Jésus mettait corps, cœurs et esprits en mouvement, parce qu’il rêvait d’un être humain en marche, attiré par un horizon d’intense communication, voire de communion. Derrière lui, c’était toujours la cohue, parce qu’on se mettait en chemin avec lui, aspiré par un irrésistible appel. C’était un homme en quête permanente de l’autre. Un assoiffé de communication, qui transmettait sa soif et qui savait désaltérer.
Un communicateur capable de souder une équipe
Son savoir-faire en communication était tel que, parmi ses plus proches collaborateurs, il y avait un Matthieu, collecteur d’impôts, fonctionnaire à la solde de l’occupant romain, puis un Simon le Zélote, résistant au pouvoir, et enfin un Judas surnommé « Iscariote ». Ce surnom évoque, pense-t-on, le poignard dont se servaient les résistants les plus extrémistes. Voici donc réunis dans une même aventure un résistant, un collabo et un terroriste ! Seul un communicateur hors du commun est capable de souder une équipe qui n’est absolument pas faite pour cohabiter.
S’il invite à régler tout différend avant d’entreprendre un acte religieux (Mt 5,23s), c’est aussi parce que par-dessus tout, pour Jésus, la religion n’a sa raison d’être que si elle favorise les ponts entre les êtres. Si les ponts de la communication sont détruits, il ne reste de la religion que le mensonge et l’hypocrisie.
L’Evangile précise à plusieurs reprises que Jésus étonnait les foules par son autorité (Mt 7,28s). La définition de l’autorité que donne le psychothérapeute Jacques Salomé éclaire merveilleusement l’attitude de Jésus : « Avoir de l’autorité, c’est être à la fois reconnu comme auteur et rendre l’autre plus auteur de sa propre vie. »
Communiquer et faire exister l’autre
Une communication est réussie donc lorsque l’échange permet à l’autre de découvrir sa propre richesse. Jésus avait cette faculté incroyable de faire exister l’individu. Avec lui, l’exclu de la société trouvait accueil. Celui qui s’humiliait ou se sentait écrasé par la vie était accepté et même valorisé. Ceux qui se laissaient ballotter au gré des vents et des puissances décidaient de prendre en mains leur destinée.
Un bon communicateur agit comme une sorte de « révélateur ». Par exemple, Jésus se présente à la femme samaritaine non comme quelqu’un qui donne – il a pourtant tant à lui dire et à lui offrir – mais comme un mendiant : « Donne-moi à boire… » (Jn 4,8). Rien n’est plus valorisant que de se trouver dans la position de quelqu’un qui peut donner aux autres. Parce que celui qui donne est reconnu. Avant de lui apporter quoi que ce soit, Jésus veut la faire exister. Il sait que la communication est un mouvement dynamique qui ne doit pas prendre l’allure d’un sens unique.
Jésus avait développé une formidable hygiène relationnelle dans la demande, le refus, le don et la faculté de recevoir. Il savait demander sans que la demande se transforme en piège à la liberté, il savait dire non, tout en libérant des tensions provoquées par le refus, il savait donner sans que la demande ne devienne contrainte, il savait recevoir tout en valorisant le donateur sans se laisser piéger par une dette quelconque…
Des attitudes gagnantes
Jésus savait subjuguer ses auditeurs, car il possédait une « palette » étonnante d’attitudes gagnantes en communication. Tout d’abord un enthousiasme contagieux. Il suffisait qu’il dise à des pêcheurs désoeuvrés : « Suivez-moi et je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Mt 4,19) pour qu’ils laissent tout pour le suivre. Les images mêmes qu’il utilisait étaient colorées d’un brin de folie et d’exagération, significatifs de l’enthousiasme (Mt 20, 1-16). Et toujours il inscrivait son message dans une dynamique de mouvement.
Sa vision était résolument positive et optimiste. Il osait parler de bonheur « aux petites gens » tristement exploitées de Galilée. Il leur disait même : « C’est vous qui êtes le sel de la terre, la lumière du monde ! » (Mt 5,13s). Le message ne pouvait que « faire mouche » !
Et puis ses idées étaient claires et concises, dépourvues d’ambiguïté. Il allait au bout de ses pensées. Même si elles étaient exigeantes ou dérangeantes. Il n’hésitait pas à avertir des risques que prenait le disciple s’il s’engageait avec lui (Mt 8,20). La clarification aide à faire tomber les masques pour plus d’authenticité et de confiance réciproque dans l’échange.
En plus de l’enthousiasme, de l’optimisme, de la clarté et de la franchise, il cultivait l’humour : « Quand tu fais de l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi… » (Mt 6,2s). « Comment dis-tu à ton frère : laisse-moi ôter la paille de ton oeil, alors que dans le tien il y a une poutre ?... » (Mt 7, 3-5). « Malheur à vous, guides aveugles, qui filtrez le moucheron et avalez le chameau… » (Mt 23,24).
Un merveilleux conteur
Jésus était aussi un merveilleux conteur. Il savait faire usage au bon moment d’un conte, d’une allégorie, d’une métaphore… Soit pour éveiller l’intérêt, soit pour désamorcer un conflit, soit pour inciter à la réflexion personnelle. Il savait que ces « outils » de la communication stimulent tout particulièrement le cerveau droit. Cet hémisphère est spécialisé dans la perception globale des situations. C’est le siège des intuitions, des émotions, de la création et de l’imaginaire. Faire appel à ces modes d’expression ouvre à une compréhension moins simpliste des situations et permet d’accéder à un sens nouveau des événements en stimulant une écoute à différents niveaux. Jésus savait qu’une parole, pour devenir concrète, doit être accrochée à une image. Ainsi, plutôt que de dire à ses disciples : « Partagez autour de vous ce que je vous ai enseigné », il disait : « Ce que je vous dis à l’oreille, prêchez-le sur les toits ! » (Mt 10,27). Ou encore : « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes… » (Mt 10,16).
Des gestes qui ouvrent des possibles
Jésus savait aussi parler par gestes. Gestes de guérisons physiques, morales, spirituelles… Souvenez-vous de cette femme, prise en flagrant délit d’adultère et jetée à ses pieds (Jn 8,3ss). Sans un mot, il se baissa. Les autres se penchèrent. Mystérieusement, son doigt dessinait des lettres dans la poussière du sol. La tradition dit que les accusateurs y déchiffrèrent des attitudes coupables, mais cachées chez chacun d’eux. Peut-être que ce geste vise particulièrement ces maîtres religieux, spécialistes de la loi. En écrivant dans la fragilité de la terre, sa parole contraste symboliquement avec les commandements écrits par le doigt même de Dieu dans la pierre sur le Mont-Sinaï. Les spécialistes de cette loi étaient devenus froids et rigides, comme la pierre sur laquelle cette loi fut écrite. Jésus, par contraste, inscrit sa parole dans la douceur, la fragilité d’une terre meuble. Parole non figée, puisque soumise au souffle du vent. Parole donc circonstanciée. Parole de chair et non de pierre. Puis Jésus se releva tranquillement et prononça cette phrase devenue célèbre : « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre » (Jn 8,7). Quelle force ! Un geste bien plus percutant qu’un long discours. Jésus connaissait la force de la symbolisation. Quoi de plus parlant, par exemple, qu’un pain partagé et offert pour exprimer le don de sa vie pour nous ?
Il avait un savoir-faire unique pour désamorcer un conflit : une parabole pour trouver un point d’accord en dehors du conflit, une parole ou un geste rassurant pour apaiser les peurs, un mot qui provoque le positionnement, une parole de valorisation… et surtout un amour inconditionnel.
Décidément, Jésus ne cessera de nous étonner par la justesse de son ton, de son attitude… et par sa modernité !
Thierry Lenoir
Aumônier et auteur de Parole de chair. Les techniques de Jésus, maître en communication, Dammarie-les-Lys, Vie et santé, 2001.
A écouter: une version audio de cet article.
En décembre 2009, Thierry Lenoir a participé à une émission A vue d'Esprit sur Espace 2, dans le cadre d'une série intitulée "Mieux communiquer pour mieux vivre". Il a répondu aux questions de Serge Carrel.