« La résurrection, c’est comme quand un nourrisson sort de son bain tout ruisselant, il y a toujours des mains pour le frictionner et lui dire qu’il est infiniment aimé ! » Christian Bobin, écrivain de l’intime et auteur à succès, aime parler comme Jésus de Nazareth. Il affectionne le langage du quotidien pour évoquer des réalités spirituelles complexes. Devant sa fenêtre, assis derrière une petite table de bois, cet habitant de la ville ouvrière du Creusot, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Dijon, rature d’encre noire des feuilles blanches et médite. Il souligne que sa confiance en la résurrection repose sur une intuition fondamentale : « Je sens que je vais vers quelque chose ou quelqu’un à qui je peux faire totale confiance ».
Un alphabet qui ouvre sur l’au-delà
L’auteur du « Très-Bas » et de « Louise Amour » refuse de puiser d’abord cette intuition fondamentale dans des convictions religieuses. « Notre vie de tous les jours, explique l’écrivain, suffit pour entrevoir l’autre vie. Nous ne disposons effectivement que d’un alphabet, celui d’hommes et de femmes qui mangent, parlent, éprouvent de la joie… et avec cet alphabet, nous pouvons voir l’autre vie ». Il suffit d’un travail sur notre regard. Pour Christian Bobin, des éléments aussi banals que le bruissement du vent dans les feuilles de l’arbre qui est en face de sa fenêtre ou le sautillement d’un moineau, rendent compte de cet au-delà. « Il y a une gaîté fabuleuse qui traverse la vie et qui souhaite nous rejoindre, comme quelqu’un qui frapperait désespérément à notre porte. »
Le ciseleur de propos méditatifs qu’est Christian Bobin aime étoffer cette conviction fondamentale par une réflexion autour de la personne de Jésus. « Le matin de Pâques, relève-t-il, la mort a baissé les yeux devant le Christ ». Cet écrivain qui, à ses heures, a dispensé de l’instruction religieuse aux enfants de sa paroisse, s’explique. « Souvent lors des enterrements, on a l’impression que l’on ne peut pas dire grand-chose, que tout ce que l’on pourra exprimer ne sera pas à la hauteur, tant du cercueil en face de nous que de notre chagrin. Or le Christ a trouvé, par sa parole, quelque chose qui tenait devant la mort. En face de l’intensité de son propos, la mort a rougi, baissé les yeux de pudeur. Elle a trouvé son maître ! »
Une admiration pour l’homme de Nazareth
Que l’on parcoure son hommage à François d’Assise dans le « Très-Bas » ou le petit recueil de méditations intitulé « Le Christ aux coquelicots », l’œuvre de Christian Bobin transpire une profonde admiration pour l’homme de Nazareth. « Personne n’a jamais été aussi humain, relève-t-il, et du coup personne n’a jamais été aussi proche de Dieu… » L’intensité de vie que déploie le Christ est au centre de la quête de ce diamantaire de la sentence. Pour lui, Jésus de Nazareth a constamment travaillé à défaire les liens qui nous entravent et nous empêchent de respirer. Les liens de famille ou les liens religieux sont parfois des obstacles à la liberté. Tout comme notre goût pour la puissance ou notre besoin de vivre en groupe. « En fait, le Christ affiche un but unique : nous rendre aussi vivant que lui ! »
Pour vivre cette authenticité et cette liberté, le poète Bobin cherche à vivre d’authentiques rencontres avec les gens autour de lui. « Nous sommes à nous-même notre pire ennemi dans cette recherche, relève-t-il. Tout s’oppose à ce que nous nous rencontrions véritablement : ce qu’on apprend, ce qu’on croit savoir, ce qu’on croit être… » L’écrivain de l’intime s’est donné une tâche: celle d’entailler, par sa plume, ce carcan qui nous empêche de respirer et de nous rencontrer. Et ce ne sont pas les nombreux lecteurs qui chaque année achètent l’un de ses livres, qui diront le contraire. Il y a chez Christian Bobin une brise que l’on ne rencontre que rarement en littérature… Une brise de résurrection.
Serge Carrel