La Constitution vaudoise de 2003 a prévu (art. 171) que l’Etat puisse reconnaître comme institutions d’intérêt public des communautés religieuses qui en font la demande, en « tenant compte de la durée de leur établissement et de leur rôle dans le Canton ».
Cet article a donné lieu à une Loi sur la reconnaissance des communautés religieuses (2007), qui à son tour a fait l’objet d’un Règlement d’application, élaboré par le Conseil d’Etat (2014).
Dans ce règlement, le Conseil d’Etat a introduit une notion qui ne figurait ni dans la Loi, et encore moins dans la Constitution : celle de « fédération d’associations ». Et le ver était dans le fruit.
Des « fédérations d’associations » plutôt que des communautés religieuses
Une communauté religieuse se caractérise par une foi commune, par une tradition commune, par des règles communes. Une communauté religieuse se réunit autour de responsables religieux bien visibles, qui font autorité et qui en ont la légitimité. C’est beaucoup plus qu’une simple « association », et plus encore qu’une « fédération d’associations ».
Avec la notion de « fédération d’associations », le Conseil d’Etat a ouvert la porte aux revendications de microcommunautés, trop petites pour prétendre seules à la reconnaissance. Les premières à s’être introduites dans la brèche sont les Eglises anglicane et catholique chrétienne, qui se sont réunies pour l’occasion en une Fédération des Eglises « signataires de l’accord de Bonn de 1931 ». Deux communautés certes unies dans leur refus du vaticanisme. Mais l’une parle anglais, réunit essentiellement des expatriés et reconnaît la Reine Elisabeth comme gouverneur suprême ; l’autre réunit des Suisses de vieille souche catholique, mais séparés de l’Eglise de Rome depuis Vatican I. On peine en outre à définir le « rôle » que ces petites communautés jouent dans le Canton.
La FEV et l’UVAM ne sont pas des communautés religieuses
On est assez loin de l’esprit et de la lettre même de la Constitution. Tout récemment, la Fédération Evangélique Vaudoise, à son tour, a entamé une procédure de reconnaissance. Et l’Union Vaudoise des Associations musulmanes (UVAM) vient de franchir ce pas. Ce ne sont pas des « communautés religieuses » qui demandent à être reconnues, mais des associations dont chaque membre a cosigné la déclaration.
On est en droit de se demander dans quel but ces « fédérations » de petites communautés demandent à être reconnues. Les avantages concrets qu’elles espèrent en retirer sont illusoires, et en particulier tout espoir de subvention : on voit mal quelles « missions » elles pourraient exercer « en commun ». Etre reconnu par l’Etat ne donne aucune légitimité particulière à une communauté religieuse, qui ne doit aspirer qu’à être reconnue de Dieu lui-même.
Une occasion d’étendre son emprise
Mais c’est surtout l’« intérêt public » que nous peinons à discerner. Quel intérêt public l’Etat sert-il en encourageant à se fédérer des communautés trop petites pour prétendre seules à la reconnaissance ? La réponse réside probablement dans l’obsession de contrôler : l’administration n’aime pas ce qui échappe à son contrôle ; plus il y aura de communautés reconnues, plus l’Etat pourra étendre son emprise. Mais quand on a vu la réaction officielle à la parution de l’ouvrage de Shafique Keshavjee sur l’Islam conquérant, on peut prévoir que son contrôle ne s’étendra pas aux messages diffusés dans les communautés. En tout cas pas dans le monde de l’Islam. Pour les Evangéliques, c’est moins sûr, le Créationnisme étant combattu fermement par le politiquement correct qui anime notre Conseil d’Etat.
Et l’adhésion de nouvelles associations ?
En revanche, on voit poindre un problème pratique. Puisqu’il ne s’agit pas de reconnaître une « communauté évangélique vaudoise », mais une fédération dont les membres sont définis, que se passera-t-il si, au cours du processus, d’autres communautés évangéliques voulaient adhérer à la fédération ? De même pour l’UVAM, qui se nomme abusivement « Union des associations musulmanes vaudoises » alors qu’elle n’est que l’union de communautés musulmanes : que se passera-t-il si la mosquée de Lausanne, ou des chiites, qui ne sont pas sur la liste, désiraient adhérer à l’Union ? Autant les évangéliques que les musulmans, sur leur site, envisagent cette possibilité alors que la déclaration liminaire d’engagement des deux associations établit une liste exhaustive des communautés membres qui l’ont signée.
A l’évidence, le processus de reconnaissance était conçu pour des « communautés », et si, à la différence de la Communauté israélite, nous n’avons pas, dans le canton de Vaud, une communauté évangélique et une communauté musulmane, c’est que ces milieux ne sont pas de vraies communautés et donc pas mûrs pour être reconnus par l’Etat.
La laïcité, un chemin plus fécond ?
Le concept de « fédération d’associations », que le Conseil d’Etat a cru bon d’introduire, a sabordé l’esprit de la Constitution et conduit le processus de reconnaissance dans une impasse. Au pays d’Alexandre Vinet et de l’Eglise libre, qui fut un modèle de vitalité spirituelle et sociale, l’exemple de la laïcité genevoise pourrait bien finir par s’imposer.
Jacques-André Haury, ancien député au Grand Conseil, Lausanne