Les démarches en vue de la fusion de nos deux unions d’Eglises avancent. Des statuts et des dispositions internes seront probablement adoptés le 25 novembre prochain. Le projet de charte a été remis à plus tard. En fait au plus tard à fin 2008 pour son adoption. Au travers de ce texte, nous aimerions lancer la réflexion sur cette charte qui devrait définir à la fois des valeurs auxquelles nous tenons et une perspective qui pourrait orienter notre action commune, en tant que nouvelle entité ecclésiale dans le paysage romand.
La Suisse, un champ de mission
Si nous considérons la situation spirituelle et morale de notre pays, nous nous rendons compte que nous sommes dans un champ de mission. Non seulement beaucoup d’Eglises sont de plus en plus désertées, surtout par les jeunes générations, mais bien des valeurs proposées par l’Evangile sont oubliées ou même combattues : le respect d’autrui, la fidélité, la droiture, la solidarité familiale et communautaire, l’esprit de service, etc. Dans leur comportement et leur pensée, nos contemporains manquent toujours plus de références. La société tend à promouvoir un individualisme rendant chacun soucieux de son bien-être et de son plaisir, que l’Etat devrait lui garantir sans contrepartie ou presque !
Des valeurs plus que jamais d’actualité
Dans ce contexte, il apparaît que nos Eglises, par leur pratique et leur doctrine, sont porteuses d’un message important pour notre pays. En voici quelques aspects particulièrement précieux dans le contexte social actuel.
1. L’amour du prochain. Dans un monde où les discours de haine se multiplient, où le fossé entre riches et pauvres, entre jeunes et vieux, entre adeptes de telle ou telle religion s’approfondit, le commandement d’amour de Jésus-Christ - « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 19,19) - nous rappelle l’importance du respect et de la solidarité avec tous. Un respect et une solidarité qui ne doivent pas rester lettre morte, mais passer dans des actes concrets.
2. La justice. Au travers de la rencontre de Jésus, les chrétiens découvrent qu’ils sont déclarés justes devant Dieu. Au bénéfice de cette grâce, ils ne sont plus accaparés par leur réalisation personnelle, par la course à la possession de biens ou par la quête d’un statut social plus élevé. Ils peuvent inscrire au coeur de leur vie la recherche du Royaume de Dieu et de sa justice. Une justice que Dieu chérit (Es 61,8). Une justice qui réside au coeur de son identité (Ps 89,15) et qu’il souhaite voir se réaliser au sein de la société (Es 58, 6-7). Une justice que Jésus invite à chercher et dont il rassasie (Mt 5,6).
3. La liberté. Dès leurs origines, au début du XIXe siècle, nos Eglises ont constitué une minorité dans le paysage religieux romand. Une minorité protestante parfois persécutée, souvent marginalisée. Historiquement, nous sommes donc très attachés à la liberté de conscience et d’expression pour chacun. En Suisse, mais aussi partout sur la planète, quelles que soient les idéologies ou les religions au pouvoir.
Nos Eglises déploient concrètement leur attachement à la liberté de conscience en pratiquant le baptême d’adultes ou d’adolescents conscients de la portée de leur engagement à la suite du Christ. Cette pratique ménage pour chaque individu la possibilité de se déterminer par rapport à des convictions religieuses. On ne naît pas chrétien, on le devient par la foi, par la conversion au Christ et par un engagement à le suivre. Ce faisant, nous récusons tout recouvrement de l’Eglise et de la société. Pour permettre à chacun de se décider pour le Christ, la société doit être un espace ouvert à tous et à toutes les visions du monde respectueuses des valeurs démocratiques.
Nos Eglises savent vivre sans aide financière étatique, tout en développant une attitude de solidarité avec la société. Foncièrement, nos Eglises sont attachées à la séparation des religions et de l’Etat. Ce qui n’empêche nullement une pratique de la solidarité à l’endroit de tous. Cette solidarité se traduit aujourd’hui par divers engagements sociaux en faveur de toutes les générations et dans le respect des convictions de chacun : garderies d’enfants, mouvements de jeunesse, aumônerie de rue pour toxicomanes, magasin de seconde main, maison d'accueil pour personnes en difficulté ou pour personnes âgées dépendantes...
4. La joie. « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. » Ce propos d’Augustin d’Hippone (354-430) illustre l’expérience chrétienne fondamentale. Le coeur humain aspire à la plénitude. Il ne goûte à celle-ci qu’une fois qu’il a fait l’expérience de la proximité de Dieu, qui est venu jusqu’à nous en Jésus-Christ. Au travers de cette expérience, l’être humain découvre un amour insondable qui le remplit d’une joie pleine et entière.
Dans un monde marqué par le mal, par le péché ou par des velléités cyniques et nihilistes, nos Eglises veulent rappeler qu’il y a de la joie à vivre réconcilié avec Dieu, avec son prochain ainsi qu’avec la vie. Cette joie devrait marquer le quotidien des chrétiens, tout comme les célébrations des communautés rassemblées.
5. L’espérance. « Le Christ est ressuscité ! » Cette vérité résonne au coeur de la foi chrétienne et nourrit un autre regard sur la dimension tragique de l’existence humaine. En Jésus, le mal et la mort n’ont plus le dernier mot. La Résurrection témoigne d’une victoire extraordinaire : celle de Jésus. Seigneur, il est source d’espérance dans le coeur des croyants (2 Co 5, 4-7). Le don de son Esprit témoigne à notre esprit que la vie ne se réduit pas au néant, mais qu’elle ouvre sur une communion éternelle avec le Vivant
Dans une société en mal de perspectives et d’avenir, la foi chrétienne rappelle qu’il y a un avenir à construire et une espérance à découvrir, à la suite du Christ.
6. La communauté. Dans les Eglises locales et dans les différents groupes de quartier qui s’y rattachent, il y a une réelle vie communautaire, qui respecte et valorise l’engagement personnel de chacun dans la foi.
Dans nos communautés, nous pratiquons l’autorité collégiale. Nous souhaitons développer la complémentarité des ministères et nous rejetons tout ce qui pourrait ressembler à de la manipulation autoritaire.
Nous sommes attachés au sacerdoce universel des croyants, au fait que chaque chrétien, selon la célèbre formule du réformateur Martin Luther, est prêtre, évêque et même pape ! Nous soulignons donc l’égalité foncière de tous les croyants, de toutes les conditions sociales. Cette valorisation du service de chacun dans la communauté locale donne de la place à des initiatives individuelles et les stimule.
7. L’humilité. Conscientes de leur fragilité et de leurs limites, nos Eglises souhaitent développer de bonnes relations avec les autres communautés chrétiennes. Dans un esprit de service, elles désirent entreprendre avec elles tout ce qu’il est possible d’entreprendre pour favoriser la venue du Royaume.
Notre mission aujourd’hui
Conscients de ces valeurs, nous voulons être témoins aujourd’hui de la Bonne Nouvelle du Royaume : Dieu s’est approché de nous en Jésus-Christ. Rejeté des hommes et mis à mort sur une croix, Jésus a été rappelé par Dieu de la mort à la vie. Au travers de sa résurrection, le Père montre à la face du monde qu’en son Fils réside le chemin qui mène à la plénitude du pardon et de la réconciliation, pour maintenant et pour l’éternité. Par le don de l’Esprit, Dieu se constitue un peuple nouveau. Ce peuple est appelé à vivre de la grâce et à incarner, avec l’aide de Dieu, l’humanité pleinement déployée de Jésus.
Notre témoignage à la Bonne Nouvelle du Royaume passe par l’annonce à nos contemporains du salut accordé par Dieu en Jésus-Christ. Cette proclamation va de pair avec la mise en place de communautés qui donnent à voir l’Evangile. Cette annonce ne saurait se passer d’individus qui vivent ce message dans leur quotidien, qu’il soit professionnel ou privé.
A l’oeuvre dans un monde qui ne partage pas notre manière de voir, nous ne devrions ni nous replier dans une sorte de « ghetto ecclésial », ni envisager la société comme un espace à conquérir à tout prix. Aujourd’hui les chrétiens vivent comme en exil. Leur témoignage se déploie à partir d’une logique qui n’est pas de ce monde. Il est une sorte de levain qui souhaite faire monter une pâte qui affiche davantage de connaissance de Dieu, davantage d’humanité et davantage de respect de la création.
Les projets communs
Du point de vue pratique, les responsables et les membres de la nouvelle union devraient s’engager :
1. A construire des communautés en prise avec le quotidien de nos contemporains.
Refusant tout repli sur une « culture évangélique étroite », nos Eglises s’engagent à offrir davantage de lieux de célébration et de service qui permettent la rencontre de nos semblables dans leurs besoins, tant spirituels, physiques que matériels. Avec une recherche sur des « cultes à seuil bas », avec l’ouverture de lieux d’écoute et de prière pour la guérison, de garderies ou de boutiques de seconde main, avec le soutien d’un ministère de pasteur de rues, certaines de nos Eglises ont déjà posé des pas concrets dans le développement de cet Evangile incarné.
2. A stimuler l’implantation de nouvelles communautés chrétiennes.
Dans une Suisse qui a besoin de communautés chrétiennes vivantes, l’urgence est à l’ouverture de lieux de vie à même de rejoindre toutes les couches de la population et toutes les ethnies habitant sur sol helvétique. L’implantation de nouvelles communautés ne vise nullement à promouvoir un « drapeau dénominationnel ». Un esprit de service et de dialogue devrait présider à cette démarche. La formation d’hommes et de femmes en vue de cette mission et la mise à disposition de moyens financiers devraient constituer une priorité pour la nouvelle union.
3. A encourager la réflexion autour d’un mode de vie différent, basé sur les valeurs de l’Evangile et sa mise en pratique par les membres de nos Eglises.
Dans un contexte social où la pression consumériste est extraordinairement forte, la nouvelle union s’engage à former les membres des Eglises à un regard plus critique à l’endroit du mode de vie helvétique. La joie et le bonheur en Christ ne résident nullement dans l’accumulation de richesses et la multiplication des services reçus, mais dans un mode de vie qui valorise des relations de qualité, le don de soi ainsi qu’une certaine frugalité, à même de développer davantage de solidarité et de respect de la création.
4. A promouvoir un engagement missionnaire qui incite à davantage d’échanges et de solidarité avec le Sud
L’annonce du Christ vivant est au coeur de notre identité. Elle a conduit des membres de nos Eglises à ouvrir de nouvelles communautés chrétiennes en Roumanie, au Laos ou en Inde et à s’engager dans des actions médicales et sociales à l’est de la République démocratique du Congo notamment. La nouvelle union souhaite poursuivre dans cette voie et stimuler aujourd’hui un témoignage chrétien holistique, fait d’échanges et de solidarité avec ces Eglises partenaires et avec d’autres.
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Il ne s’agit pas de donner de nos communautés une image plus belle que ce qu’elles sont en réalité. Toutefois, nous pouvons être fiers du message que Jésus-Christ nous a confié et que son Esprit, malgré nos imperfections, nous a donné de vivre. Nous croyons que ce même Esprit nous habite aujourd’hui et qu’il nous pousse à vivre et à communiquer l’Evangile de Jésus-Christ de manière créative et efficace. Sur certains points, notre témoignage répond à l’attente d’une partie de la société, mais encore faut-il le faire comprendre et le transmettre ; sur d’autres points, il est opposé aux pensées et aux désirs largement répandus. Courageusement, nous voulons avancer sur le chemin que le Seigneur ouvre devant nous. Animés de son Esprit, nous voulons, ensemble, relever ses défis, confiants dans sa grâce et dans son soutien.
Septembre 2006
Jean Villard (Groupe d’études des AESR), Thomas Salamoni, président du GEA, et Serge Carrel (Commission formation FEEL-AESR)