On entend dire que les lieux où des gens prient deviennent beaux ; ou alors que c'est la beauté de certains endroits qui appelle des personnes à la prière. Allez savoir ! Le chemin qui mène à la cabane de l'ermite Daniel Bourguet, aux portes des Cévennes en France, est de ceux-là : le fouler est déjà une invitation à l'introspection. Ce matin d'octobre, l'ermite montre le chemin. Il s'arrête à la bergerie pour laisser quelques feuilles de mûrier aux moutons ; puis poursuit jusqu'à l'orée de la forêt où l'on découvre, plus loin, sa cabane de rondins, de l'autre côté d'une petite prairie bordée de grands châtaigniers. Cela fait 17 ans qu'il vit là, dans cette cahutte d'une seule pièce, avec vue plongeante sur la forêt environnante.
Solitude bienfaisante
La barbe généreuse, le sourire dans les yeux, il n'aime pas trop se prêter à l'exercice de l'interview et ne souhaite surtout aucune publicité, car beaucoup de monde déjà se presse à son écoute. « Cela devient de plus en plus difficile : je vis le plus loin possible des hommes et ils viennent jusque-là. Parfois je soupire après la solitude dont j'ai besoin et qui m'est bienfaisante, bienveillante. » Daniel Bourguet n'en accueille pas moins son prochain avec compassion, « car il ne vient pas pour rien ». Et parce qu'un ermite n'est pas un reclus : « Un reclus a toujours sa porte fermée, au contraire d'un ermite qui a dû perdre la clé ! » Il rit. « Il faut comprendre que l'ermite accueille comme s'il accueillait à chaque fois le Christ au travers de la personne qui vient. Du coup, l'accueil est chaleureux, attentif. »
En prise avec l'actualité du monde
Pas d'électricité dans sa cabane. Pas de télévision, pas de radio, pas de journal. L'actualité du monde transpire cependant des paroles de celles et ceux qui viennent le voir. « Je ne sais pas qui est champion du monde de foot, mais je sais que des enfants sont maltraités, que des femmes sont violées, que des couples se brisent, qu'il y a des gens qui vont se suicider. Je suis au courant de cela par les personnes qui le vivent elles-mêmes ; c'est donc en direct ! »
Certains viennent pour des blessures profondes. Daniel Bourguet écoute ; puis confie par la prière à Dieu ce qu'il a entendu. « Accueillir, c'est aussi s'ouvrir à celui qui s'ouvre. Il y a alors un dialogue profond. Je me rends compte que dans notre monde très médiatique, communicatif, paradoxalement peu sont ouverts à l'écoute. C'est là que l'ermite a sa place. Pour écouter. Et porter ensuite le monde dans sa prière. Un jour, au fond des Carpates, j'ai eu la chance de rencontrer un ermite roumain qui m'a dit ceci : 'Souvenez-vous que vous n'êtes pas ermite pour les protestants, mais pour toute la terre !' »
Une discipline de vie
Pasteur de l'Eglise réformée de France depuis une quarantaine d'années, Daniel Bourguet commence et termine ses journées par la prière. Il s'astreint à un rythme de vie régulier et répétitif, rythmé par trois offices qu'il célèbre à la Fraternité des Abeillères, le centre de retraite cévenol des Veilleurs(1), à 10 minutes de là, par la lecture et par son travail de broderie sur gros canevas. Les motifs bibliques de ses tapisseries murales ont été dessinés par le pasteur et peintre Henri Lindegaard qu'il a connu.
Des déserts spirituels ? Oui, il lui arrive d'en traverser. Et quelque part, c'est beau, estime-t-il. « C'est douloureux, mais il ne faut pas s'arrêter car sinon, comme dans un désert de sable, on meurt ! Il faut poursuivre, et comprendre que les déserts sont là pour mesurer l'ampleur, l'enjeu de la confiance qu'on a en Dieu. On se découvre fragile ? Dieu ne nous abandonne pas. Il est bon de se connaître dans sa fragilité. Cela resserre les liens encore avec Dieu. »
Les moutons nous ont rejoints et viennent manger les châtaignes à nos pieds. L'endroit ce matin-là est baigné de soleil et respire la quiétude. A la fin de la discussion, l'ermite propose encore à ses visiteurs de rester profiter de sa terrasse naturelle avant qu'ils ne redescendent et rejoignent leurs occupations multiples...
Gabrielle Desarzens
Note
1 La Fraternité des Veilleurs est un ordre religieux protestant français fondé en 1923 sous le nom de Tiers-ordre des Veilleurs par le pasteur Wilfred Monod. Cet ordre s'inspire de Pierre Valdo et de François d'Assise. Il connaît une croissance récente avec des membres venant principalement des Eglises protestantes, mais aussi orthodoxe et catholique.