Le mariage est une institution qui fait l’objet de toute sortes de regards : de conclusion idéale des comédies romantiques à instrument d’oppression à abolir. Les débats et situations contemporains font parfois apparaître une vision quelque peu floue de ce qu’est le mariage.
Dans une perspective protestante, le mariage n’est pas un sacrement, c’est-à-dire qu’il n’est pas un don de Jésus-Christ aux chrétiens spécifiquement. C’est au contraire une institution qui remonte à la création de l’humanité, un don fait par Dieu à toute l’humanité. Dans cette perspective, un mariage civil contracté par des personnes qui n’ont rien à voir avec la foi chrétienne est aussi vu comme un mariage aux yeux de Dieu. Le mariage inscrit les rapports entre l’homme et la femme dans la durée. Il a le caractère d’une alliance, un engagement qui pérennise une relation et lie ses partenaires dans toutes les circonstances prévues ou imprévues qui peuvent survenir. Théologiquement, l’idéal du mariage est un reflet de l’amour qui unit Père, Fils et Saint-Esprit, une illustration de l’amour que Jésus veut donner à ceux qui croiront en lui.
Mariage : conjugalité, sexualité et filiation
Au-delà (ou en deçà) de ces visées théologiques, le don du mariage a aussi une importance pratique, pour l’organisation des sociétés humaines. Saint Augustin, le grand penseur de l’Antiquité chrétienne, disait que le mariage avait été institué pour que les pères soient connus de leurs fils, et vice versa. En effet, le libertinage suffirait à renouveler le nombre de l’espèce, mais la filiation paternelle serait perdue. Le mariage fait donc le lien entre conjugalité, sexualité et filiation. Et dans ce sens, avec beaucoup de variations mais très peu d’exceptions, les sociétés humaines ont presque toutes un concept de mariage, qui crée ou reconnaît un attachement conjugal durable, et implique la filiation des enfants qui en naîtront. Le mariage permet aux enfants de savoir qui sont leurs deux parents, et dans l’idéal d’être éduqués par eux. Les fréquents divorces affaiblissent cet effet, mais ne l’annihilent pas ; l’union contractée légalement est dissoute légalement, avec en règle générale des dispositions sur la garde partagée ou le droit de visite. Par contre, le maintien du lien parental pour un enfant conçu en union libre ou lors d’amours éphémères ne repose que sur la bonne volonté des deux parents, avec des résultats aléatoires, et le risque d’enfants qui n’ont de contact qu’avec un des parents.
Le mariage gay, une contradiction dans les termes ?
Pensons maintenant au rôle de l’État vis-à-vis du mariage. Même indépendamment d’une perspective biblique, le mariage remonte à la nuit des temps. L’État n’a pas créé le mariage, et n’en est pas propriétaire. Mais il le reconnaît, l’encadre et détermine la manière dont il est contracté dans notre société. D’une certaine manière, l’État est légitimé à reconnaître le mariage et à lui conférer des avantages dans la mesure où l’existence du mariage contribue au bien commun. Les débats contemporains sur le mariage donnent parfois l’impression qu’au moyen du mariage, l’État donnerait une reconnaissance de la valeur de tel amour conjugal. Mais de quel droit l’État se ferait-il juge de l’amour ? Pour moi, cela ne reposerait ni sur ses compétences, ni sur une légitimité quelconque.
Le lien entre mariage et filiation est important en particulier pour la question du mariage gay. Il y a eu par le passé des sociétés très permissives par rapport à l’homosexualité. Par exemple, les anciens Grecs tendaient parfois à l’estimer davantage que la sexualité entre hommes et femmes. Mais ils n’en ont jamais fait un mariage, pas plus qu’aucune société antique, parce qu’elle ne conduit pas naturellement à la conception d’enfants.
En cela, définir un mariage gay sans effet sur l’adoption ou la procréation médicalement assistée revient à changer le rôle du mariage. Un mariage d’où la filiation est exclue par nature (et non par accident, comme dans les cas de stérilité) est presque une contradiction dans les termes. Reconnaître une solidarité au sein d’un couple homosexuel, et donner des droits et protections en termes d’impôts, de droits de visite, d’héritage entre conjoints, etc. est légitime, mais cela n’est pas encore un mariage.
Pertinent de créer une filiation là où elle n’est pas ?
Maintenant, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui ou l’adoption peuvent permettre à un couple homosexuel d’avoir des enfants – quoiqu’en l’absence de technologies futuristes, ils ne seront pas tous les deux ses géniteurs. La question que cela pose, c’est s’il est bon d’employer la technologie et les dispositions légales pour créer une filiation là où elle n’est pas et ne pourrait pas être naturellement. Quel rapport entre nos dispositions légales et notre donné naturel et culturel ? Plus largement, jugeons-nous encore important que les enfants soient élevés par leurs parents biologiques tant que c’est possible ? Comment leur donner l’assurance d’être issus de la rencontre aimante de leurs parents ? Quels efforts sommes-nous prêts à faire personnellement et collectivement pour que ce soit le cas ?
Jean-René Moret, pasteur dans l’Eglise évangélique de Cologny (FREE)
Cette prise de position a été publiée dans Le Temps du 22 octobre.