Eglises et Certificat Covid : « Je suis inquiet ! »

vendredi 17 septembre 2021 icon-comments 2

L’obligation faite aux Eglises d’exiger un Certificat Covid lorsque plus de 50 personnes se rassemblent pose des problèmes d’organisation. Mais cela fait également germer toutes sortes de tensions dans les communautés. Philippe Henchoz, pasteur dans l’Eglise évangélique de Meyrin (FREE), est inquiet et exhorte à l’unité.

Je suis inquiet. Très inquiet. En fait, je suis inquiet comme peut-être je ne l’ai jamais été depuis le début de la pandémie et de ses effets sur nos Eglises, et celles et ceux qui s’y rassemblent, les composent, les incarnent, les font vivre et prospérer.

Oui ! Parce qu’il s’agit bien d’elle, la pandémie, de lui, le Covid-19. Ou, plutôt, de ses effets durables. Ou, plus précisément, de nos réactions et de ce qu’elles impliquent devant ce qui nous est demandé, imposé, de leur impact sur nos prochains. Il s’agit de nous, en fait.

Depuis le lundi 13 septembre 2021, de nouvelles mesures fédérales ont été prises. Contre toute attente, puisque des garanties avaient été données par nos autorités fédérales quant à l’exemption de mesures contraignantes pour l’exercice des droits fondamentaux – parmi ceux-ci la liberté de culte, en « zone verte » (https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/aktuell/medienmitteilungen.msg-id-83599.html).

Aujourd’hui, ces mesures nous concernent. Nous ne sommes pas les seuls : d’autres le sont aussi, et probablement plus fortement touchés que nous sur le plan économique et logistique. Mais, impactés nous le sommes aussi, sévèrement.

En effet, pour tout rassemblement cultuel de plus de 50 personnes (services funèbres inclus), un Certificat Covid (vacciné, testé, guéri) est désormais requis. Cela pourrait bien aboutir à une sorte d’Eglise à deux vitesses : celle des vacciné·e·s et celles des… autres – pointés du doigt, caricaturés parfois.

Pour des communautés religieuses de moins de 50 personnes, l’impact est moindre puisque le certificat Covid n’est pas requis. Cela n’empêchera peut-être pas certaines d’entre elles de le demander quand même, ne serait-ce que pour se retrouver sans trop de restrictions de nombre et pouvoir abandonner le masque, les inscriptions préalables et autre recueil de données personnelles. Ne serait-ce aussi que pour pouvoir partager la Cène plus librement, pour voir chant reprendre son envol, pour pouvoir partager un café ou un apéritif après le culte… Et tout ça, ce n’est pas rien, bien sûr, après des mois de relatives privations.

Mis à l’écart

Mais ! Mais, parallèlement à certaines libertés retrouvées, je lis et j’entends des hommes et des femmes, des frères et des sœurs, des ami·e·s non vacciné·e·s par motif de conscience ou par contrainte médicale, ou parfois par insouciance ou résistance, me dire qu’ils et elles se sentent méprisé·e·s, ostracisés, laissé·e·s pour compte, accusé·e·s d’être égoïstes, presque… pestiférés – j’ai entendu et lu le mot. Nous avions tant traversé ensemble. Et voici où nous en serions, à la défaveur d’une décision qui nous a tous et toutes pris de court ?

Pour être clair, je suis vacciné, par conviction, et bien reconnaissant de l’être. Rassuré mais pas moins responsable et prudent. J’ai confiance en nos autorités politiques, médicales, sanitaires, éthiques, que ce soit sur le plan fédéral ou cantonal. J’entends que la tâche est extrêmement difficile et qu’elles sont sans cesse en pesée d’intérêt, que leur désir prioritaire est de protéger le système de santé, en particulier sur le plan hospitalier. Leur tâche est rude ! Parfois elles tâtonnent, comme il nous arrive de tâtonner à propos de décisions de bien moindre importance.

Mais je suis sûr qu’elles font au mieux pour le bien du plus grand nombre. Je n’ai pas de compétence médicale, épidémiologique ; je fais confiance à celles et ceux dont c’est la formation et le métier patiemment acquis et passionnément exercé – comme j’attends que l’on me fasse confiance pour le mien.

Mais, à mon modeste niveau, entendre que des frères et sœurs, des tout·e·s proches, se sentent méprisé·e·s ou même contraint·e·s, empêché·e·s de venir et de servir l’Eglise dont ils et elles sont membres, m’est insupportable. Voir des murs se monter si rapidement là où, à force de temps, de nuances et de grâce, nous avions patiemment su construire des ponts, accueillir et inclure, nous impliquer socialement, me blesse et m’interroge.

Et cela me responsabilise aussi comme jamais ! Le cœur de métier d’un pasteur est de rassembler, conduire, unifier et protéger un troupeau formé d’hommes et de femmes de tous âges, dans toute leur belle diversité, d’en être modèle aussi (cf 1 Pierre 5.1-6). Et d’avancer ensemble, humblement, pour l’honneur de Dieu, au fil de la route et de ses exigences… l’herbe n’étant pas toujours aussi verte et tendre que nous l’aurions souhaité. Tout le reste n’est que garniture !

Ainsi, le ton abrupte, partial et triomphaliste des un·e·s ou des autres – les « pros » ou les « antis » – blesse, clive et divise. Il n’apporte rien de bon et ne convainc personne. Et, à l’arrivée, cela ne fait le jeu que d’un seul : notre seul et unique ennemi qui doit s’en « pourlécher les babines » tout en affûtant plus encore sa capacité de nuisance, en constatant le potentiel de division (1 Pierre 5.8-9).

Des divisions qui provoquent la mort

Et la division, comme celle des cellules de notre corps, n’est pas toujours synonyme de vie. Il existe des maladies qui, en s’attaquant aux cellules, finissent par provoquer la mort.

Il n’y a parfois « que » des maladresses qui peuvent être excusées et vite redressées et pardonnées… c’est l’avantage de bien se connaître. Mais, d’autres fois, il y a des mots, des accusations, des formules à l’emporte-pièce, des postures, des gestes, des regards et des attitudes qui font mal.

Cela, il faut l’entendre. Puis se remettre en question. Et certainement, ici ou là, demander pardon, se reprendre et faire mieux. Des espaces pour le dialogue, ainsi que l’exposition des compréhensions et des convictions, doivent impérativement être créés, ce qui est loin d’être facile compte tenu de ces mêmes mesures contraignantes et d’un climat qui pèse lourdement depuis plus de 18 mois.

Sur le plan pratique, des organisations comme le Réseau évangélique suisse (https://evangelique.ch/covid-19-on-peut-de-nouveau-chanter-2-2/), ainsi que des individus comme Martin Hoegger (https://www.reformes.ch/blog/martin-hoegger/2021/09/passe-covid-et-participation-au-culte-dominical) ont proposé des solutions pratiques, afin de rendre les choses plus douces, plus souples. Et je pense que des pistes sont à explorer, avant d’arrêter un seul et unique fonctionnement, ce qui est souvent notre premier réflexe, par facilité ou habitude.

Mais, au-delà, comment vivre la diversité des opinions en la matière ? Les différences sont un fait de la nature. C’est l’une des manifestations de la belle diversité des formes de la vie. Les différences jaillissent du tronc commun de l’humanité.

A cause du mal, les différences peuvent devenir une source de problèmes, de tensions, de conflits, et de division. A cause de la grâce, les différences sont une source de richesses partagées, et un formidable potentiel pour aller de l’avant.

Dans l’Eglise, il me semble qu’unité et diversité peuvent se vivre concrètement et paisiblement. Qu’est-ce qui est le plus important ? Les réalités de notre unité, ou la réalité de nos

différences ? C’est là, je crois, que nous devons entendre les exhortations à travailler à l’unité : la préserver, la cultiver, la restaurer (cf Ephésiens 4.1-6, Galates 3.26-28, Colossiens 3.11-15, Romains 14.1-5ss).

Vivre ensemble

Comment vivre ensemble alors ? En tout premier lieu, en nous souvenant de l’exemple du Christ serviteur. Lui qui, différent des autres, aurait pu légitimement jouir de cette différence en laissant les autres courir à leur perte et à leur désillusion. Mais Il a été serviteur, tout en nous invitant à servir nos prochains sans distinction (cf Jn 13.1-20 ; Ph 2.1-11).

Deuxièmement, en nous « affermissant » sur ce qui est fondamental –  et cela demande un peu de réflexion. En apprenant à distinguer ce qui est essentiel de ce qui l’est moins, ce qui est clair de ce qui l’est moins. En intégrant les nuances de gris. Ce qui implique du temps pour comprendre et se comprendre.

Troisièmement, en nous définissant comme des êtres toujours en croissance, en développement. Des êtres capables d’évoluer, de changer grâce à une meilleure compréhension des choses, d’apprendre le sens de la nuance et de la mesure. Tout cela est plus exigeant que la radicalité qui juge et tient à distance, tout en permettant à la propre justice de prospérer.

Quatrièmement, en nous accueillant les uns les autres, en nous acceptant différents. En acceptant que nous puissions avoir ensemble une vraie communion et, sur un certain nombre de points, des idées, des compréhensions différentes, des divergences même. Ce qui est vrai de la théologie, devrait l’être aussi de l’éthique.

Et finalement, en cultivant le partage, la discussion, l’échange, et même le débat qui aboutissent toujours à un enrichissement.

Jésus et les apôtres n’ont jamais cessé de discuter, et même de débattre, avec ceux qui étaient autour d’eux (cf Mt 12.25-30 ; Mc 11.29-32 ; Mc 12.15-16 ; Jn 3.25 ; Jn 6.42 ; Jn 8.31-59). Il y a même eu des discussions vives dans l’Eglise de Jérusalem (cf Ac 15.2-39 ; Ac 17.2,17).

Bien sûr, il existe plusieurs manières de discuter et de débattre. En 2 Timothée 2.23 et Tite 3.9, Paul parle de discussions inutiles : « Evite les spéculations absurdes, l’étude des généalogies, les controverses et les polémiques au sujet de la loi, car elles sont inutiles et vides de sens. Elle font naître des querelles ».

Sur un sujet où les points de vue sont différents, comme ici celui du Certificat Covid et des mesures qui l’accompagnent, il existe plusieurs manières de discuter. Et, suivant les motifs et les motivations des uns et des autres, ce sera soit avec une écoute vraie et empreinte d’humilité, ou comme dans une joute, pour gagner et imposer finalement son point de vue, au détriment des autres. Deux manières de discuter, d’échanger sont significatives. En fait, ce sont deux attitudes.

D’abord, il y a celle qui consiste à apporter chacun ses arguments, sa compréhension, puis à écouter, échanger, progresser ensemble, et finalement, peut-être, constater et accepter d’autres avis ou points de vue.

Ensuite, il y a l’attitude qui consiste à considérer qu’il y aura forcément deux camps : celui du bien et du juste d’un côté, et celui du mal et du faux de l’autre. Autrement dit : ceux qui sont de mon avis et ceux qui sont contre cet avis…. Certains diront : « Contre moi ». Et c’est bien ce clivage, cette division potentiellement en puissance, que nous voulons éviter.

Continuons à marcher ensemble

Nous trouverons toujours une personne qui est notre « différent », notre « opposé ». Juif ou grec, esclave ou libre, homme ou femme, révolutionnaire ou réactionnaire, pauvre ou riche, d’ici ou de là-bas, pro-ceci ou anti-cela…

Mais, avec cet autre, nous avons accès auprès du même Père, dans un même Esprit. Comme Christ nous a accueillis, nous sommes appelés à nous accueillir les uns les autres et à le manifester concrètement dans l’Eglise (Romains 15.5-7). Nous avons un but plus élevé que de faire prévaloir notre point de vue à tout prix. Ce but, c’est d’avancer dans la connaissance du Christ, dans la compréhension de sa Parole, et de nous édifier ensemble. « Que tout se fasse pour l’édification » (1 Co 14.26), dit Paul aux Corinthiens. Ce but, c’est aussi d’avancer ensemble dans la pratique du bien, dans l’amour fraternel auquel tous reconnaîtront que nous sommes enfants de Dieu (Jn 13.34-35).

« Si, sur l’un ou l’autre point, nous pensons différemment, Dieu nous éclairera aussi là-dessus.  Seulement, au point où nous sommes parvenus, continuons à marcher ensemble dans la même direction » (d’ap. Philippiens 3.15-16).

 

Philippe Henchoz,
pasteur dans l’Eglise évangélique de Meyrin (FREE)

2 réactions

  • PierrePolJack vendredi, 17 septembre 2021 10:01

    Je trouve que votre texte fait un lien trop fort entre certificat et vaccination. Toute personne peut obtenir un certificat, mais si elle n'est pas vaccinée. C'est plus compliqué, mais la participation au culte n'exige pas la vaccination, quelle que soit la taille de la communauté!

  • François Dépraz vendredi, 17 septembre 2021 12:27

    Mille fois bravo pour votre prise de position très dense mais ô combien nécessaire, appuyée sur la Parole, avec en conclusion cette citation de Philippiens 3, 15-16, que j'ai d'ailleurs pu tout de suite mettre en pratique en lisant la 1ère réaction ci-dessus. Merci infiniment et très bonne continuation dans votre ministère.


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