Daniel Bourguet, dans votre livre « Les maladies de la vie spirituelle », vous invitez les lecteurs de la Bible à prendre conscience du fait que Dieu est médecin. Pourquoi ?
A mon sens, valoriser le visage de Dieu comme médecin, c’est renouer avec un aspect de Dieu très présent dans la Bible, un aspect qui, petit à petit, a été mis de côté. A une époque où beaucoup de gens souffrent non pas seulement physiquement, mais aussi intérieurement, il est important de redécouvrir une telle perspective.
On sent dans votre plaidoyer le désir de rompre avec une manière de voir Dieu très marquée par la perspective du Dieu juge…
Le protestantisme en général tout comme le catholicisme d’ailleurs ont gardé et souligné la perspective du Dieu juge. Elle est juste, mais quand elle est hypertrophiée, elle est fausse. C’est ce qu’a fait l’Occident. Il a été marqué par Rome et son esprit très juridique. Le protestantisme n’en est pas sorti, avec un Calvin, juriste de formation ! Il ne faut donc pas rejeter cette dimension, mais l’équilibrer avec le côté thérapeutique de Dieu. Ce qui est intéressant, c’est que l’Orient chrétien a gardé vivante cette tradition du Dieu médecin. Heureusement ! Ces chrétiens peuvent aujourd’hui nous aider à redécouvrir ce visage de Dieu et du Christ.
Dans la Bible, quels indices témoignent de l’importance de cette dimension du Dieu médecin?
Prenons simplement les premières pages de la Bible… Quand Dieu dit à Adam et à Eve : « Quand vous mangerez de ce fruit, vous mourrez ! » Tout l’Occident a entendu ce propos comme provenant de la bouche d’un juge qui dit : « Attention, si vous faites cela vous serez puni ! C’est la mort qui vous attend, la punition du Juge ! » En Orient, les commentateurs de ce récit mettent ce propos dans la bouche du Dieu médecin. Du coup, on l’entend tout autrement. On entend une mise en garde: « Fais attention ! Si jamais tu manges de ce fruit, il en sera comme si tu manges d’un fruit vénéneux ou d’un mauvais champignon, tu en mourras ». Dès les premières pages de la Bible, cette perspective du Dieu médecin est là. Elle traverse le donné biblique. Elle permet un regard différent sur le texte.
Dans votre livre « Les maladies de la vie spirituelle », vous proposez une méditation sur la figure de Caïn et vous relevez que Dieu intervient auprès de Caïn tout au long du récit comme médecin et non comme juge…
Effectivement, Caïn est interpellé par Dieu avant même de tuer. Un juge, à mon sens, n’intervient qu’après le meurtre. Quand Caïn commence à se mettre en colère, Dieu essaie de le prévenir : « Attention ! toute cette affaire peut te conduire au meurtre ».
Dieu aborde la colère comme une maladie intérieure. Aujourd’hui, peut-être regarde-t-on la colère différemment. Mais si on réalise qu’elle peut conduire au meurtre, alors il ne faut pas la traiter à la légère. Elle fait partie de ce que l’on peut appeler les « maladies spirituelles ». Les maladies spirituelles, ce ne sont ni des rhumes, ni des cors au pied, ni des otites, ce sont des maladies importantes. La colère est du nombre et Dieu fait tout pour soigner Caïn. Il lui donne des remèdes et lui prodigue des conseils : « Voilà ce dont tu souffres et voilà ce que tu peux faire. Si tu suis mon conseil et ma thérapie, tu vas guérir et tu ne succomberas pas aux conséquences meurtrières de ton tourment intérieur ».
Ce qui vous frappe encore dans ce récit biblique, c’est que Caïn ne répond pas à Dieu. Il faut attendre le meurtre pour qu’il réponde enfin au Seigneur…
En fait, Caïn ne veut pas d’un médecin. Il se ferme à ce dialogue et cette fermeture le conduit au meurtre. Dieu ne parvient pas à le sortir de son mutisme, un mutisme que l’on rencontre aujourd’hui chez beaucoup de gens. Se replier sur sa maladie et ne jamais parler à Dieu, cela conduit à des catastrophes. Dieu vient nous chercher dans notre mutisme, pour nous en faire sortir, c’est le propre de ce Seigneur médecin. En faisant parler un malade, on le conduit sur le chemin de la guérison.
Et ce Dieu médecin, vous le discernez aussi de manière particulière dans la personne de Jésus…
Bien sûr… Le visage de Jésus dans l’Evangile, ce n’est pas le visage d’un juge. Jésus ne cesse de dire : « Je ne suis pas là pour juger…. » « Je ne te condamne pas... » Donc ce rôle de juge, Jésus l’accepte pour les temps derniers. Dans son ministère parmi les hommes, il le laisse de côté en disant : « Je ne suis pas venu pour cela, mais je suis venu comme un médecin pour les malades. Je viens pour guérir ». Nous avons des dizaines de miracles physiques qui témoignent de cela. Mais Jésus vient aussi guérir le monde intérieur. La rencontre avec le jeune homme riche l’atteste, même si elle se termine mal. Dans son évangile, Matthieu affirme que Jésus guérissait toutes les maladies (4,23). On peut donc penser que Jésus guérissait non seulement les maladies physiques, mais aussi les maladies intérieures. Ainsi, Jésus incarne pleinement le visage du Dieu thérapeute.
Vous parlez beaucoup des maladies spirituelles, mais quelles sont-elles ?
Les pères de l’Eglise les ont classifiées. Ils ont retenu 8 grandes maladies spirituelles, desquelles les autres découlent. Les deux premières sont faciles à déceler. Il s’agit de la luxure ou de l’esprit de prostitution et de la gourmandise. Il y a d’autres maladies plus intérieures qui sont l’avarice, la tristesse, le dégoût de vivre, la colère, la vaine gloire… La plus enfouie, c’est l’orgueil. On la voit chez les autres, mais on peine à la voir chez soi.
Daniel Bourguet, comment est-ce qu’on parvient à diagnostiquer certaines maladies spirituelles dont on serait victime ?
Ce n’est pas toujours très évident, parce que cela demande un regard lucide. On peut dire que nos distractions, très ennuyeuses parce que elles nous distraient dans notre vie de prière ou dans notre méditation, nous permettent de poser un diagnostic. Durant les moments de distraction, certaines personnes pensent toujours à l’argent qui manque et aux problèmes qu’ils ont à gérer… C’est cela qui les distrait. Ces distractions témoignent peut-être de la maladie spirituelle dont ils souffrent. D’autres, dans leurs moments d’absence, pensent à la femme de leur voisin ainsi qu’à des questions sexuelles… Ce sont des signes qui peuvent nous mettre en alerte et nous dire : « Attention, ta maladie spirituelle se situe à ce niveau-là ».
Ces distractions comme les rêves d’ailleurs montrent ce qui est problématique chez nous.
Dans cette réflexion autour des maladies spirituelles, la valorisation du Dieu médecin ne vous pousse-t-elle pas à refuser le Dieu juge ?
Non, il ne faut pas le refuser. Il faut accepter que Dieu soit notre juge. Peut-être qu’actuellement je mets trop l’accent sur la dynamique du Dieu médecin pour dispenser un enseignement pleinement équilibré… Mais rappelons tout de même que, dans le Nouveau Testament, la dimension du Dieu juge intervient dans les temps derniers. Les propos sur le jugement dernier montrent que Dieu exerce alors pleinement sa fonction de juge. Dans un tel contexte, la thématique de la grâce trouve sa place. Une grâce qui n’autorise pas la démission éthique ni le fait de faire n’importe quoi sous prétexte que : « De toutes façons Dieu pardonnera… ». Une grâce sans jugement serait complètement perverse…
Il n’empêche qu’aujourd’hui la thématique du Dieu médecin interpelle beaucoup plus. Elle nous rend davantage adulte et responsable de nos actes. Cela, il faut le rétablir. Mais il ne faut néanmoins pas oublier la grâce qui est toujours première.
Propos recueillis par Serge Carrel