« Aucun couple n’est compatible. » « On épouse toujours la mauvaise personne. » « Au fil du temps, on traverse des saisons dans lesquelles on doit apprendre à aimer quelqu’un qui n’a rien à voir avec la personne que l’on a épousée, un inconnu en quelque sorte » (1).
Les formules sont chocs ! Elles rompent avec une vision romantique, un brin fleur bleue, que l’on trouve dans nombre de conceptions actuelles du mariage, notamment en lien avec la recherche de l’âme soeur. Ces affirmations sont tirées du livre « Le mariage, un engagement complexe à vivre avec la sagesse de Dieu » (2), un ouvrage écrit en duo par Timothy Keller et son épouse Kathy.
La vision déployée devant nous par ce couple pastoral new-yorkais est très éloignée de la conception romantique et marquée par la sexualité qui prévaut aujourd’hui (3), mais aussi à mille lieues d’une perspective plus classique et ancienne, qui verrait dans la vie à deux l’occasion de donner naissance à des enfants et de contribuer à un cadre économique adéquat pour leur développement.
Le « grand secret » du mariage
A partir d’une analyse d’un passage controversé de la lettre de Paul aux Ephésiens (5.18-33), Timothy et Kathy Keller affirment qu’il y a un « grand secret » (« mega mysterion » en grec, 5.32) dans le mariage chrétien. « Voici l’un des grands desseins que Dieu a prévu pour le mariage : représenter la relation entre Christ et son peuple racheté à jamais » (4). L’affirmation est forte. Bibliquement et théologiquement chargée ! Dans le plan de Dieu, le mariage n’a pas pour horizon l’épanouissement personnel ou le sacrifice de soi pour le bien de sa progéniture. Non ! Il est l’occasion pour l’homme et la femme d’incarner à deux l’Evangile de Jésus-Christ et de dévoiler sa puissance de transformation concrète. Timothy et Kathy Keller vont jusqu’à dire que : « L’Evangile de Jésus et le mariage s’expliquent l’un par l’autre. Quand Dieu a inventé le mariage, il pensait déjà à l’œuvre salvatrice de Jésus » (5).
Un tel voyage n’est possible que si les deux conjoints sont remplis de l’Esprit et font du Christ le coeur de leur vie (Ephésiens 5.21). Constamment renouvelés par cette présence de Dieu, les conjoints peuvent entendre l’appel à la soumission mutuelle, ainsi que, plus spécifiquement, celui de la soumission adressé à la femme et celui du don total de lui-même lancé au mari. « Les tâches ne sont pas identiques, soulignent Timothy et Kathy Keller. Et pourtant chaque partenaire est appelé à aller très loin dans son sacrifice pour l’autre » (6). Le couple devient ainsi le lieu où exercer une vertu cardinale de la foi chrétienne : considérer autrui comme supérieur à soi-même (Philippiens 2.2-3).
L’égocentrisme du cœur humain est ainsi mis à mal au profit d’une générosité qui se nourrit de la présence de l’Esprit. « Vous ne découvrirez votre propre bonheur qu’après avoir placé continuellement celui de votre conjoint au-dessus du vôtre, en réponse à ce que Jésus a fait pour vous » (7). L’idéal est que les deux partenaires entrent dans cette dimension de don de soi propre à Dieu lui-même. Néanmoins, il suffit qu’un seul des conjoints pratique cette logique de l’amour sacrificiel en faveur de l’autre, pour que le climat au sein du couple change et contribue au bonheur de la relation.
De l’amour romantique à l’amour en action
Souvent aujourd’hui les couples qui pensent mariage l’envisagent avant tout comme le lieu d’un épanouissement personnel, à la fois du point de vue émotionnel, sentimental et sexuel. Dénué de contraintes et d’obligations. « En opposition totale à notre culture, la Bible enseigne que l’essence du mariage est un engagement à se sacrifier pour le bien de l’autre », martèlent Timothy et Kathy Keller (8). Au centre de cette vision, la notion d’alliance qui privilégie le maintien de la relation à l’assouvissement des besoins de l’individu. Dans ce cadre, la notion de promesse est fondamentale. Elle permet, en y associant le Seigneur, de faire un « pari » sur l’avenir. Loin d’inscrire le couple dans une logique économique et boursière – « Tu rapportes, je garde ; tu perds de la valeur, je vends » –, les promesses qu’échangent les conjoints « donnent une chance à l’amour et créent de la stabilité, afin que les sentiments d’amour, toujours changeants et fragiles les premiers temps, puissent s’affermir et s’enraciner au fil des ans » (9). Face à ceux qui voient dans l’engagement du mariage, une limitation inacceptable de leur liberté, les auteurs rappellent au contraire que « faire une promesse est le moyen d’accéder à la liberté, car cela limite le choix du moment, pour en avoir de magnifiques, plus complets, ultérieurement » (10). Echanger une promesse, c’est créer « un petit sanctuaire de confiance dans une jungle d’imprévisibilité », relèvent joliment Timothy et Kathy Keller.
L’amour dans un tel contexte n’est plus simplement romantique ou sentimental, comme on le dit beaucoup aujourd’hui. Mais, en continuité avec la notion d’amour-agapè du Nouveau Testament, il devient action. « Notre culture nous dit que les sentiments d’amour sont le fondement des actes d’amour. Bien sûr, cela peut être le cas. Mais il est encore plus vrai de dire que les actes d’amour génèrent les sentiments d’amour… L’amour conjugal est un mélange complexe et harmonieux des deux » (11). Le commandement d’amour énoncé par Jésus (Jean 13.34) est repris par Paul dans l’exhortation qu’il adresse au mari à aimer sa femme (Ephésiens 5.28). L’apôtre demande des actes et surprise ! quand cet amour en actes est pratiqué, les sentiments d’amour suivent et permettent à la relation conjugale de s’épanouir.
L’horizon : la nouvelle création
En lien avec l’épître aux Ephésiens 5.25-27, Timothy et Kathy Keller soulignent que la mission ou le but du mariage est profondément spirituel. « Il nous aide, l’un et l’autre, à devenir les versions futures et glorieuses de nous-mêmes, les nouvelles créations que Dieu fera un jour de nous » (12). Le mariage n’est donc pas seulement le lieu de la mise en action de valeurs chrétiennes, il est aussi l’occasion de devenir un vecteur privilégié de la croissance en Christ pour chacun des deux conjoints. Tout comme le Christ « a donné sa vie pour l’Eglise afin de la rendre digne de Dieu après l’avoir purifiée par sa Parole… », les conjoints sont appelés à entrer dans cette dynamique l’un pour l’autre.
Pour que ce voyage à deux, en présence du Seigneur, puisse se faire, il importe qu’une amitié spirituelle forte entre conjoints se tisse. Souvent aujourd’hui, le premier critère de sélection d’un partenaire, c’est l’attirance sexuelle ou la capacité à développer ensemble une relation romantique. Les auteurs du livre « Le mariage » invitent à rompre avec la culture ambiante et à changer radicalement d’optique. Ce qui devrait primer dans le choix d’un conjoint, c’est la capacité à développer une amitié forte avec son partenaire. « Détectez d’abord un ami possible, conseillent-ils. Recherchez quelqu’un qui vous comprenne mieux que vous-mêmes et qui, par sa simple présence, vous rende meilleur(e). Ensuite, essayez de découvrir si cette amitié peut devenir une romance, puis un mariage » (13).
Des outils pour poursuivre l’aventure
Le problème majeur sur lequel buttent les mariés, c’est d’apprendre à aimer, une fois que la lune de miel s’est achevée et que chaque conjoint découvre que la personne épousée est bien loin de la représentation qu’il ou elle s’était faite. « Et nous voilà face au défi d’aimer quelqu’un qui ressemble davantage à un étranger qu’au souvenir de la personne épousée » (14), constatent Timothy et Kathy Keller. Le mariage chrétien offre trois outils pour continuer le voyage à deux, dans ces circonstances parfois très délicates : la puissance de la vérité, la puissance de l’amour et la puissance de la grâce.
Le mariage dispose d’un pouvoir révélateur extraordinaire : mettre en lumière ce qu’il y a de pire en nous. « Ne résistez pas à ce pouvoir du mariage, conseillent les deux auteurs. Donnez à votre conjoint le droit de vous dire ce qui ne va pas. L’apôtre Paul expose dans Ephésiens 5 la manière dont Jésus nous « nettoie » et nous « purifie » des taches et des souillures. Laissez ce droit à votre conjoint » (15). Le grand mérite du mariage chrétien, c’est de maintenir vivant l’horizon ultime de ce face-à-face en vérité : l’avènement d’un conjoint plus conforme à son identité en Christ.
Outre la puissance de vérité, le mariage offre aussi la ressource de l’amour. « Le mariage confère un pouvoir énorme à votre conjoint, celui de reprogrammer votre opinion sur vous-même… Son amour et des encouragements ont le pouvoir de guérir bon nombre de vos blessures les plus profondes » (16). Tout comme Jésus qui, suite à notre conversion, nous rend justes, saints et beaux en lui. Le mariage chrétien est l’occasion de vivre cette réalité « en miniature ».
Cette croissance spirituelle des conjoints se déploiera pleinement pour autant que la puissance de la vérité et celle de l’amour soient accompagnées de la puissance de la grâce. Connaître la grâce que Jésus nous offre au travers de sa mort à la croix permet à chaque époux de recourir à deux des capacités les plus importantes pour toute union conjugale : le pardon et la repentance.
Ce n’est qu’en mettant en œuvre les trois ressources de la vérité, de l’amour et de la grâce que le couple pourra continuer son aventure spirituelle, avec comme horizon ultime : la nouvelle création (17).
Serge Carrel
Timothy Keller et Kathy Keller, Le mariage. Un engagement complexe à vivre avec la sagesse de Dieu, Lyon, Clé, 2014, 300 p.