris, Balland, 1993, p. 11 et p. 49-55. « L’homme est libre, l’homme est liberté », cf. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1946 (rééd. Gallimard, 1996), p. 36-37.
2) Voir Françoise Giroud, Jenny Marx ou la femme du diable, Paris, Presses Pocket, 1996.

  • Encadré 1: Bio express
    Jean Villard est professeur de philosophie en retraite. Il est membre de l’Eglise évangélique de Villard à Lausanne et participe aux activités de la Commission théologique de la FREE. Il est marié à Claire-Lyse.
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