Lorsque j’étais enfant, il m’arrivait de jouer avec les copains sur le trottoir. Il y avait notamment le jeu de la marelle, déjà connu du temps des Romains… On partait de la terre pour aller au ciel, en sautant sur des carrés dessinés au sol à la craie. On sautait sur une jambe, puis sur deux, enfin de nouveau sur une, pour arriver finalement au ciel. On jetait la petite pierre dans la case suivante, on la sautait toujours sur une jambe, puis retour sur terre de la même manière.
L’action de sauter sur une jambe peut certes être envisagée pour avancer, mais ne convient pas comme mode de déplacement normal dans la vie. Pour marcher, nous savons depuis la petite enfance qu’il faut se déséquilibrer alternativement d’un pied sur l’autre. C’est ainsi qu’habituellement on avance. Dans la vie spirituelle, il en va de même…
Avez vous déjà remarqué dans vos lectures de la Bible que ces déséquilibres sont systématiquement présents dans les grands thèmes de la Bible ? Avez-vous remarqué aussi qu’ils sont présents pour nous faire progresser ?
Des chrétiens aux vérités bancales
Je croise régulièrement des chrétiens qui extraient de la Bible des vérités certes vraies, mais largement incomplètes. Ces chrétiens ont du mal à tenir la route dans la durée. Or, les doctrines ne sont pas faites pour qu’on campe sur elles comme pour se rassurer, mais pour faire avancer dans la communion de Jésus le Christ et la participation à son règne. On s’en rend compte avec un peu plus de maturité, lorsqu’on considère l’ensemble des affirmations bibliques sur un sujet particulier. L’erreur serait alors de ne plus vouloir corriger une manière bancale de comprendre en se répétant toujours les mêmes choses, sans les compléter et les corriger par l’Ecriture elle-même.
Lorsqu’on découvre de nouveaux équilibres qui permettent d’avancer dans la réalité, d’autres, nombreux, sont soulagés et encouragés à aller de l’avant. Pour éviter d’avancer sur une jambe dans la vie spirituelle, pour éviter l’épuisement et l’ennui, il faut se servir des deux jambes de la foi pour avancer. Devenir dans la réalité de nos vies des participants du Règne de Dieu et non des spectateurs des cultes et de la mission reçue par certains autres.
Vérifions cela : la Bible utilise souvent une affirmation à deux pôles. Certes, ils ne sont pas toujours faciles à tenir ensemble, mais ils sont là pour équilibrer nos vies et laissent entre eux la tension nécessaire à notre progression et à notre stimulation, un véritable cadeau de Dieu. Voyons quelques exemples par rapport à des sujets qui ne sont pas des moindres dans la foi chrétienne. Il y a à la fois une réalité présente en Christ, accessible dès à présent, et une réalité future qui, par conséquent, est encore à venir, encore à parfaire.
Le salut : est-on ou non déjà sauvé ? Vous trouverez des références qui célèbrent clairement l’actualité du salut… Et c’est une bonne nouvelle ! « C’est par grâce que vous avez été sauvés » (Ep 2,5). Mais vous trouverez également d’autres références, chez le même auteur, qui disent – on ne peut plus clairement – que le gros du paquet (du salut) est encore à venir : « Nous sommes sauvés en espérance » (Rm 8,24). Alors sauvés ou encore à être sauvés ? L’un nous en promet la réalité, le don de Dieu, l’autre dit que la réalité pleine et entière ne sera là que lorsque la mort elle-même sera vaincue et lorsque la justice habitera pleinement dans l’univers. Sentez-vous la distance entre les deux pôles ?
Nous poursuivons avec la justification : « Vous avez été justifiés » (1 Co 6,11). « Justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu… » (Rm 5,1) C’est clair, mais il y a aussi : « Quant à nous, notre espérance, c’est d’être déclarés justes devant Dieu au moyen de la foi. Telle est la ferme attente que l’Esprit fait naître en nous » (Ga 5,5). Sentez-vous la tension entre ces deux moments, un « déjà » et un « pas encore » ?
La réception du Saint-Esprit. Avons-nous, oui ou non, reçu la plénitude du Saint-Esprit ? Certes pour ceux et celles qui ont reçu l’Esprit lorsqu’ils ont cru en Jésus, il y a une immersion dans l’Esprit, des onctions, mais même s’il y en a beaucoup, ce ne seront que les « prémices de l’Esprit », c’est à dire une première petite partie d’un tout (voir Rm 8,23 ; 2 Co 1,22) ! On aura beau jouer sur le fait que l’Esprit est une personne, lorsque nous jouissons de sa présence divine, elle n’est pas aussi intensément présente que dans ce qui est encore à venir. Il ne s’agit encore que d’un don partiel.
S’agissant de la vie chrétienne, la vie de disciple de Jésus-Christ, il y a un acquis en Jésus-Christ : « Vous avez été sanctifiés » (1 Co 6,11). Mais cette réalité dépend de notre persévérance et de notre fidélité : « Ce n’est pas que je sois déjà arrivé à la perfection, je cours vers le but… » (Ph 3,12) ou : « Sans la sanctification, personne ne verra le Seigneur » (Hé 12,14).
La résurrection : déjà et pas encore !
La résurrection, c’est pareil. Il y a une réalité présente pour les croyants en Jésus : nous avons été « ressuscités avec le Christ » (Col 3,1 ; Ep 2,6) et, en même temps : « Celui qui a ressuscité Jésus-Christ… rendra aussi la vie à vos corps mortels » (Rm 8,11 et 1 Co 15,52).
Et nous pourrions poursuivre sur d’autres grands thèmes qui montrent tous ce double caractère de la foi chrétienne, qui met en route de l’inachèvement vers une réalité pleine et entière dans la foi. L’union avec Jésus-Christ, la contemplation de la gloire du Seigneur, le séjour céleste, la guérison, la vie éternelle, le Règne de Dieu, la connaissance de Dieu, l’adoption, etc. Tous ces thèmes en sont marqués.
Le salut est présent et expérimentable, mais, même ainsi, il n’est qu’avant-goût, gage, d’une réalité bien plus vaste et à venir. La bonne nouvelle, c’est que cela a commencé dans l’individu, dans l’Eglise et dans le monde. La réalité, c’est que nous soupirons après plus, car nous vivons encore dans l’inachèvement de notre corps et d’un monde qui souffre des conséquences du péché.
Jésus, dans sa personne, est « prémices de la résurrection finale d’entre les morts » (1 Co 15, 20 et 23). C’est Dieu lui-même qui a ouvert une perspective nouvelle. Cela signifie aussi que, jusqu’à ce que la création entière de Dieu parvienne à sa destinée glorieuse, les êtres humains ne sont pas complètement et pleinement « sauvés », mais que le plan de Dieu se déploie.
Dans cette perspective, il y a de la profondeur, un but et une mission, entre temps. Cela nous permet de « mener une vie digne de Dieu » (1 Th 2,11-12) dans nos situations diverses et de garder nos regards vers l’avant, vers Dieu qui récompense ceux et celles qui le cherchent (Hé 11,6).
Il y a de la place pour l’inachevé
Cette vision ôte l’illusion d’être arrivés, nous laisse en phase avec la réalité de la vie. Il y a de la place pour l’inachevé, en fait pour nous-mêmes et notre quotidien. Cette manière de comprendre met le croyant en mouvement dans la bonne direction.
Comprendre cela fait de nous des gens qui apprennent à soupirer sainement ou droitement (voir Rm 8,23 et 26) par l’Esprit Saint, à soupirer après le changement attendu. Non une plainte au sujet de la réalité, mais des soupirs saints qui disent : « Seigneur, interviens par ta grâce dans cette situation ». Comprendre, cela fait de nous, à tous âges, des agitateurs selon Jésus, pour que vienne son règne et que se concrétise l’amour.
Alors oui, il nous est possible de mener la bataille nécessaire en nous contre ce que Paul a appelé « la chair » (Ga 5,17), autour de nous contre les esprits (logiques) qui régissent la société et contre toute autre sagesse (1 Co 1, 18-25), précisément car il y a une espérance. Que le Dieu de l’espérance nous comble ainsi de joie et de paix dans la puissance de l’Esprit Saint !
Claude Baecher, pasteur dans l’Eglise évangélique de Villard à Lausanne (FREE)