La Bible... ciment d'unité ou pomme de discorde ? Cet article ne se veut pas polémique, mais il ne fera pas semblant d'ignorer certaines divergences. Ces divergences se situent-elles à un niveau doctrinal, spirituel, ou simplement intellectuel ? Nous n'avons pas la prétention de répondre de façon péremptoire à cette question. Au moins, espérons avoir posé correctement quelques jalons. Ceux-ci suffisent amplement à produire un article inhabituellement long pour notre revue mais, croyons nous, justifié par l'importance du sujet. Il reste à plaider pour que nos lecteurs consentent à l’effort de réfléchir à un thème qu’on ne peut laisser de côté sans de sérieuses conséquences.
1. « Dieu seul parle bien de Dieu »
C'est une des paroles les plus fortes de Blaise Pascal. Parce que l'homme est limité et pécheur, son discours sur Dieu ne peut être que réducteur et faussé. Nous aurions été condamnés à nous fabriquer une «image taillée» si Dieu ne s'était pas révélé. Seule une parole venue de Dieu, sur Dieu, nous délivre d'une religion où l'homme ne trouverait que sa propre image au bout de ses investigations religieuses. Si Dieu ne nous parle pas de lui, alors le Dieu de notre religion est notre créature, et nous sommes enfermés dans la solitude. Nous ne rencontrons jamais celui qui est Autre et peut seul donner à notre vie une autre dimension.
2. Or, « Dieu a parlé ! »
Ainsi s'exprime l'épître aux Hébreux dès ses premières lignes. Alors que le Psaume 115 ironise : « Les idoles ont des bouches et ne parlent pas », Esaïe partage une bonne nouvelle sous forme d'appel : « Cieux, écoutez, terre, prête l’oreille, car l’Eternel parle » (1,2). Pourquoi Dieu aurait-il créé l’homme à son image (à la différence des autres êtres vivants), si ce n’était pour entrer en communication avec lui ? Le Dieu qui a voulu cette relation a aussi été capable de l’établir, en dépit de la rupture causée par l’homme.
Dieu a parlé. Bien sûr, il communique avec nous de diverses manières : les œuvres de la création, notre conscience, nos frères et nos sœurs, les circonstances de nos vies, l'Esprit qui parle à notre esprit. Mais Dieu a choisi Sa parole comme moyen privilégié de se faire connaître et de faire connaître sa volonté de manière explicite et non aléatoire pour la créature faite à sa ressemblance. Ainsi, un dialogue de personne à personne peut s'établir. À l’opposé de la manipulation ou du mode fusionnel qui absorbe un des partenaires.
3. Dieu a fait écrire
Dieu a parlé, des hommes de foi ont écouté, cru, gardé et transmis. « Poussés par le Saint-Esprit, des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 Pi 1.21). Mais ils sont morts, et de multiples générations nous séparent d'eux. Si vous avez dans votre enfance participé au jeu du téléphone, il n’est pas besoin de vous prouver que la transmission orale, à la longue, oublie, déforme, ajoute, en sorte qu’après une dizaine de relais, le message final n'a parfois plus grand-chose de commun avec le message initial.
Or, en parlant non pas à l’«humanité» (une abstraction qui n'existe pas !), mais à des individus réels, historiques, Dieu a accepté le risque de planter sa parole éternelle dans le temps, dans un temps — donc de l'insérer dans une limite. Mais, pour que cette parole ne reste pas enfermée dans la limite de l'instant où elle fut proférée, pour que les interlocuteurs initiaux ne soient pas seuls à en bénéficier et que sa transmission n'entraîne pas les altérations que nous venons d'évoquer, Dieu l'a fait mettre par écrit : «Ecris cela dans le livre, afin que le souvenir s'en conserve» (Ex 17.14) (1).
Ce passage de la Parole de Dieu à l'Ecrit de Dieu implique deux données que nous n'arrivons souvent pas à concilier, même entre Eglises qui se fondent sur l'héritage de Calvin.
4. La Bible, Parole de Dieu
Doctrine de l'inspiration. Dieu a parlé dans l'intention d'être correctement entendu, et il a fait en sorte que cela soit ! A quoi aurait-il servi qu'il se révèle et s'adresse aux prophètes et aux apôtres, s'il n'avait pas été en mesure d'éviter que ses paroles s'ensablent dans les erreurs, les préjugés, les ignorances, la subjectivité des écrivains chargés de les recueillir pour les transmettre ? « Toute l'Ecriture est inspirée de Dieu...» (2 Ti 3.16). L'attachement de Dieu pour chacun de nous est si fort qu'il a fait en sorte que nous puissions entendre sa voix sans brouillage : la foi en l'inspiration découle directement de la foi en un Dieu de grâce. L'inspiration n'est pas une vague influence du Saint-Esprit sur des écrits où vérité divine et erreurs humaines s'entrelaceraient. Les auteurs bibliques ne sont pas des «inspirés » un peu plus aptes que d’autres à percevoir la lumière! «Nous devons aux Ecritures le même respect qu'à Dieu, car elles proviennent de lui seul», écrit Calvin. La Bible, elle-même, met sur le même pied l'Ecriture et la Parole de Dieu: «Sachez qu'aucune prophétie de l'Ecriture ne peut être l'objet d'interprétation particulière, car (...) c'est poussés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 Pi 1.20-21) (2).
On a fait grand cas de notions comme «inspiration littérale» ou «inspiration verbale», allant parfois, polémique aidant, au-delà de ce que la Bible dit d'elle-même. Deux remarques s'imposent.
— Puisque Dieu ne s'est pas contenté de vaguement influencer les écrivains bibliques, alors il a bel et bien veillé sur les mots auxquels ils ont eu recours — mais dans les langues originales auxquelles la plupart n'ont pas accès. Souvenons-nous que nos versions ne sont pas inspirées littéralement !
- Inspiration littérale n'implique pas forcément interprétation littérale. C'est aller à l'encontre de la « lettre» de la Bible que d'interpréter littéralement un texte qui s'exprime de façon poétique ou hyperbolique, qui présente certains éléments ayant valeur de symbole, ou dont la formulation obéit à certaines conventions littéraires. Il s'agit là d'une question d'herméneutique (science de l'interprétation) qui dépasse le cadre de cet article.
On objecte parfois que la Parole de Dieu n'est pas un texte, mais une personne, Jésus-Christ (Jean 1). Bien sûr ! La Parole qui suscite ma foi et me sauve est une personne, non les pages d'un livre ! Je crois en Christ, Parole de Dieu faite chair, je ne crois pas en un livre. Mais ce Christ, objet de ma foi, qui est-il ? Je crois ce livre, car il est le seul à pouvoir me le dire de façon certaine. Autrement, que saurais-je de lui, de sa personne, de ses paroles, et de l’œuvre du salut qu'il a parfaitement accomplie ? Jésus dit : «Les Ecritures [...] rendent témoignage de moi» (Jn 5.39). En refusant l’alternative : «La Parole de Dieu, c’est le Christ» ou «La Parole de Dieu, c'est la Bible», nous affirmons bien haut que Jésus-Christ est le contenu de la Bible. Il en est le noyau, le cœur à partir duquel la totalité de l’Ecriture, Nouveau et Ancien Testament, trouve sens et cohérence.
Encourons-nous le reproche, en confondant Parole de Dieu et Ecriture, de nous installer dans un biblicisme sécurisant et enfermant... voire de devenir bibliolâtres ?
Sécurisant ? Oui, je confesse ne pas être un esprit fort. J'ai besoin de la sécurité d'une certitude pour parvenir à me remettre en question, pour m’ouvrir à l'autre sans me diluer. Si d'autres prétendent s’en passer, c'est leur affaire (ou leur problème ?), mais qu'ils ne me reprochent pas ma faiblesse. En outre, plus j'écoute la Bible avec respect, plus je perçois qu'elle me bouscule dans ma suffisance intellectuelle et religieuse. Je ne me permets pas de juger comment chacun de vous lit la Bible, mais pour moi, elle a une façon plutôt décoiffante de me sécuriser ! En fait, seule une soumission inconditionnelle au texte inspiré m'évite de me bétonner dans le fondamentalisme... ou dans des travaux théologiques confortablement cérébraux.
Enfermant ? J'avoue ne pas bien comprendre! Comment «la Parole de Dieu, source de toutes les libertés», pour parler comme Luther, pourrait-elle m'enfermer? Plus je la prends au sérieux, plus je suis libre. Il faut avoir une notion bien curieuse de la liberté pour craindre qu'elle me soit ravie par le texte le plus libérateur jamais écrit sur terre. Il faut pourtant concéder que des chrétiens s'enferment, ou en enferment d'autres, par leur manière de se référer à l'Ecriture. Mais quelle mécompréhension, quel mésusage, quelle trahison de la Bible en tant que Parole du Dieu Rédempteur... C'est pourquoi le paragraphe qui suit est nécessaire, face à un certain littéralisme de surface, rencontré chez ceux qui se réclament de la Bible avec le plus de ferveur.
5. La Bible, parole humaine
La nécessité de la contextualisation. Si le mot lui-même n'est pas dans la Bible, il découle de la logique biblique et notamment de la doctrine de l'incarnation. Une Bible intemporelle, c'est une contradiction dans les termes. Si le texte biblique est vérité historique (sinon, il serait idéologique — qu'à Dieu ne plaise !), alors, comme nous l'avons déjà dit, il a été écrit dans l'histoire, inséré en un temps et en un lieu — un contexte — qui ne sont pas les nôtres. Il a fallu une langue avec son vocabulaire, sa syntaxe, ses modes, ses conventions d'expression littéraire et ses formes de représentation culturelle.
Parole de Dieu, le texte biblique est aussi parole humaine, et si Dieu a veillé à ce que l'humain n'y injecte pas ses erreurs, il n'a pas court-circuité cette dimension humaine. Il a balbutié avec nous : c’était le prix pour être compris. Afin que nous l'entendions, le Dieu suprême a accepté la médiation d’écrivains qui n’étaient pas extra-terrestres, mais tributaires de l'univers mental des temps et des lieux où ils ont vécu — un univers mental caractérisé, comme tous les autres, par ses connaissances et ses ignorances. Plus tard, pour conserver les textes, Dieu a accepté la méditation tant du peuple juif que d'une Eglise que nous jugeons souvent infidèles. Il a employé des moines copistes faillibles, des traductions qui n'échappent jamais aux approximations, des imprimeurs, des libraires et... vous et moi, récepteurs imparfaits et brouillés par de multiples parasites.
Mais ça passe ! La Parole divine plantée dans la pâte humaine parle, non à l'abstraction «humanité», mais à des individus de tout temps et de tout lieu. Des hommes et des femmes innombrables se sont convertis en lisant un évangile, sans avoir la moindre idée de l'époque et du lieu où il a été écrit. Pourtant, même dans ces cas, il a fallu des traducteurs qui s'appuyaient sur le travail des exégètes, il a fallu des éditeurs et des distributeurs.
Ni le miracle de l'Esprit, qui actualise le texte en sorte qu'il me parle de façon immédiate, ni les inspirations directes que Dieu peut souverainement accorder (ou non), ne justifient la négligence, voire le mépris pour un solide travail d'étude et de recherche sur la Bible. Ce texte, qui fait partie du patrimoine littéraire de l'humanité, nous contraint à une telle approche si nous voulons en percer le sens à travers l'écran des siècles. Car appliquer sans avoir pris la peine d'expliquer, s'emparer de ce que le texte nous dit sans nous soucier d'abord de ce que ce texte dit, c'est rendre la Parole de Dieu otage de notre subjectivité et de nos idées toutes faites.
6. Saint-Esprit et ministères
Les réflexions ci-dessus sont en équilibre délicat, sinon en tension. Donné par Dieu pour que nous entendions sa Parole, le texte parle directement à notre foi et à notre cœur «comme une mère parle à son enfant», selon l'expression de Luther. Ecrit par des hommes au fil de l'histoire, le texte présente la complexité d'un écrit dont nous sommes séparés par plusieurs millénaires. Nier la distance, c'est risquer le contresens. Surévaluer la distance, c'est faire de la Bible la chasse gardée des spécialistes qui, soit dit en passant, modifient leurs thèses au moins une fois par génération... (3).
Nous avons donc une double évidence à gérer :
- Par la Bible, Dieu parle à nos coeurs dans la simplicité du face à face...
- mais le lecteur de la Bible se heurte à de nombreux obstacles et difficultés de compréhension.
Comment Dieu nous permet-il de faire face à cette double évidence ? Il a donné le Saint-Esprit à chacun de ses enfants. Et il a donné, par le même Esprit, des ministères à l'Eglise.
- Le Saint-Esprit, qui a guidé les auteurs des textes dans la lointaine Antiquité, fait de la Bible un contemporain et un compatriote pour les croyants de tous les siècles et de toutes les nations. Même s'il ne lui est pas facile de le vivre toujours avec la même intensité, le fidèle qui ouvre sa Bible et son cœur vit le moment privilégié d'une rencontre avec Dieu, son Père.
- Le Saint-Esprit a donné la Parole. Il a aussi donné, dans les siècles passés comme aujourd'hui, les ministres de la Parole. Ce sont des serviteurs du texte pour l'Eglise. Ils sont aptes à pénétrer le sens du texte afin de l'expliquer à ceux qui n'ont pas accès aux langues originales et à la connaissance du contexte historique, géographique et culturel.
Face au cléricalisme de l'Eglise romaine, face à l'intellectualisme de la théologie protestante, les chrétiens évangéliques, en mettant légitimement l'accent sur le sacerdoce universel des croyants et l'accès im-médiat de tous à la Parole de Dieu, ont parfois de la peine à situer l'enjeu des ministères d'enseignement de la Parole. Notre foi en l'inspiration nous ferait-elle oublier la nécessité d'un travail sur le texte, requérant une formation approfondie ? Refuser qu'il y ait une distance entre le texte et nous ne rend pas justice au caractère de la Bible... et ne la respecte donc pas véritablement (4).
7. Inerrance de l'Ecriture
Ce que Dieu dit n'est pas conforme à la vérité. C'est la vérité qui est conforme à ce que Dieu dit. Il serait absurde d'affirmer que Dieu s'est trompé, même une seule fois. Il en découle la doctrine de l'infaillibilité de la Bible en tant que Parole de Dieu. Mais le terme est piégé aux yeux de certains qui lui trouvent une connotation... papale ! Nous verrons plus loin qu'on peut lui préférer celui d'inerrance, forgé de toutes pièces par les théologiens évangéliques.
Affirmation nécessaire ! Si l'homme prétend déceler des erreurs dans la Bible, il se pose en instance supérieure à elle. Celui qui s'arrogerait le droit de trier dans l'Ecriture entre Parole de Dieu et parole d'homme se ferait maître, et non serviteur, de cette Parole souveraine. Dieu est sage. Il ne laisse pas à notre jugeote de pécheurs — même savants théologiens — la responsabilité de détecter ce qui vient de Lui et ce qui serait humain dans les textes qu'il a donnés comme fondement à notre foi.
Affirmation nécessaire, mais à deux conditions :
- Veillons à rester à notre place. Il n'appartient pas à l'élève à mettre «zéro faute» sur le texte du maître. Qu'il se contente de faire, simplement et sans crispation, confiance à ce maître. Vouloir démontrer que la Bible ne se trompe pas me semble peu productif. D'ailleurs, certains arguments me font penser au tuteur que j'ai vu un jour dans un verger: il ne tenait debout que parce qu'il était attaché à un arbre bien vivant et devenu robuste, alors que lui n'était qu'un morceau de bois mort! Nos arguments sont plus faibles que la Bible qu'ils s'imaginent défendre. Le grand prédicateur Spurgeon disait : «Faut-il défendre la Bible? On ne défend pas un lion, on ouvre sa cage !» Il est plus sage de laisser parler la Bible que de vouloir prouver son infaillibilité (5).
- Infaillibilité n'est pas omniscience. Certes, Dieu est omniscient (il a de toutes choses une connaissance absolue). Rien ne permet de supposer qu'il ait communiqué cette omniscience aux écrivains bibliques (ni même à son Fils, cf. Mt 24.36). Les auteurs bibliques ont écrit dans les limites des connaissances de leur temps. Il serait donc généralement (6) oiseux de chercher dans les textes les réponses à des questions qui ne se posaient pas au moment où ceux-là furent écrits.
C'est pourquoi, à la notion d'infaillibilité, il faudrait préférer celle d'inerrance qui, si je la comprends bien, affirme que la Parole de Dieu est totalement digne de notre confiance. Celle-ci ne s'égare pas dans les errances humaines et ne nous y égarera jamais.
Cela ne signifie pas que nous, nous ne nous égarerons jamais sous prétexte que nous sommes des chrétiens «bibliques». En effet, les «chrétiens bibliques» n'ont que trop tendance à récupérer à leur profit la notion d'infaillibilité de la Parole de Dieu pour protéger leurs doctrines et leurs principes contre tout redressement et toute remise en question. Que celui qui dit avoir une foi assez grande pour confesser l'infaillibilité de la Bible ait une humilité en proportion égale pour ne pas confondre la Bible et les élaborations doctrinales qu'il en tire ! Ce qui nous conduit à notre dernier point, le plus important.
8. L'autorité de la Bible
La Bible ne détient pas son autorité d'un principe doctrinal évangélique ou de la décision d'un Concile. La fixation du canon ne fut que le constat de ce qui était reconnu depuis longtemps: certains livres ont une autorité apostolique, à la différence de tous les autres. Calvin développe une argumentation d'importance stratégique pour clarifier le rapport entre l'Eglise et l'Ecriture. L'enjeu, fondamental au temps de la Réforme, l'est encore aujourd'hui (7).
Parole de Dieu signifie «parole prononcée par Dieu», mais aussi «parole qui ne cesse de lui appartenir et dont l'homme ne peut pas s'emparer sans devenir idolâtre» (8). Parce qu'il est la Parole de Dieu, le message biblique suscite l'Eglise. Il en est le seul fondement possible.
Pourtant, l'Eglise a toujours eu la tentation de prétendre établir un contrôle sur la Bible. Le combat de la Réforme, et il n'est pas gagné une fois pour toutes, est de remettre l'Eglise, donc nous, à sa place devant la Parole de Dieu. En tant que croyants nous écoutons, nous essayons de comprendre au mieux, nous faisons confiance, nous nous réjouissons ou nous pleurons, et nous obéissons. Mais nous serons toujours tentés de contrôler, d'utiliser, de calibrer l'Ecriture à la dimension de nos traditions ecclésiales, des fonctionnements de notre piété, des sécurités de nos lois et de nos principes. Le danger est subtil ! Ceux qui se disent le plus attachés à l'Ecriture sont peut-être ceux qui risquent le plus de l’attacher !
Les chrétiens et les dénominations chrétiennes peuvent diverger sur certains articles de doctrine. Mais, si les uns et les autres se réfèrent loyalement à l’Ecriture comme seule autorité normative pour la foi et l’enseignement chrétien, le dialogue est toujours possible, nécessaire et fructueux… même s'il ne conduit pas à l'uniformité des opinions.
Ne nous illusionnons pas ! L’univers culturel, dans lequel nous baignons — et contre lequel nous réagissons plus ou moins fort —, nos sensibilités liées à nos histoires personnelles, nos expériences spirituelles les plus marquantes, la tradition des pères et l'influence de nos proches sont autant d'éléments qui infléchissent notre compréhension de la Bible. Alors, mieux vaut le savoir pour pouvoir espérer le maîtriser.
Confesser l'autorité de l'Ecriture comme norme de notre foi personnelle, comme de celle de l'Eglise (9), ce n'est pas user de la Bible pour justifier nos positions, mais c'est accepter de confronter nos convictions à la Bible elle-même et à la manière dont d'autres l'entendent. De cette confrontation, nos convictions sortiront amendées ou confirmées, complétées ou amputées.
Or, parce qu'elle est Parole de Dieu, la Bible nous étonnera toujours. Sans cesse, elle bousculera nos idées toutes faites et nous gênera quelque part. Après tout, «mes pensées ne sont pas vos pensées, dit l'Eternel» (Es 55.8). S'il n'en était pas ainsi, ce pourrait être l'indice que nous avons englobé la Bible dans nos systèmes et que nous l'avons neutralisée. Ce serait très inquiétant... pour nous, pas pour elle ! Luther a dit: «Je ne permettrai pas qu'on impose une manière d'interpréter la Parole de Dieu, car il faut que cette Parole, cette source de toutes les libertés, soit libre elle-même». C'est la Bible qui a le dernier mot. A moins que le nôtre soit l'amen d'un ralliement.
Nous avons cité 2 Timothée 3.16. Mais la citation était tronquée (comme nous le faisons en général) et j'ai hâte de la restituer dans son intégralité. « Toute l'Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour... (Qui connaît la fin de ce verset par cœur? C'est pourtant là que tout se joue! Car elle montre la finalité, la raison d'être, de l'inspiration de l’Ecriture !)
- Pour enseigner (verbe apparenté à «doctrine»);
- Pour convaincre (ce verbe évoque la réfutation ou la correction d'une erreur);
- Pour redresser (l'expression désigne le changement d'un comportement faussé);
- Pour éduquer dans la justice (on peut traduire : former à une juste manière de vivre).
Les deux premiers verbes concernent le contenu de la foi, les deux derniers le fruit de la foi (doctrine, puis éthique). Le premier et le dernier verbes sont positifs — il s'agit de construire des pensées et des comportements chrétiens. Les deux verbes du milieu sont négatifs — nous sommes, par notre nature, faussés dans nos idées et notre conduite, et la Bible doit nous changer. A quoi servirait-il que la Bible soit inspirée si ce n'était pour cette quadruple action en nous ? Inspiration et autorité pour...
Au temps de la réforme du roi Josias (VIIe siècle av. J.-C.), la piété du peuple d'Israël s'est enflammée, avec un zèle nouveau, par une sorte de redécouverte du temple comme lieu donné par Dieu pour son rendez-vous avec le peuple. Jérémie, lui, ne s'est pas laissé trop impressionner par ce zèle apparent. «Ne vous confiez pas en des paroles trompeuses en disant: c'est ici le temple de l'Eternel, le temple de l'Eternel, le temple de l'Eternel! Si vraiment vous réformez vos voies et vos agissements, si vraiment vous faites droit les uns aux autres, si vous n'opprimez pas l'immigrant, l'orphelin et la veuve... alors je vous laisserai demeurer en ce lieu» (Jé 7. 4-6). Pour notre part, n'allons pas simplement nous réclamer de la Bible — la Parole de Dieu, la Parole de Dieu, la Parole de Dieu — sans prendre conscience de la profonde et permanente transformation qu'elle veut, qu'elle doit opérer dans nos pensées, nos choix et notre comportement (10).
Jacques Blandenier
Notes
1) « Finalement, afin que d’un train continuel la vérité demeure toujours en vigueur d’âge en âge, et soit connue de la terre, Dieu a voulu que les révélations qu’il avait confiées en la main des Pères comme en dépôt, soient enregistrées ; et à cet effet, il a fait publier sa Loi, à laquelle il a ensuite ajouté les Prophètes comme expositeurs.
Si on regarde combien l’esprit humain est enclin et fragile pour tomber en oubli de Dieu, combien aussi il est prompt à dévier en toutes espèces d’erreurs ; de quelles convoitises il est mené pour se forger des religions étranges à chaque minute : de là on pourra voir combien il a été nécessaire que Dieu ait ses registres authentiques pour y déposer sa vérité, afin qu’elle ne périsse point par oubli, ou ne s’évanouisse par erreur, ou ne soit corrompue par l’audace des hommes » (Jean Calvin, L’Institution chrétienne, livre I/chapitre 6/paragraphes 2,3).
2) «Parce que Dieu ne parle point journellement du ciel, et qu'il n'y a que les seules Ecritures où il a voulu que sa vérité soit publiée pour être connue jusqu'à la fin, elles ne peuvent avoir pleine certitude envers les fidèles à autre titre, sinon quand ils tiennent pour certain et incontestable qu'elles sont venues du ciel, comme s'ils voyaient là Dieu parler de sa propre bouche » (Jean Calvin, L'Institution chrétienne, I/7/1).
3) ...Et c'est se mettre en nette contradiction avec la manière dont Jésus-Christ, la Parole de Dieu, s'est adressé aux plus humbles pour qu'ils le comprennent, souvent mieux que les spécialistes de l'époque, les docteurs de la loi (cf. Mt 11.25).
4) Il est étonnant (pour le moins) que les prédicateurs évangéliques soient si peu nombreux à s'astreindre à l'étude des langues bibliques.
5) « Ceux qui veulent prouver par argument aux incrédules que l’Ecriture est de Dieu, sont inconsidérés : cela ne se connaît que par la foi » (Jean Calvin, L'Institution chrétienne, 1/8/12).
6) Ce «généralement» apporte une nuance nécessaire : des prophéties ont pu être obscures à leurs auteurs humains et dévoiler leur sens longtemps après. Cela n'infirme pas que, sur le plan culturel, les écrits bibliques reflètent le savoir de leur époque. Les auteurs bibliques, par exemple, ne possédaient pas les connaissances scientifiques qui sont les nôtres aujourd'hui (et qui seront caduques demain...). Les auraient-ils eues que leurs contemporains, et leurs successeurs jusqu'à récemment, n’y auraient rien compris !
7) «C’est une rêverie trop vaine d'attribuer à l'Eglise puissance de juger l'Ecriture... pour savoir ce qui est Parole de Dieu ou non. Ainsi l'Eglise, en reconnaissant l'Ecriture, ne la rend pas authentique, comme si auparavant elle eût été douteuse ; mais parce qu'elle la connaît être la pure vérité de son Dieu, elle la révère et honore... Quant a ce que ces canailles demandent d'où et comment nous serons persuadés que l'Ecriture vient de Dieu, si nous n'avons refuge au décret de l’Eglise : c'est comme si quelqu'un nous demandait d'où nous apprenons à discerner la clarté des ténèbres, le blanc du noir, le doux de l'amer. Car l'Ecriture a de quoi se faire connaître, d'une façon aussi notoire et infaillible que les choses blanches et noires de montrer leur couleur, et les choses douces et amères de montrer leur saveur»
(Jean Calvin, L'Institution chrétienne, 1/7/2).
8) Voyez le cas, très similaire, de l' Arche de l' Alliance dans deux textes très forts: 1 Samuel 4 et 2 Samuel 6.
9) « Nous croyons que la Parole qui est contenue dans ces livres a Dieu pour origine et qu’elle détient son autorité de Dieu seul et non des hommes.
Cette Parole est la règle de toute vérité et contient tout ce qui est nécessaire au service de Dieu et à notre salut ; il n’est donc pas permis aux hommes, ni même aux anges, de n’y rien ajouter, retrancher ou changer.
Il en découle qui ni l’ancienneté, ni les coutumes, ni le grand nombre, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les arrêts ni les lois, ni les décrets, ni les conciles, ni les visions, ni les miracles ne peuvent être opposés à cette Ecriture Sainte, mais qu’au contraire toutes choses doivent être examinées, réglées et réformées d’après elle. »
Confession de foi de La Rochelle, art.5 (adoptée en 1571 par les Eglises réformées de France).
10) « La Parole de Dieu n’est point pour nous apprendre à babiller, pour rendre éloquents ou subtils, mais pour réformer nos vies » (Jean Calvin).