Le plus grand problème pour Dieu dans l'histoire du salut, c'est son propre peuple. Ce qui dans la Bible choque le plus le Seigneur, ce n'est pas simplement le péché qui sévit dans le monde, mais plutôt l'échec, la désobéissance et la révolte de ceux qui ont pourtant bénéficié de la grâce divine. Ils sont appelés à être saints, distincts des autres nations, et pourtant les Israélites, comme l'Eglise, au long de leur histoire, font tout le contraire.
Le défi de marcher d'une manière différente
Lors de la cinquième journée du troisième congrès du Mouvement de Lausanne au Cap en 2010, le pasteur pentecôtiste kenyan Calisto Odede a insisté sur le fait que des gens du monde entier ont reçu l'Evangile, mais qu'ils se sont contentés de le défendre, d'en débattre, d'en faire un business ou de le chanter (1). Il se demande si le terme « évangélique » ne devrait pas être redéfini, parce qu'aujourd'hui le chrétien qui affiche cette conviction n'est pas différent de la personne qui n'est pas chrétienne. Calisto Odede relève qu'à une époque le chrétien évangélique s'était pratiquement séparé de la vie en société par peur d'être contaminé par le monde. Aujourd'hui, ajoute-t-il, les trois ennemis traditionnels de la foi chrétienne, le monde, la chair et le diable, semblent avoir pris leur place dans l'Eglise. Les chrétiens sont invités à marcher d'une manière radicalement nouvelle, et le texte de L'Engagement du Cap précise que « marcher » est une métaphore biblique qui décrit notre façon de vivre et notre conduite au quotidien (2).
Dans son exposé biblique, Calisto Odede souligne l'importance de cette marche en prenant l'exemple des Masaaï, qui sont souvent en mesure de tirer des conclusions des traces de pas qu'ils discernent sur le chemin. Ils voient s'il s'agit d'un adulte ou d'un enfant, d'un homme ou d'une femme, portant ou non quelque chose. Ils discernent aussi dans quelle direction la personne a marché... Ce Kenyan pose donc la question : « Qu'est-ce que nos pas révèlent de notre vie de foi au quotidien ? Que devrions-nous faire pour marcher selon les pas de Dieu ? » Il tire de la lettre aux Ephésiens plusieurs pistes pour aider le chrétien à marcher pour la gloire de Dieu. L'apôtre invite ses lecteurs à marcher selon ce qu'ils ont appris. En effet Paul commence par dire : « Ne vous conduisez plus comme les non-croyants » (Ephésiens 4.17). La conduite des chrétiens devrait être aux antipodes de celle de leur ancien entourage. Au lieu de mentir, ils devraient dire la vérité, au lieu de se mettre en colère, ils devraient se maîtriser. Au lieu de voler, ils devraient travailler de leurs propres mains, afin de donner à ceux qui sont dans le besoin. Au lieu de dire des paroles malsaines, ils devraient prononcer des paroles qui édifient ! Paul demande donc à ses lecteurs de couper avec leurs anciennes habitudes, de renoncer à l'amertume, à la fureur, à la colère, à la calomnie et à toute autre forme de méchanceté ! Il leur demande de se revêtir du pardon, de la tendresse et de la bonté (4.32). Ensuite Paul les invite à marcher dans l'amour (5.1-6) : « Soyons les imitateurs de Dieu ! » Voici notre appel ! Les enfants imitent souvent leurs parents, les Ephésiens sont appelés à faire du Christ leur modèle.
Il faut donc entrer dans une telle démarche de manière persévérante, sans pour autant que cet amour soit une contrefaçon. L'amour a du prix ! Nous sommes appelés à payer ce prix. Si nous ne le faisons pas, le monde ne changera pas.
Ensuite l'apôtre invite ses lecteurs à marcher dans la lumière (5.7-14). Il leur demande en tant qu'enfants de la lumière de mener une vie de foi transparente. Calisto Odede donne l'exemple du temps de réveil qui a touché l'Afrique de l'Est durant presque 30 ans. Le mot d'ordre était alors : « Marcher dans la lumière. » Les chrétiens confessaient leurs faiblesses, leurs erreurs et les décisions erronées qu'ils avaient prises. Si vous vouliez vous marier, commencer une entreprise ou partir en voyage, il fallait d'abord marcher dans la lumière ! Paul demande aux Ephésiens de mener une vie remplie de l'Esprit, concrètement de ne pas abuser d'alcool pouvant les conduire à nouveau à la débauche. Une vie remplie de l'Esprit s'accompagne de la récitation de psaumes, de louange, de chants, d'une vie de célébrations pour la gloire de Dieu. Une vie qui permet une réelle rencontre avec Dieu (18-21). Le fait de marcher de manière radicalement différente est un grand défi. Ce constat est rappelé par le théologien d'Irlande du Nord, Chris Wright (3). Selon lui, le plus grand problème ne vient pas des idoles des autres nations, mais plutôt de l'idolâtrie pratiquée par le peuple de Dieu. Il y a beaucoup d'idoles qui nous éloignent du Seigneur, et trois en particulier pervertissent la mission de Dieu et les responsables des Eglises : le pouvoir et l'orgueil, la popularité et le succès, la richesse et la cupidité. Pour Chris Wright, la recherche du pouvoir et d'une position sociale reflète la nature déchue de l'être humain, qui lors de la chute voulait usurper l'autorité de Dieu en s'élevant contre lui. C'est là aussi une des caractéristiques de Satan. Chris Wright conclut en disant qu'il est tragique de voir tant de responsables chrétiens céder à ce péché et s'élever eux-mêmes. Il est urgent que nous reconnaissions et dénoncions cela comme un péché. Si nous sommes obsédés par notre statut ou par le pouvoir dans un ministère chrétien, nous désobéissons au Christ et à sa Parole. Il est important de se repentir et d'être animé d'un sentiment d'humilité. Pour ce qui est des leaders concernés par l'idole de la popularité et du succès, il affirme qu'ils se comportent comme les faux prophètes des premiers siècles de l'Eglise qui ont été malhonnêtes et qui ont ainsi exagéré, tordu, manipulé des paroles qu'ils disaient provenir de Dieu. Les leaders d'aujourd'hui concernés par cette forme d'idolâtrie agissent pour leur intérêt personnel, tout en revendiquant le statut d'hommes de Dieu. Chris Wright termine en parlant des leaders influencés par l'idole de l'argent et de la cupidité en disant qu'ils sont souvent mal payés et victimes de l'appât du gain. Il cite un chrétien qui disait un jour : « Notre pasteur ne nous aime pas, mais il aime notre argent. » Des responsables veulent parfois faire de leur Eglise un business florissant ; et ils sont même prêts à vendre des produits « miracles » qui seraient sources de guérison.
Chris Wright a lancé un appel à la repentance dans la simplicité, tout en faisant le constat que de nombreux leaders ne peuvent résister aux tentations du pouvoir abusif, du succès manipulé et de la cupidité égoïste. L'Eglise dans son ensemble paie le prix de leur échec, ce qui se traduit par une perte d'intégrité et de crédibilité.
Le défi de vivre une sexualité ordonnée
La question de la sexualité a été abordée lors de ce congrès. Paul Batchelor, un économiste spécialisé dans le développement (4), a évoqué son expérience lors d'une visite d'école en Zambie. Il parle des avertissements aux jeunes placardés sur les murs de l'école à propos du SIDA. La maladie y était décrite, des conseils étaient donnés sur la manière de l'éviter. Nous savons que le SIDA touche de manière dramatique des Africains, et parmi eux beaucoup de chrétiens. Elle est souvent la conséquence d'une sexualité désordonnée. L'Engagement du Cap nous rappelle que le Christ nous invite à nous comporter avec son amour et sa compassion envers les personnes touchées par ce fléau, et à faire tout ce qui est possible pour sauver des vies (5). Une telle sexualité touche également nos régions, mais parfois sous d'autres formes. Dans son exposé Calisto Odede fait référence aux propos de Paul qui parle de s'abstenir de l'immoralité sexuelle, lorsqu'il s'adresse à ceux qui fréquentaient les prostituées des temples païens. Les paroles de Paul sont très claires : « Que l'immoralité sexuelle, l'impureté... ne soient même pas mentionnées parmi vous » (Ephésiens 5.3). L'adultère et la pornographie sont des fléaux qui touchent les chrétiens et qui brisent de nombreuses vies. Une telle réalité est souvent cachée par les membres des Eglises par peur d'être rejetés. Comment faire pour lutter contre un tel fléau ? L'Engagement du Cap encourage les Eglises à faciliter une conversation plus ouverte sur la sexualité en annonçant positivement la bonne nouvelle du plan de Dieu pour des relations saines et pour la vie de famille (6). Il est important d'enseigner clairement les normes de Dieu, avec la compassion pastorale nécessaire, tout en reconnaissant combien nous sommes tous vulnérables face à la tentation et au péché. Lors du congrès, les participants ont été invités à encourager les chrétiens à donner un exemple positif en vivant conformément aux normes bibliques de fidélité sexuelle. Le texte de L'Engagement du Cap invite les leaders de nos Eglises à mettre tout en œuvre pour renforcer les mariages fidèles et la vie des familles. Ils sont appelés à trouver les moyens nécessaires pour résister aux multiples formes de sexualité désordonnées dans la culture environnante, y compris la pornographie, l'adultère et la promiscuité, en proclamant qu'aucune personne ou situation n'échappe à la possibilité de changer et d'être restaurée. Pour agir de la sorte, il sera nécessaire que les leaders eux-mêmes soient exemplaires par leur chasteté et leur fidélité sexuelle ! Il est important de reconnaître humblement que l'Eglise a bien souvent échoué dans ce domaine de la vie. La question de l'intégrité dans ce domaine reste un grand défi pour le chrétien actuel.
Le défi de l'Evangile de la prospérité
Le grand défi de l'Eglise est de rester fidèle à l'Evangile. Les Ecritures regorgent de références concernant les faux enseignements ou d'autres évangiles. Le Mouvement de Lausanne est conscient de ces « évangiles différents » enseignés dans les diverses régions du monde. Il reste entre autres attentif à la propagation de l'Evangile de la prospérité. Le théologien nigerian Femi Adeleye, auteur d'un livre sur cette question (7), se permet de tirer la sonnette d'alarme.
Il commence par définir cet Evangile de la prospérité en disant que les gens qui y adhèrent estiment qu'ils ont le droit de recevoir des bénédictions dans les domaines de la finance et de la santé, en confessant leur foi en Jésus-Christ et en donnant des offrandes et la dîme. Il poursuit en affirmant que la Bible dit que Dieu veille sur son peuple et qu'il s'arrange pour bénir ses enfants, en pourvoyant par d'autres moyens à leurs besoins. Cependant il semble que l'Evangile de la prospérité fait de la recherche du bien-être matériel et physique une fin en soi. De plus, le fait de bénéficier d'une telle prospérité est considéré par les personnes concernées comme un signe qu'elles ont trouvé l'approbation de l'Eternel. Une telle théologie est également bien présente dans les Eglises de notre pays, et nous ne réalisons pas toujours son impact négatif sur la vie des chrétiens et des Eglises. Sans entrer dans l'étude des textes brillamment présentés par Femi Adeleye, il faut souligner que « cet évangile différent » relativise le fait que Jésus est tout d'abord venu pour sauver les humains du péché. Les prédicateurs de la prospérité insistent surtout sur le fait que Jésus est venu pour leur permettre de devenir riches. Le théologien nigérian ajoute que les personnes qui adhèrent à l'Evangile de la prospérité oublient trop souvent que la libéralité est avant tout un acte de louange et non un moyen pour obtenir ce qu'ils désirent de Dieu. Elles ont également tendance à déformer la personne de Jésus en faisant croire que le Christ était une personne riche. Un tel Evangile pousse les prédicateurs à continuer de s'enrichir, et ils le font souvent sur le dos des pauvres ! Cet Evangile ne traite pas de manière rigoureuse la question de la souffrance. Femi Adeleye évoque le pauvre qui ne devient pas plus riche, bien qu'il donne tout ce qu'il peut pour recevoir les bénédictions de Dieu. Le théologien se permet de conclure en disant à quel point une telle théologie est source d'injustice et d'immoralité. Le Mouvement de Lausanne désire lutter contre un tel « Evangile » qui parle d'une richesse souvent acquise par l'oppression, la corruption ou la tromperie. L'Engagement du Cap ne doute pas et encourage même les chrétiens à prêcher que le Christ accomplit encore des miracles aujourd'hui, sans pour autant accepter tout l'enseignement apporté par les prédicateurs de la prospérité. Les chrétiens sont d'abord et avant tout encouragés à remplacer l'avantage personnel et la cupidité par l'enseignement biblique sur le sacrifice de soi et les dons généreux, marques de la vie d'un véritable disciple. Le Mouvement de Lausanne nous invite à vivre des styles de vie plus simples.
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Le chrétien est invité mener une vie d'intégrité, d'humilité, de vérité et de sacrifices qui s'accompagnera d'échecs et de victoires, une vie qui manifeste naturellement par les paroles et les actes que le Christ est vivant.
David Valdez
Notes
1 Voir en anglais l'enseignement de Calisto Odede sur Ephésiens 4.17 à 6.9.
2 Coll, L'Engagement du Cap. Une confession de foi et un appel à l'action, Marpent, BLF Europe, 2011, p. 77.
3 Voir en anglais l'enseignement de Chris Wright, « Confronter les idoles ».
4 Voir l'article que Paul Batchelor a coécrit avec Steve Osei-Mensah : « Salt and Light : Christians Role in Combating Corruption » sur le site de la conférence du Cap.
5 Coll, L'Engagement du Cap. Une confession de foi et un appel à l'action, p. 80.
6 Ibid., p. 79.
7 Femi Adeleye, Preachers of a Different Gospel, Grand Rapids, Zondervan, 2011. Voir aussi son intervention en anglais lors du Congrès du Cap : « Pauvreté, prospérité et l'Evangile ».
8 Coll, L'Engagement du Cap. Une confession de foi et un appel à l'action, p. 83.