Le chantier du fonctionnement en réseau (3)

jeudi 27 septembre 2007
Henri Bacher, le directeur de Logoscom, nous propose ici le troisième article de sa série « Pour des Eglises en chantier ». Il aborde la question des changements intervenus dans la manière de penser suite à l’émergence des médias électroniques. Il ne s’agit plus aujourd’hui de perpétuer dans les Eglises la relation maître-élève, mais de valoriser les compétences de tous. Notamment au travers de la dynamique des réseaux. Une réflexion à lire, doublée de deux vidéos à voir !
L’adaptation culturelle ne concerne pas seulement la manière de concevoir ou de transmettre un message. Il faudra également repenser les espaces et les lieux de communication qui eux aussi conditionnent nos comportements et nos messages. Lorsque je parle de lieu ou d’espace, ce n’est pas forcément un espace physique, mais ça peut aussi être en relation avec le virtuel. Un réseau téléphonique est bien réel tout en étant virtuel.

Ecole contre réseau
La civilisation du livre, relayée par le levier technologique de l’imprimerie, s’est développée grâce à l’école. Les écoliers s’assoient à une table, dans une salle de classe, face au maître ou à la maîtresse (à penser). Bien que ce genre d’agencement ait évolué durant ces dernières décennies et que l’enseignement scolaire se soit énormément adapté à l’évolution de la société, l’école reste fondamentalement traditionnelle dans son fonctionnement. D’un côté, il y a le maître qui sait et, de l’autre, on trouve ceux qui ne savent pas ou qui ne savent pas encore. Ce qui donne une communication à sens unique, comme à la radio. Bien sûr, l’auditeur comme l’élève peut intervenir, mais ce n’est que d’une manière « autorisée », lorsqu’on tend le micro ou lorsque le maître pose une question ou demande une participation. Les évangéliques ont un peu arrondi les angles de ce type de communication en permettant aux participants de s’exprimer librement par la prière ou de choisir un chant, mais personne n’interromprait le speech du prédicateur pour compléter ou contester sa pensée.
L’Eglise des Calvin et des Luther a copié le système scolaire et les évangéliques du XIXe siècle n’ont guère quitté la galaxie Gutenberg. Normal ! Si vous vouliez être au centre de la culture des gens, il fallait également adopter leurs manières de communiquer et le canal par lequel ils reçoivent les informations. L’Eglise a pu prospérer parce qu’elle savait utiliser les instruments et la mentalité de travail des scolaires ! Tout notre vocabulaire interne parle de ce patrimoine : enseignement, cours et études bibliques, lecture et explication de la Bible, professeur de théologie, école du dimanche... Si vous demandez à un pasteur quel est son don principal, il vous répondra presqu’à coup sûr, qu’il a un don d’enseignement. Est-ce le don d’être un bon « instituteur spirituel » ou bien celui dont parle l’apôtre Paul ? Je suis un brin provocateur, mais c’est juste pour montrer à quel point nos Eglises sont scotchées sur le banc de l’école. En fait, nos communautés sont des écoles spirituelles où le pasteur ou le prédicateur vient devant ses « élèves » pour leur dire : « Moi, je sais et vous, vous avez besoin d’apprendre ». On croise les bras, on écoute et puis on repart. Là, aussi, c’est un brin caricatural, puisque beaucoup d’Eglises, comme d’ailleurs la majorité du système scolaire a évolué vers quelque chose de différent. En écrivant cet article, je me positionne dans la civilisation du livre. Ne prenez donc pas mes remarques pour des critiques.
Aujourd’hui le centre de notre culture n’est plus à l’école, mais dans les mass-médias, internet, la téléphonie mobile… et les réseaux !
 
Le réseau
Le principe de base du réseau, c’est la relation. Le filet est une belle image du réseau. Ce sont des points ou des nœuds reliés entre eux par un lien. Notre société se structure peu à peu autour des réseaux, qu’ils soient électroniques ou sociaux. C’est là que ça se passe et preuve en est l’école qui passe d’une réforme à l’autre sans trouver la stabilité qu’elle avait auparavant. Elle sent bien qu’elle ne peut plus continuer comme par le passé. Si on voulait maintenant adopter les termes du réseau à notre vocabulaire d’Eglise, ça donnerait peut-être cela : dimanche matin je vais aller chatter avec mes frères et sœurs à l’Eglise. Nous allons constituer avec l’aide du pasteur une « wikiprédic », c’est-à-dire un prêche élaboré avec l’ensemble des participants, à l’image de ce qui se fait sur Wikipedia. Nous allons organiser mardi soir un forum biblique et nous allons mettre sur pied une chaîne de prières (tiens ça existe déjà !).
Aujourd’hui, surtout en Occident, les gens connaissent beaucoup de choses et tout l’art des responsables d’Eglises, c’est de pouvoir en tirer parti, d’organiser le partage. Les promoteurs de Youtube ou de Dailymotion, par exemple, ne se sont pas mis eux-mêmes à produire des vidéos, mais ils ont simplement mis à disposition un espace électronique pour que tout un chacun puisse y poser la sienne. Bien sûr, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Dans le cadre d’une Eglise, le rôle des responsables est d’aider à trier les contributions, à les hiérarchiser et à les organiser.
Pourtant, si on s’arrête au partage de savoir, on n’est pas encore dans la mentalité des « réseauteurs ». Un réseau, c’est avant tout des personnes qui se rassemblent autour d’un certain nombre d’intérêts qui leurs sont communs. Le partage d’expériences ou de savoir n’est que secondaire, alors que dans le système de l’école c’est primordial. On ne vient pas à l’école pour se faire, avant tout, des copains, mais pour apprendre. Les gens qui ne viennent au culte que pour voir les copains sont plutôt suspects. On vient à l’Eglise pour être enseigné dans sa foi et pour louer Dieu!

La pratique du réseau
Dans le système de l’école, il y a à la base un auditoire et un maître qui se trouve en face de celui-ci. Dans notre communication, en tant que responsables de communauté, nous sommes une ou plusieurs personnes en face d’un groupe que nous dirigeons. Ce groupe est de préférence compact et tout le monde fait, dit et devrait penser la même chose, comme une classe d’école qui a le même programme et qui devrait apprendre les mêmes choses en même temps. Cette approche n’est donc pas négative, dans un contexte scolaire. Par contre, dans un contexte de réseau, c’est très handicapant. Par définition, les réseaux ne se ressemblent pas, puisqu’ils se constituent par affinités et par centres d’intérêts. Un réseau de motards, fans de Harley Davidson, ne va jamais partager le bitume avec des amateurs de trottinettes pétaradantes.
Dans l’Eglise, on s’est bien rendu compte qu’il y avait des attentes différentes. On a donc commencé par faire, ce que j’appelle du « patchworking ». Un peu de tout à la fois pour contenter le plus grand nombre. Or, cette approche fait fuir plus de monde qu’elle n’en rassemble. Culturellement, il y a « brouillage », comme les ondes d’une radio sont brouillées par des appareils spéciaux. Il ne suffit plus de dire que chacun doit faire des efforts et qu’il faut aussi savoir s’accueillir les uns les autres. Les responsables devraient cartographier les réseaux qui existent dans leur communauté et essayer de développer une réponse spécifique pour chacun d’eux.
A terme, le plus gros problème, c’est que les communautés ne desservent plus qu’un seul réseau en pensant atteindre tout le monde. Un réseau qui ressemble à son pasteur et au conseil qui l’entoure.

Questions :

  1. Comment, un pasteur peut-il s’occuper d’une multitude de réseaux-groupes différents, alors qu’il a déjà de la peine à s’occuper du grand groupe ?
  2. Avec cette vision d’un éclatement de l’auditoire en réseaux multiples, comment créer le sens de la communauté corps du Christ ?
  3. Comment enseigner la Parole à des personnes qui ne veulent plus être assis sur un « banc d’école » ?
  4. Quel est le modèle qu’un pasteur peut utiliser, s’il veut quitter le système scolaire pour devenir « pasteur-reseauteur » ?
  5. Apparemment dans les réseaux chacun « sait » ? Est-ce que Dieu n’a plus rien de spécifique à dire au travers d’un pasteur ou d’un ancien ? Est-ce que les gens « savent » vraiment ?

Henri Bacher
Logoscom

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