Dans le débat actuel autour de l’urgence climatique, plusieurs chrétiens invitent non seulement à vivre une conversion à Jésus-Christ, mais aussi une « conversion écologique » (1). Si vous êtes un peu familier du Nouveau Testament, vous savez que Jésus a commencé son engagement public en proclamant que ses contemporains devaient se convertir. En grec, qu’ils devaient vivre une « metanoïa » (Marc 1.15). Il s’agissait pour Jésus de rappeler à ses contemporains qu’ils vivaient éloignés de Dieu, dans le péché… et qu’ils avaient à changer de mode de vie. Souvent on comprend aujourd’hui cette conversion en termes moraux. Il s’agirait uniquement de se repentir de ses mauvaises actions. Cette conversion est plus profonde. Elle vise la posture fondamentale de l’être humain, dans sa dimension interpersonnelle, dans sa relation à Dieu, mais aussi dans sa relation au monde, au « cosmos ».
Donner de l’épaisseur à la conversion
L’être humain de la période industrielle, de la période Anthropocène comme le disent certains spécialistes (2), n’aime pas Dieu comme il le devrait. Alors que le cœur du commandement que Jésus donne, c’est d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute son intelligence, et son prochain comme soi-même, nous avons failli dans ces deux relations (Matthieu 22.37-40).
Nous péchons contre Dieu, parce que, au travers de la chute, nous avons posé l’être humain en mesure de toutes choses. Nous nous sommes « faits dieux », à la place du seul Seigneur. Nous avons brisé l’alliance qui nous unissait au Créateur et introduit du « désordre » dans le « cosmos ». L’être humain est sorti de sa mission de jardinier ou d’intendant de la création (Genèse 2.15) et a négligé sa solidarité fondamentale avec les autres créatures.
Nous péchons aussi contre autrui. Alors que nous sommes invités à aimer notre prochain comme nous-mêmes, nous précarisons la vie de nos enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants en contribuant au réchauffement de la planète par nos émissions de CO2. De plus, avec notre mode de vie irresponsable en matière d’émissions carbone, nous précarisons la vie des plus pauvres de la planète, en contribuant à la montée des océans et au développement d’intempéries de plus en plus ravageuses, qui entraîneront ces prochaines années de nouvelles migrations.
Nous avons donc à nous repentir d’un comportement idolâtre qui ne s’inscrit ni dans la logique de l’amour de Dieu, ni dans celle de l’amour du prochain.
Un autre regard sur le « cosmos »
Mais la conversion à laquelle nous appelle Jésus va plus loin. Elle nous invite à une modification de notre regard sur le « cosmos », sur le monde. Nous avons à sortir d’une vision matérialiste, mécaniste et mercantile de la nature. Le monde créé n’est pas un objet dont les humains pourraient faire ce qu’ils veulent : exploiter et polluer à outrance, comme des enfants capricieux usent d’un jouet dont ils seraient les uniques propriétaires. Les disciples de Jésus aiment la création, parce qu’ils y voient le Créateur, parce qu’ils y lisent, comme dans un livre, les perfections de Dieu.
La crise climatique que nous connaissons est aussi une crise spirituelle. A vouloir rayer Dieu de la carte de nos représentations mentales, nous avons ôté dans notre face à face avec la nature tout sens du sacré. Il y a un mystère qui se cache dans la nature… et ce mystère du monde ouvre à une spiritualité faite de louange et d’adoration. Non pas de la nature en tant que telle, mais de Celui qui se donne à voir au travers d’elle, de ce Dieu créateur de toutes choses qui s’est révélé personnellement en Jésus-Christ. « Convertissez-vous », disait Jésus. « Changez de regard sur la Création », lancent les chrétiens écologistes. « Il est urgent de découvrir les traces de Dieu dans la nature qui nous entoure ! » Et d’en tirer les conséquences dans notre quotidien afin de vivre une véritable transition écologique.
Les dimensions concrètes de la conversion
Lorsque Jésus invite à la conversion, à changer de vie, à cette fameuse « metanoïa » dont nous parle le Nouveau Testament, il s’agit aussi d’être concret. De dépasser la seule expérience de rencontre spirituelle avec le Christ pour « impacter » notre quotidien, comme on aime dire aujourd’hui.
La « conversion écologique » recèle une dimension pratique que l’on pourrait qualifier de « technologique ». La transition ou la conversion écologique passe par des « ruptures technologiques ». Les spécialistes de l’urgence climatique (3) s’accordent à dire qu’il y aurait trois ruptures technologiques qui pourraient nous permettre de maintenir le réchauffement de l’atmosphère au-dessous de 1,5 ou 2 degrés. La première de ces « ruptures technologiques » touche l’énergie. Il s’agit de quitter les énergies fossiles que sont le charbon et le pétrole, grosses productrices de CO2, pour l’électricité produite à partir du solaire photovoltaïque ou de l’éolien.
Selon nombre d’experts, la deuxième rupture technologique touche la mobilité. Au niveau des transports, il importe de passer aux véhicules électriques, qu’il s’agisse des transports publics ou de la mobilité individuelle.
La troisième rupture dont parlent les experts touche à notre alimentation. Il serait souhaitable de diminuer notre consommation de viande. Ces dernières années, la consommation de viande, notamment bovine, a beaucoup augmenté sur la planète. Quand on sait que la consommation de viande bovine est la moins écologique parce que le terrain et l’eau nécessaires sont de loin les plus importants et que sa contribution à l’effet de serre est considérable… Une rupture au niveau de sa consommation alimentaire apparaît comme un pas à franchir pour témoigner de sa « conversion écologique ».
Une espérance qui demeure !
Lorsque l’on parle de réchauffement climatique, d’effondrement de la biodiversité, d’urgence à changer de mode de vie, le désespoir pointe rapidement à l’horizon. L’humanité, nous-mêmes… parviendrons-nous à opérer toutes les modifications dans notre mode de vie pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5 ou 2 degrés ? Certains sont confiants dans les développements technologiques futurs qui devraient nous permettre d’opérer les changements nécessaires, d’autres pas du tout. Des spécialistes se lancent dans des discours catastrophistes où l’effondrement de notre civilisation est à l’horizon. Ces « collapsologues » (4), comme on les appelle, considèrent que d’ici 2030 ou 2050, au plus tard 2100, notre civilisation industrielle connaîtra un effondrement majeur.
Dans ce contexte, les chrétiens ne spéculent pas sur les dates d’un « collapse », mais ils rappellent qu’en matière d’espérance et de visions de fin du monde la foi chrétienne véhicule quelque chose de particulier. La conversion à Jésus-Christ et la découverte de l’amour de Dieu et de sa proximité dans notre monde nous font réaliser que, derrière tous ces signaux extraordinairement alarmants, Dieu demeure présent. Au cœur de cette création qui soupire à être mieux traitée par l’humanité, Dieu est là… présent (Romains 8.18-23).
Contrairement à ce que certains pourraient penser, cette attitude n’est pas une prime à l’inactivité et au « je-m’enfoutisme », mais la certitude que tout ne va pas s’arrêter avec un effondrement de civilisation.
La résurrection de Jésus-Christ, son retour de la mort à la vie, invite à ne pas perdre espérance. Au moment de la mise à mort de Jésus, ses disciples touchaient le fond. Ils baignaient dans la désespérance. Mais le dimanche de Pâques, Jésus ressuscité annonce dans notre présent l’émergence d’un monde nouveau, d’un monde où la mort et la dépréciation de la création n’est plus. Par sa résurrection, Jésus-Christ est l’amorce de la nouvelle création, du monde nouveau. La source extraordinaire d’un autre regard sur toutes nos situations désespérées !