Le chantier de l’adaptation culturelle (2)

jeudi 13 septembre 2007
Le passage d’une culture marquée par le référent écrit à une culture où l’oralité domine, exige de la part des Eglises et des personnes qui animent la vie ecclésiale d’importants changements. Henri Bacher nous emmène sur les chemins de cette prise de conscience. Par écrit et à l’aide d’une vidéo que vous pouvez voir sur « youtube » (voir pour le lien en fin d’article).

Nous devons passer d’une culture littéraire à une culture d’oralité électronique. Pour l’instant, on peut encore parler d’un mix entre ces deux cultures, mais peu à peu l’oralité va marginaliser durablement l’écrit comme descripteur et ordonnateur de la réalité.

La multiplication des sous-cultures
La culture du livre est de fait une monoculture, servie par le levier technologique de l’imprimerie. C’était un puissant moyen d’uniformiser la pensée et les comportements. L’oralité électronique, par contre, est génératrice d’une mosaïque de sous-cultures qui elles-mêmes développent des « tribus ». Notre société se tribalise. Alors que la culture du livre a éliminé en France, par exemple, l’utilisation régulière du breton, de l’occitan, ainsi que d’autres langues, les nouvelles cultures orales produisent le verlan, le langage SMS, le patois des banlieues.

Culture orale ou culture écrite
Quelle est la différence entre culture écrite et culture orale ? Disons, en caricaturant, que l’écrit n’utilise que très peu l’émotion, le sentir, pour transmettre l’information de base. Autrement dit, techniquement, vous lisez un texte, une sorte de code qui ne procure pas, d’entrée, une émotion quelconque. Ce n’est qu’à la fin de la phrase, lorsque votre cerveau aura passé par le processus d’analyse, c’est-à-dire le fait d’assembler logiquement des lettres et des mots, que vous allez comprendre et éventuellement ressentir une émotion : par exemple la joie développée par le propos ou la tristesse engendrée par l’histoire écrite. Il est clair que le processus n’est pas aussi mécanique que je le décris, preuve en est la poésie. Pour comprendre, les lettres et les mots doivent être alignés sur une même ligne, les uns derrière les autres. Il y a un début et il y a une fin. On ne peut pas intervertir le commencement et la fin d’une phrase.
Ce processus de lecture forme aussi notre manière de voir le monde, de communiquer, de formuler notre foi. Le sermon traditionnel emploie cette manière de penser. Point 1, point 2, point 3, conclusion. On emboîte les arguments les uns derrière les autres comme on aligne les mots d’un texte. C’est à la fin, qu’on se dit : voilà j’ai compris ! C’est une argumentation logique, froide de préférence pour ne pas polluer le propos avec des émotions personnelles. L’auditeur de ce genre de pratique homilétique ressent une joie intellectuelle, plus qu’une joie au niveau de ses tripes.

L’oralité et l’importance du ressenti
Pour l’oralité c’est tout autre chose. Pas de logique linéaire, pas d’emboîtements d’arguments, mais plutôt une juxtaposition d’ambiances, d’émotions, de sons, de couleurs, d’odeurs. Une sorte de mosaïque, comme lorsque le peintre se met à élaborer un tableau. Il ne commence pas en haut à gauche pour terminer en bas à droite, en suivant des lignes imaginaires comme dans l’écriture. Tout en ayant en tête son image finale, il peut peindre d’une manière complètement anarchique, illogique et pourtant, peu à peu, sa représentation prendra du sens. Dans ce contexte, la vision est primordiale. S’il ne peut pas visualiser sa représentation mentalement, il n’arrivera jamais à la réaliser. Si nous parlons tellement de vision aujourd’hui dans l’église, c’est que nous avons changé de culture ! Pour appréhender une peinture, on ne l’analyse pas (même si certains analytiques le font), mais on la sent. On ressent une peinture avant de la comprendre. Ou bien on comprend ce que l’on ressent. Le sentir est donc premier dans le processus de l’oralité.
Là où l’écrit a besoin d’une ligne pour se matérialiser, l’oralité a besoin d’une histoire pour se dire. L’histoire a la fonction d’un filet à provisions. C’est un moyen de « transporter » les vérités que l’on veut transmettre. Les paraboles de Jésus fonctionnaient comme ces filets pour donner des informations sur son Père, sur les hommes, sur le Royaume, etc.

Quel prédicateur êtes-vous ?
Le prédicateur traditionnel raffole des textes de l’apôtre Paul, très proches de la structure analytique de l’écrit. Le prédicateur moderne adore les histoires des évangiles et de l’Ancien Testament. Pour tester quel prédicateur vous êtes, comptabilisez le nombre de fois où vous avez prêché sur les épîtres et le nombre de fois où vous avez prêché sur l’Ancien Testament ou sur une parabole.

Quelques questions pour terminer
- Les communautés « tribales » vont se multiplier. Ce qui est déjà le cas dans les grands centres urbains. Je ne parle pas de la tribalisation ethnique, mais bien de celle engendrée par les cultures actuelles. Comment former des pasteurs dans une académie imprégnée par l’esprit de la monoculture pour des communautés pluri-culturelles ?
- Comment créer l’unité entre ces différentes « tribus » ? Le « un seul cœur, une seule pensée » de l’apôtre Paul nous l’avons souvent interprété par le « une seule culture » !
- Comment dire les vérités divines en racontant des histoires ? Une histoire se vit. On ne la lit pas en public. Il faudra donc apprendre à être conteur, avant d’être lecteur de son sermon!
- Comment construire une thématique annuelle, dans la communauté, en la mettant sous forme d’histoire ? Dans la Bible, on parle des histoires individuelles qui entrent dans l’histoire générale du peuple juif.
- Quelle est « l’histoire » générale de notre communauté ? Est-ce que nos « sermons-histoires » ont quelque chose à voir avec l’histoire de notre communauté ?
- Est-ce que nous avons une vision pour notre communauté ou bien sommes-nous un peintre qui barbouille sa toile sans une « image-vision » derrière la tête ?

Henri Bacher
Logoscom

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