« 500 ans de valeurs protestantes » par Olivier Favre

Olivier Favre vendredi 31 mars 2017

A l’occasion des 500 ans de la Réforme, le sociologue et pasteur Olivier Favre rappelle ce que la Suisse romande et notamment Genève doit à cette redécouverte de l’Evangile de Jésus-Christ, opérée au XVIe siècle. Cette prise de position est parue le 29 mars dans L’Express de Neuchâtel.

Alors que diverses autorités cantonales et ecclésiastiques célèbrent les 500 ans de la Réformation, il faut se rappeler que celle-ci a induit de nombreux bouleversements dont l’Occident, et l’Europe en particulier, tire les bénéfices jusqu’à aujourd’hui. J’en mentionnerai quelques-uns à partir de l’exemple de la ville de Genève. En effet, ce n’est pas par hasard que la cité de Calvin est aujourd’hui « ville internationale » et siège du CICR.

Une ville où l’insalubrité sortait du lot

Il faut savoir qu’en 1530, avant l’adhésion à la Réforme, la ville du bout du lac avait mauvaise réputation. Dans son ouvrage « Genève au temps de Calvin », René Guerdan livre une description peu flatteuse sur l’hygiène de la cité : « Les égouts sont rares et ne s’écoulent jamais qu’à ciel ouvert ; encore faut-il que la voie soit en pente. Les maisons sont, pour la plupart, dépourvues de latrines ; (…) la puanteur, l’été surtout, ne cesse de provoquer l’intervention du Conseil. » En outre, la ville abritait des taudis particulièrement pauvres où réfugiés politiques, soldats débauchés, espions, criminels, prostituées, etc. avaient trouvé domicile. Certes, toutes les villes du Moyen-Âge connaissaient insalubrité et précarité mais Genève sortait du lot.

Fonder une cité modèle

Or, avec l’installation définitive de Jean Calvin en 1541, la ville va entrer dans un processus de transformation sans précédent. En effet, le Réformateur visera non seulement la réforme de l’Eglise mais va chercher à fonder une cité modèle. Concrètement, ses sermons partant du « salut par la grâce de Dieu » exhortent à la responsabilité individuelle et collective. C’est dans cet esprit, avec l’appui de la ville, que Calvin fonde le Collège, école publique ouverte à tous les enfants y compris aux filles. Cette alphabétisation généralisée contribuera à l’essor de la vile qui, de bourgade provinciale, se muera peu à peu en capitale intellectuelle européenne. Toujours dans la même ligne est créé l’Hospice en faveur des pauvres. C’est aussi dans cet esprit qu’il faut comprendre l’accueil des réfugiés huguenots qui débouchera sur l’essor de l’horlogerie et le commerce bancaire.

Riche pour être généreux

Alors qu’on rattache souvent l’origine de capitalisme au monde protestant, il faut réaliser que Calvin est très loin de prôner un libéralisme tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pour lui, être riche n’est certes pas illégitime ; c’est même un don de la Providence. Mais cette bénédiction doit entraîner deux comportements : une profonde reconnaissance envers Dieu et une abondante générosité envers les pauvres. Calvin considère en fait que le commerce fait partie de l’ordre originel voulu par Dieu, parce qu’il est à la base d’échanges qui assurent les liens sociaux. Ainsi, s’il est légitime de chercher à gagner de l’argent, c’est en vue de l’utilité commune et en particulier pour soulager ceux qui n’en n’ont pas. Le riche peut jouir de ses biens dans la mesure où il se montre particulièrement généreux. Il doit apprendre à se considérer comme l’intendant des ressources divines.

Pour que nos valeurs ne soient pas des coquilles vides !

En résumé, la découverte du « salut par la grâce » ouvrait à un comportement responsable inédit. Aujourd’hui, le sens du travail, de la responsabilité et de l’entraide restent des valeurs cardinales de la société suisse. Les 500 ans du protestantisme nous rappellent toutefois que ces valeurs, en particulier la liberté et la responsabilité individuelles, sont, à l’origine, les deux faces indissociables de la croyance en un Dieu généreux. A trop vouloir séculariser ces valeurs, en les séparant de leurs racines spirituelles, on risque fort de se retrouver face à des slogans superficiels, privés de leur ressort motivationnel fondateur, des coquilles vides.

Olivier Favre
Sociologue et pasteur responsable du Centre de vie à Neuchâtel

Cette opinion est parue le 29 mars dans la rubrique Forum du journal L’Express

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