Marie, ma sœur

mardi 21 mars 2006
Les protestants parlent très peu de la Vierge Marie… pomme de discorde avec les catholiques romains ! En un temps où l’on cherche à pacifier les relations entre confessions chrétiennes, on évite les polémiques doctrinales. Jacques Blandenier, ancien formateur dans les AESR, ose une réflexion biblique sur cette femme de foi.

Marie mérite notre amitié et notre respect, comme nous les devons à tant d’autres personnages bibliques. D’autant que, parmi tous ces Messieurs, Marie apporte un utile complément féminin. Elle a répondu à son élection par un acte de confiance et d’obéissance (on ne mesure pas vraiment l’ampleur du problème que cette vocation devait lui poser !) qui fait d’elle un exemple de foi.

On parle de la Vierge Marie à Noël. Mais en dehors des récits de la nativité, où la trouve-t-on dans le Nouveau Testament ? Les quelques textes des évangiles où il en est question nous étonnent, pour ne pas dire plus ! Ils donnent l’impression d’une relation difficile entre Jésus et sa mère…

Marie, une maman poule ?
« Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la loi » écrit Paul aux Galates. Cette vérité paradoxale, Marie l’a vécue au moment où son aîné est entré dans l’adolescence (barmitzwa). Après trois jours de recherche angoissants à l’issue de la fête de la Pâque à Jérusalem, le reproche de Marie à son garçon nous paraît fort peu sévère (1)! La réponse de Jésus, par contre, surprend : loin de demander pardon pour l’angoisse causée, il reproche presque à sa mère de s’être inquiétée : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Il faut que je m’occupe des affaires de mon Père » !

Marie a un avant-goût de ce que sera sa relation avec son fils quand il aura trente ans : le trouble et l’incompréhension seront la manière paradoxale et douloureuse dont elle devra vivre la grâce chantée dans son Magnificat. Une maman comme toutes les autres, avec ses attentes et ses inquiétudes concernant son fils. Un fils comme tous les autres et en même temps, un Fils « pas comme les autres »… Mystère et déchirement de l’incarnation de Celui qui est vrai Dieu et vrai homme.

Marie… pourquoi elle ?
Dans le seul texte où il fait allusion à Marie, Paul affirme que la libération de tous nos esclavages est acquise par Celui qui est venu d’auprès de Dieu et qui est né d’un être humain (2). La vérité de l’incarnation et de la pleine intégration du Fils à la nature humaine échoue dès lors qu’on fait de Marie une femme d’une nature différente des autres. « Je vous salue, Marie, pleine de grâce… » dit le Rosaire, perpétuant une erreur de traduction. En fait, le texte dit : « Je vous salue (ou : Réjouis-toi) Marie, à qui une grâce a été faite » (3).

Marie est choisie par Dieu, objet d’une grâce unique. Mais toute grâce trouve son motif dans Celui qui la dispense et non dans celui qui est choisi ! Du point de vue de Dieu, une élection n’est pas une sélection, mais une souveraine décision marquée par la gratuité de l’amour. Voyez Abraham, Jacob, le peuple hébreu (4), ou David, le petit dernier qu’on oublie parmi ses frères (5). Jamais on ne dit pourquoi c’est l’un plutôt que l’autre qui est choisi. « Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes (…) celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas… » (6). Voir en Marie une femme spéciale, meilleure, dont la vertu immaculée aurait motivé le choix divin, serait non seulement minimiser le mystère de l’incarnation du Fils, mais aussi mal comprendre la grâce souveraine de Dieu.

L’impatience de Marie
Les noces de Cana ont eu lieu quelques jours seulement après le baptême de Jésus (7). Pour Marie, ce qu’elle a appris trente ans plus tôt par l’ange de l’Annonciation est sur le point de se réaliser… enfin ! Ainsi, l’incident fâcheux du manque de vin lui semble l’occasion providentielle permettant à son fils de manifester avec éclat, lors d’un grand rassemblement public, qui il est réellement.

Jésus discerne immédiatement que la remarque de sa maman « ils n’ont plus de vin » est un clin d’œil discret, plein d’attente et de foi. Après toutes ces années d’anonymat troublant, l’heure H est arrivée ! Elle ne dit pas : « Vas-y, c’est le moment, fais un miracle pour montrer que tu es le Messie ! », mais à mots couverts, c’est de cela qu’il s’agit. D’où la réponse de Jésus, plutôt brutale : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? » Ce qui veut dire : « Ne t’occupe pas de ce qui me regarde moi seul ! »

Rudesse de Jésus
La rude réaction de Jésus laisse penser que sa mère, sans s’en rendre compte, l’expose à la tentation la plus terrible : être le Messie que le peuple attend, le Messie triomphant, le Messie… sans la croix ! Marie, comme tous les Juifs fidèles de son temps, attend un Messie puissant qui ralliera les foules et chassera les occupants romains païens pour rétablir le trône de David. Et elle sait que ce Messie glorieux est son propre fils !

Jésus essaye de lui faire prendre conscience de ce qui va être pour elle une découverte progressive et douloureuse : « Mon heure n’est pas encore venue ». Pourtant, Marie continue de croire qu’il va se manifester, car elle dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira ! » Jésus va honorer la foi obstinée de sa mère et le miracle aura lieu. Mais pas en grimpant sur une table pour crier : « Attention, il n’y a plus de vin… voyez le prodige que je vais faire, moi le Messie ! » Non. C’est quasi incognito que Jésus change l’eau en vin, au point que l’organisateur de la fête n’a rien remarqué et n’y comprend rien !

Qui est ma mère ?
Les proches de Jésus sont troublés (8). Âgé d’une trentaine d’années, Jésus a quitté récemment son métier de charpentier et la maison familiale, mais vit toujours à Nazareth. Et le bruit court dans le village qu’à son domicile, c’est presque l’émeute : les gens se bousculent pour l’écouter et voir ses miracles. Les membres de sa famille affolés accourent, y compris sa mère ! Ce fils avec qui ils ont vécu une vie normale pendant tant d’années adopte un comportement qui leur échappe. Pire : il risque de soulever des troubles et la répression de l’armée occupante. « Il est devenu complètement fou ! »

Ses proches lui font passer un message. Mais Jésus réagit d’une façon choquante : « Qui est ma mère… ? » Il se dissocie de sa propre famille et prétend qu’il en a désormais une autre : ceux qui s’assemblent pour l’écouter et obéir à Dieu ! Si Marie a entendu par-dessus le brouhaha de la foule, ça a dû lui faire mal… Le même drame survient quelque temps plus tard. Jésus constate, attristé, qu’un prophète est respecté partout. Sauf dans sa ville natale… sa parenté et sa famille (9)!

Dans la tourmente
Comment Marie vit-elle cette situation conflictuelle ? Ses sentiments témoignent combien immense est le mystère de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ. Comment croire qu’il est Dieu parmi nous, ce petit garçon de Nazareth, cet adolescent qui s’émancipe, ce jeune homme qui se forme comme charpentier et succède à son père dans l’atelier du village ?

Difficile de croire à la fois à la pleine divinité de Jésus-Christ et à sa réelle humanité ! Comment cette simple villageoise de Galilée pourrait-elle tenir ensemble ces deux données dont les plus éminents théologiens de l’Antiquité ont eu tant de peine à rendre compte ? Comment comprendre que le Messie vive dans l’anonymat et qu’il se plaise avec les plus humbles et les pécheurs ? Comment admettre qu’il refuse le recours à la force et qu’il subisse l’hostilité des religieux les plus prestigieux ?

Une réponse passant par la croix…
La Croix, suprême victoire… mais en apparence un total désaveu de sa messianité ! Marie est présente, malgré tout (10). Par amour. Une mère plongée dans le drame le plus cruel qu’une maman puisse connaître. Elle pleure devant son fils tordu de douleur, cet enfant qu’elle est loin d’avoir toujours compris, mais qu’elle aime plus qu’elle-même. Cet enfant… elle sait tout le mystère et toutes les glorieuses promesses qui ont entouré sa naissance à Bethléem. Mais elle le voit agoniser comme un criminel. Devant son désarroi, Jésus rassemble ses dernières forces pour lui dire une parole de paix.

A l’écoute de ces textes, on en oublie complètement les controverses mariologiques. On découvre Marie, ses fragilités, ses conflits intérieurs, ses contradictions, son incapacité de mettre ensemble deux vérités aussi impératives l’une que l’autre, et qu’elle a vécues au plus profond d’elle-même : il est mon fils – il est Fils de Dieu. Plus on tente de comprendre Marie, plus on se sent proche d’elle : elle nous rappelle nos propres combats pour assumer ce déjà et ce pas encore du Règne de Dieu.

Marie, une chrétienne
Un seul texte, hors des récits de la nativité, cite Marie par son nom (11). Après l’Ascension, Marie est aux côtés des autres croyants, en tant que sœur… ni plus, ni moins ! Elle fait partie de la véritable famille de Jésus, non plus celle des liens du sang, mais celle de la foi en Christ, selon ce que Jésus avait dit : « Ma mère et mes frères sont ici, car celui qui fait la volonté de Dieu est mon frère, ma sœur ou ma mère ». Elle est avec nous, non en face ou au-dessus de nous, encore moins co-médiatrice avec son Fils. Plus on se sent proche de la Marie du Nouveau Testament, plus on se sent loin de la Marie que la tradition a fabriquée au cours des siècles.
Jacques Blandenier

Notes:
1 Lc 2. 41-50
2 Gal 4. 4
3 Lc 1. 28
4 Dt 7. 7-8
5 1 Sa 16. 7-13
6 1 Co 1. 27-28
7 Jn 2. 1-5
8 Mc 3. 20-35
9 Mc 6. 1-6
10 Jn 19. 25-27
11 Ac 1. 12-14

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