Nombreux sont ceux qui ont l’intuition d’une Force qui sous-tend notre monde. D’une Vie qui se manifeste dans la joie de nos fêtes, dans la force d’un premier amour, dans la beauté d’un paysage. D’une Harmonie du monde qui unifie l’expérience humaine, la vie animale et végétale et le monde matériel. Star Wars l’appelle littéralement la Force. Les philosophes grecques l’appelaient le Logos, la Raison ou la Parole qui sous-tend l’ordre du monde et lui donne sa cohésion. Cette même intuition d’un élément spirituel qui imbibe le monde se retrouve aussi dans les spiritualités orientales ou ésotériques et dans les approches panthéistes.
Une Parole faite chair
La pensée chrétienne intègre aussi cette intuition. L’Évangile de Jean parle du Logos présent avec Dieu et qui est Dieu. Tout a été fait par ce Logos. Il contient la Vie, et cette Vie est la lumière qui éclaire tous les êtres humains. Il y a bien une puissance à l’œuvre dans l’ordonnancement du monde et au sein de la vie humaine. La spécificité chrétienne est que ce Logos n’est pas seulement une force impersonnelle ou un principe logique. Parlant des origines de Jésus de Nazareth, Jean écrit «le Logos est devenu chair et a habité parmi nous». Le Logos est une personne, et cette personne est devenue un individu humain. L’indéfinissable est devenu tangible. L’omniprésent est devenu localisé. À Noël, c’est la Force, l’architecture du monde, la lumière et la vie qui prennent place en un petit bébé vulnérable. Et que vient-elle faire ?
Résoudre l'aliénation du monde
Albert Camus, le grand penseur de l’absurde soulignait pour sa part un constat d’hostilité du monde envers nous, de rejet et de négation de la part de notre environnement. C.S. Lewis, l’auteur des chronique de Narnia, faisait le même constat : « La Beauté a souri, mais pas pour nous accueillir ; son visage était tourné vers nous, mais pas pour nous voir. Nous n’avons pas été accepté, accueilli, ni pris dans la danse ». Il existe une aliénation naturelle entre l’harmonie du monde et nous. Et l’incarnation du Logos à Noël est une réponse à cette aliénation.
Jean écrit encore « Personne n'a jamais vu Dieu ; Dieu le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître. ». Et encore « à tous ceux qui l'ont reçue, elle [la Parole] a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Le Logos se fait chair pour résoudre la vieille aliénation entre l’humanité et le fondement spirituel du monde. Pour rendre connaissable Celui qui est au-delà de tout. Pour permettre à qui le veut d’être en relation personnelle avec l’auteur de toutes choses. Pour que l’ultime réalité ne soit plus une beauté indifférente, mais un père accueillant ses enfants.
Une relation aimante possible
Ainsi, l’incarnation que les chrétiens fêtent à Noël intègre l’intuition d’une harmonie spirituelle du monde et répond au sentiment humain d’en être exclu. Elle va plus loin en révélant cette harmonie comme une personne et ouvre à une relation aimante avec elle. C’est la une réponse puissante à une aspiration humaine profonde, et un des fondements de la joie de Noël.
Jean-René Moret, physicien EPFL, docteur en études théologiques, pasteur à l’Église Évangélique de Cologny