Béatrice S., une quadragénaire installée depuis plus de 10 ans à Tombouctou, était l’une des dernières, voire la dernière chrétienne présente dans cette ville du nord du Mali. Après avoir choisi de rester sur place malgré les injonctions de ses proches et des autorités consulaires, elle a été enlevée dimanche dernier dans le quartier populaire d’Abaradjou, aux portes du désert. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a confirmé qu’elle était aux mains d’hommes armés.
Venue au Mali comme volontaire de l’Eglise méthodiste, cette femme était devenue un véritable électron libre. Selon le pasteur de l’Eglise évangélique de Tombouctou, Yattara Bouya, elle ne fréquentait aucune Eglise ni mission, mais disait « avoir un ministère et voulait convertir les gens ». Dans les colonnes du journal Le Matin, on apprend que la Suissesse vivait sans argent, en vendant des fleurs pour vivre. « Certains la prenaient pour une folle, mais la plupart des gens voyaient en elle une brave femme qui arrivait à tout supporter, la pauvreté comme le climat. Elle avait beaucoup d’amis. » On la voyait partout distribuer de petites brochures qui parlaient de la Bible, témoigne un professeur de français dans le même journal, non sans souligner que le fait qu’elle soit Européenne et habite seule était problématique.
Opposition violente aux chrétiens
Tombouctou est tombée aux mains de rebelles d’AQMI (al-Qaida au Maghreb islamique) qui ont attaqué des églises. Le pasteur Yattara Bouya a lui-même trouvé refuge à Bamako, dans le sud-ouest du pays. Joint par téléphone, il indique que les chrétiens sont tous partis en masse de Tombouctou où les Eglises ont toutes fermé : « Tous les membres de notre Eglise qui comptait une centaine de personnes se sont repliés vers le sud. C’était la chasse aux chrétiens. »
Cette opposition violente contre la minorité chrétienne s’explique selon lui du fait que, pour les salafistes, Tombouctou est la capitale de l’islam au Mali, voire en Afrique. Surnommée la ville aux 333 marabouts, elle est située sur la boucle du fleuve Niger. Pendant des siècles, elle a été un carrefour commercial très important au Sahara et un centre spirituel renommé de l'islam sub-saharien. Elle a été un centre touristique fameux pour les amateurs de méharées dans le désert, jusqu'à ce que l'insécurité de ces dernières années fasse fuir les touristes occidentaux. Les rebelles d’AQMI opèrent dans le secteur de multiples trafics et se livrent notamment à une « industrie de l'enlèvement » pour obtenir de juteuses rançons.
Il y a musulman et musulman
A noter que les salafistes actifs dans le nord du pays comme dans tout le désert sahélien ne sont pas assimilables aux musulmans maliens. Pour preuve : le pays est à 90% musulman, mais ses habitants ne veulent pas d’un régime islamiste au pouvoir, selon des sources recueillies par l’agence missionnaire romaine Fides. Le pasteur Yattara Bouya indique d’ailleurs que même les musulmans quittent Tombouctou, car l’islam des salafistes leur fait peur : « Les membres d’AQMI sont contre tout ce qui est contraire à la charia. Leur islam est différent de celui de la majorité des musulmans du Mali qui risquent leur vie s’ils s’opposent à eux. »
Le défi du gouvernement transitoire sera bien de parvenir à discuter avec ces extrémistes aux fins de ramener le calme dans l’ensemble du pays.
Le Mali, qui était un exemple en Afrique d’un vivre ensemble interethnique et interreligieux s'est embrasé jeudi 22 mars après un coup d’Etat qui a renversé le président Amadou Toumani Touré. Suite au putsch mené par la junte militaire, des soldats ont annoncé avoir déposé le « régime incompétent de Bamako ». Les rebelles du Nord que sont les Touaregs et les djihadistes ont profité du chaos pour investir Tombouctou. Mais ils ont été menacés d’une « guerre totale et implacable » par le président par intérim Dioncounda Traoré s’ils refusent de rentrer dans le rang.
Gabrielle Desarzens