Durant le Moyen-Âge, pour apprendre, on s’immergeait dans un tissu religieux, on plongeait dans un magma d’émotions spirituelles, on suivait l’exemple des saints qui n’hésitaient pas à se flageller pour expier leurs fautes. Pas besoin de réfléchir, on suivait le flot communautaire. En faisant corps, comme dans la procession, avec ses condisciples, on espérait faire partie des élus. Hors du « corps » social et religieux de l’Eglise, pas de salut et ceux qui osaient penser différemment, comme les Albigeois ou les vaudois, se faisaient trucider. Former les gens, dans un contexte pareil, c’était les intégrer dans un corps et ceux-ci apprenaient par osmose, par « mimique » interposée. Pourtant, les Européens, à la fin du Moyen-Âge, commencèrent à en avoir marre de cette spiritualité qui leur demandait de faire des pèlerinages pour assurer leur salut, de brûler des cierges dans les églises, de se signer, de « processionner ».
Le protestant, un croyant autonome dans sa foi et sa pensée
Les réformateurs comme Luther ou Calvin ont commencé par extraire le croyant de ce magma communautaire pour lui faire prendre conscience que le salut dépendait de lui et seulement de lui, qu’il appartienne à une communauté ou non. D’ailleurs, en réalité, le croyant n’apprenait plus rien pour lui-même. Il suivait des rituels et se tranquillisait en répétant les gestes et en participant aux actes communautaires. Il fallait donc éliminer, de près ou de loin, ce qui pouvait le rattacher à cette notion de salut par immersion communautaire. Théologiquement, c’est juste qu’en devenant croyant, on intègre le corps du Christ, mais le catholicisme de l’époque a transposé cette vérité biblique avant tout dans le champ social.
Le protestant est donc devenu un croyant qui pense tout seul, qui prie tout seul, qui lit sa Bible seul ! Ont suivi les dérives communautaires et sectaires, puisqu’on n’avait plus besoin d’être soumis à un « corpus » autoritaire, encore que l’Eglise catholique a tout simplement su garder les dérives sous le même chapeau.
La formation dans le protestantisme passe donc de la « communauté apprenante » à « l’individu apprenant ». Les pasteurs vont fournir au croyant un ensemble de « clés » ou de doctrines pour encadrer sa foi. S’il n’y a plus de communauté pour cadrer le croyant et lui indiquer le chemin en l’intégrant dans son parcours, il faut des cadres doctrinaux et des techniques d’analyse personnelles pour survivre, spirituellement parlant. Le livre deviendra le support idéal où le chrétien puisera ses idées, ses exemples, ses pratiques et vous comprendrez pourquoi la lecture de la Bible a pris une telle importance dans le protestantisme naissant.
Le pasteur donne simplement des indications. Il explique la Parole, sans vraiment s’impliquer avec ses émotions. Le croyant ne doit pas faire corps avec son pasteur, donc il faut cultiver une certaine distance émotionnelle.
L’univers du livre, une superstructure handicapante
C’est au croyant de choisir et la communauté ne doit pas choisir pour le chrétien !
Cette notion de communauté apprenante était une excellente idée dans le christianisme naissant, de même que l’individu qui peut croire sans forcément être pris dans un magma communautaire. Le problème, c’est que toute entreprise humaine se fige un jour, parce qu’on pousse l’expérience trop loin et ce qui a été bénéfique au départ, devient destructeur par la suite. Pour les protestants et les évangéliques, malgré quelques corrections en cours de route, l’univers du livre avec son cortège d’exégètes, d’interprètes est devenu une superstructure mentale aussi handicapante que la communauté à la fin du Moyen-Âge. Les gens aujourd’hui en ont marre d’apprendre des théories, de se plier à des doctrines et de se faire expliquer la foi. Ils veulent retrouver une communauté qui les enseigne, non à la manière des livres, mais en les entraînant dans un chemin, au lieu d’analyser pour eux le chemin !
Pourquoi des mouvements comme Taizé arrivent-ils à mobiliser des centaines de milliers de jeunes ? C’est avant tout le modèle communautaire qui attire et non pas en premier lieu les idées de ces frères. D’ailleurs, même s’ils écrivent des livres, ce ne sont pas ceux-ci qui ont convaincu les gens de se déplacer. Les festivals de musique, les marches pour Jésus, autant de réminiscences de la procession du Moyen-Âge, sont des indices qui nous montrent que les gens ont à nouveau besoin d’être immergés dans une communauté. Pour l’instant, comme les élites de nos Eglises ne se sont pas vraiment rendu compte de ces profonds changements, ces nouveaux mouvements reprennent des formes communautaires du passé, sans en avoir vraiment le contenu. Comment passe-t-on du « livre » à une communauté apprenante ? Comment partager le savoir, la connaissance, et pratiquer la spiritualité en utilisant la communauté ? C’est un peu comme l’enfant qui apprend au sein de sa communauté familiale. C’est une éponge qui absorbe les propos, les comportements, les « Weltanschauungen » de son milieu, sans cours, sans formation spécifique. Avec le web 2.0, le monde nous a devancés, comme la Renaissance à l’époque du Moyen-Âge a doublé l’Eglise de l’époque. Aujourd’hui des Luther et des Calvin seraient des gens actifs dans le web 2.0, là où ça se passe !
Dans la pratique
Que faut-il faire ? Vous cherchez sûrement des programmes de travail, un manuel qui vous explique comment ça fonctionne. Hélas, c’est comme vous donner un mode d’emploi de comportement au début d’un concert. Dans un concert de musique contemporaine, on apprend à se comporter, il va sans dire, en regardant ce que font les autres. L’Eglise redeviendra un lieu où il faudra apprendre à « montrer », à regarder et à reproduire. Les modèles « live » deviendront plus importants que les modèles théoriques. Creusez-vous la tête pour trouver d’une part des modèles vivants à mettre en avant et, dans un deuxième temps, des lieux et des activités qui permettent d’être au contact de ces modèles. Pour moi, comme dans la famille, un modèle c’est quelqu’un qui vit sa foi, qui en parle et qui a envie de transmettre son expérience. En somme, le pasteur sera un géniteur et un « organisateur » de modèles. Il créera des réseaux qui fonctionneront comme des viviers de modèles à suivre.
Questions :
1. Est-ce que les modèles théoriques sont vraiment obsolètes ?
2. Une foi qui se nourrit en immersion sera-t-elle solide sans structuration théorique ?
3. On sent dans les propos de l’auteur une « haine » contre tout ce qui est intellectuel. N’est-il pas court-circuité dans sa réflexion, par le fait qu’il n’est pas universitaire ?
4. Peut-on honnêtement se passer des écoles et des universités pour structurer les communautés chrétiennes ?
Henri Bacher
Directeur de Logoscom