«L’Église ‘post covid-19’: ‘Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait?’», par Philippe Henchoz

Philippe Henchoz jeudi 10 septembre 2020

Début juillet, le pasteur Philippe Henchoz de l’Eglise évangélique de Meyrin (FREE) publiait une prise de position sur la situation des Eglises évangéliques romandes après le semi-confinement. Cette contribution a fait grand bruit. Aujourd’hui, Philippe Henchoz reprend la plume pour faire le point, peu après la rentrée. Déstabilisation, questions, priorités nouvelles… sont les maîtres-mots de son article. A lire, alors que lafree.info prépare pour le mardi 15 septembre à 17h une discussion-débat ZOOM autour du thème : « Pandémie du covid-19 et rentrée des Eglises ».

 

En juillet dernier, je tentais une réflexion au cœur de ce qui se présentait déjà comme une véritable tempête : « L’Église ‘post covid’ (?) » (1)... Réflexion accompagnée alors d’un point d’interrogation puisque nous pouvions non seulement nous interroger sur ce qui nous arrivait, mais encore espérer une « sortie de crise », un retour à la normale même, les mois passants, au sortir de l’été. Or, il n’en est rien. En guise de normalité, les gros chiffres s’ajoutent aux gros chiffres, les inquiétudes aux inquiétudes, les contraintes aux contraintes, et les clivages aux clivages.

Des Eglises profondément touchées

Le covid-19 et ses multiples conséquences frappent aussi l’Église (comme la société tout entière). De plein fouet. En un sens, c’est rassurant : l’Église n’est pas hors du monde, mais elle l’habite, l’embellit ou l’abîme, et en est solidaire qu’elle le veuille ou non. Mais, dans ce monde, elle peut être un phare, un signe, un refuge. Nulle raison pour qu’elle soit moins exposée que d’autres institutions. Il faut le dire, pour tâcher de le vivre aussi sereinement que possible, et aussi fortement que nécessaire. Maintenant, pour la sortie par le haut et le retour à « la normale », il faudra encore patienter et espérer. Parce qu’aujourd’hui, nous savons qu’il n’en est rien, et qu’il n’en sera rien probablement avant longtemps. 

Lorsque mon premier billet a été publié, il a suscité de multiples réactions : solidaires pour les unes (merci mille fois !), inquiètes pour d’autres (à mon égard également, mais j’allais et je vais bien, éprouvant seulement le besoin d’exprimer ce qui me traversait alors), ou encore critiques pour ceux qui voyaient dans les formes (l’écriture inclusive utilisée alors) une quasi-hérésie – et là on filtrait les mouches pour avaler les chameaux – et ceux qui voyaient dans le fond une sorte de soumission à l’inquiétude ambiante et de dévoiement de la foi qui se voudrait pour eux toujours conquérante et victorieuse, parce qu’avec Dieu nous ferons des exploits, non ? Avec bonheur, en général, je ne compte plus le nombre d’interactions, de sollicitations, de réflexions en cours depuis. Cela, c’est enrichissant !

Depuis le début de l’été, de l’eau a coulé, en petite quantité, et parfois stagnante, sous les ponts que nous avons les uns et les autres essayé de bâtir, imparfaitement mais souvent avec cœur, ingéniosité et détermination.

Déstabilisés !

En ce début d’année scolaire et de nouvelle saison, où la pandémie mondiale gagne hélas toujours du terrain, mais aussi où nous avons appris à apprivoiser certaines contraintes, je partage ici quelques éléments qui m’interpellent. Parce que je crois que, si l’on veut valablement confronter ce qui nous heurte ou nous motive, il faut le nommer (c’est le principe actif des Psaumes).  

Le premier élément que je retiens, comme berger d’un petit troupeau et habitant d’une ville et région que j’aime tant, c’est que beaucoup dans et hors l’Église ont été et sont profondément déstabilisés. Pour eux, pour elles, parfois c’est tout un monde qui a été chamboulé : vie de couple, relations intrafamiliales, santé, travail, carrière et revenus, études, vie sociale, vie associative, vie d’Église. Tout a dû être redéfini. Plus de chemin tout tracé, peu d’évidences, mais des cartons d’incertitudes et de fragilités nouvelles à prendre durablement avec soi. Il y a comme rarement autant besoin d’espace pour le repos de nos âmes. Ces situations, toutes si personnelles, demandent des soins pastoraux attentifs et de longue haleine, parfois des soins médicaux ou même psycho-sociaux, et en tous les cas de l’écoute, du soutien, de la prière, de la grâce, de la solidarité et un surcroît de vivre ensemble. Pour faire court : vivre l’Église comme une famille (qui est le terme qui revient le plus souvent dans le Nouveau Testament lorsqu’il s’agit de décrire ce qu’est l’Église, voir Ephésiens 3.14-15).

Une pluie de questions

Le deuxième élément que je retiens, c’est que quantité d’Églises se sont remises en question, mobilisées, et ont su avec plus ou moins de bonheur et de réussite (pour autant qu’elle soit mesurable) se réinventer, s’adapter en des temps records, diversifier les formes et les contenus. Il y a donc dans nos communautés des ressources insoupçonnées et des talents qui ne demandent qu’à s’exprimer. Ce qui reste prometteur pour ce qui vient. 

A mon sens, pour ne pas gâcher « notre covid-19 », il nous faut poursuivre la réflexion, en assemblée générale, dans les groupes de travail, en tête à tête, en cellules de vie et groupes de maison, dans les conseils et équipes pastorales, en pastorales locales et nationales : d’où vient- on ? Dans quelle trajectoire nous inscrivons-nous ? Quelles identités et racines nous définissent ? Parce que l’Église de Jésus-Christ vient de bien plus loin que les dates de création, aussi lointaines et honorables soient-elles, de nos assemblées ; elle s’inscrit dans une trajectoire d’une infinie richesse au travers de ses 2000 ans d’histoire et de traditions, ne se limitant pas non plus au seul livre des Actes ou lettres apostoliques, ou encore révélations et livres contemporains. L’Église du Dieu vivant est « la colonne et l’appui de la vérité » (1 Timothée 3.15), pas moins ! Et elle est promise au plus glorieux avenir qui soit (Ephésiens 5.27) ! Et nous sommes partenaires de ce projet, pierres vivantes pouvant façonner un véritable chef-d’œuvre à la suite du Grand Bâtisseur (voir Ephésiens 2.19-22s ; 1 Pierre 2.4s).

Quelles priorités ?

Où va-t-on ? Qu’est-ce qu’on souhaite vraiment au fond ? Que veut-on incarner ? Quelles valeurs demeurent dans un monde en cours de redéfinition ? Que pouvons-nous bien y faire infuser ? Tenez, par exemple : pourrait-on se laisser bousculer par un texte mille fois entendu (et trop souvent cantonné) en contexte de bénédiction de mariage : « Or, ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, et l’amour. Et la plus grande de toutes ces choses c’est l’amour » (1 Corinthiens 13). Oserait-on glisser ici que tout le reste n’est que garniture ? 

Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Comment poursuit-on ? Où investissons-nous ? Qu’est-ce qu’on arrête ? Qu’est-ce qu’on continue ? Doit-on vraiment maintenir des plannings aussi chargés ? Dire « oui » à ceci, implique souvent de dire « non » à cela. Qui trop étreint mal embrasse ! Le Christ lui-même, devant des choix exigeants, a choisi de concentrer ses forces et son action sur le but même de son incarnation (voir par exemple Luc 9.56, 13.3, 19.28) : le don de sa vie pour le salut de quiconque croit. Et avec quel résultat (voir Hébreux 12.2) ! A sa suite, dans ses pas, la notion du service de l’autre demeure d’actualité (voir Jean 13.1-5).

L’inquiétude des responsables

Un troisième élément, en lien étroit avec ce qui est évoqué ci-dessus, concerne l’inquiétude légitime de bien des pasteurs, se retrouvant devant des rangs clairsemés et une assistance aléatoire, une communion fraternelle bien fragilisée, des ressources en chute libre. Des chiffres qui restent à éprouver (voir le billet de mon estimé collègue Gilles Boucomont  (2) peuvent donner l’impression que tout est à refaire. Comme si nous avions essuyé une guerre. A partir de là, faut-il accompagner et encourager en priorité celles et ceux qui restent, fidèles, engagés, bien décidés à ne pas céder un pouce ? Faut-il plutôt reconquérir les marges indécises ? Exhorter, rassurer et stimuler celles et ceux qui hésitent ou ne souhaitent pas trop se mouiller ? Faut-il sinon se consacrer à ramener « en bergerie » ceux et celles qui, comme la chèvre de Monsieur Seguin, semblent convaincus que l’herbe est plus verte ailleurs (sur leur canapé, les pistes de ski à retrouver bientôt, ou sur la pente douce et insouciante de l’existence) ou assumant simplement que « tout ça » ne les intéresse plus tant en fait... ? A mes si chers Frères et Sœurs, je dis : aidez-moi, aidez-nous à vous aider ! Ensemble, on est plus fort. Ensemble, c’est tout. Faisons mentir l’individualisme et le tribalisme ! L’Église, c’est chose collective et inclusive. Le chef-d’œuvre est en péril si les bâtisseurs ne bâtissent ensemble. Nous avons besoin de tous et toutes pour (re)mettre du cœur à l’ouvrage.

Des interprétations divergentes

Et puis je note, enfin, une Église traversée par des convictions de toutes sortes. A propos de la dangerosité du virus, à propos de la compétence des autorités politiques et sanitaires et de la justesse de leurs décisions, à propos des risques encourus par l’éducation, l’économie, les arts, les sports, etc., à propos aussi de la lecture prophétique ou eschatologique de ce que nous vivons... Faut-il à tout prix tout essayer de lire à l’aune des Écritures qui nous sont chères ? Faut-il à tout prix tout chercher à valider ou invalider, combattre ou relativiser ? Ne prendrions-nous pas le risque de nous perdre ? De nous épuiser ? De nous délayer ? Ou ne devrions-nous pas plutôt revenir à ce qui est au cœur de l’Evangile de Jésus-Christ : l’attention aux personnes, le salut, la grâce, la réconciliation, la restauration, la vie nouvelle, l’accueil, la justice... et une espérance qui ne trompe pas (voir Romains 5.5) ? L’auteur britannique du XXe siècle, CS Lewis, écrivait : « J’ai besoin de Christ, pas de quelque chose qui lui ressemble. »

Pronfondément dépendants du Seigneur

Vous l’aurez constaté, malgré quelques exclamations, il reste bien des points d’interrogations. Ils nous permettent de reconnaître que nous sommes loin d’être arrivés, loin d’être suffisants, loin d’être autonomes. Nous avons besoin du Seigneur Dieu, maître des circonstances (voyez Matthieu 8.23-27). Nous avons besoin de l’Éternel qui ne varie pas (Jacques 1.16-18), de ses forces renouvelées et de ses trésors de sagesse. Nous avons besoin de l’Esprit qui inspire et rend fort, aimant et réfléchi (pour reprendre le titre d’un livre de Billy Graham en 1992). 

Et nous avons besoin les un.e.s des autres. Nul.le n’est une île. Seuls.es, nous ne ferons rien. 

Arrivé au terme de ce deuxième billet, je reste absolument convaincu que cette double dimension verticale et horizontale sera salvatrice, lumineuse, inspirante et constructive. 

Soli Deo Gloria. 

Philippe Henchoz

Plus d’infos sur la discussion-débat ZOOM, le mardi 15 septembre à 17h, autour du thème : « Pandémie du covid-19 et rentrée des Eglises ».

Notes
1 Philippe Henchoz, « L’Église ‘post covid’ (?) », lafree.info, 3 juillet 2020.
2 Gilles Boucomont, « Covid et relocalisation », Au nom de Jésus, 20 août 2020.

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