« Les Eglises évangéliques de Suisse », c’est le titre de la thèse de doctorat qu’a défendue le sociologue Olivier Favre, le 30 janvier à l’Université de Lausanne. Entouré d’un jury de thèse composé notamment de spécialistes de la sociologie de la religion comme Jean-Pierre Bastian et Roland Campiche, Olivier Favre a reçu le titre de docteur en sciences sociales avec les félicitations du jury « pour la qualité du travail accompli ».
Une thèse qui fait tomber des clichés sur les évangéliques
« Cette thèse fait tomber beaucoup de clichés sur les Eglises évangéliques », a relevé Jean-Pierre Bastian, professeur de sociologie religieuse à l’Université Marc Bloch de Strasbourg. Tout d’abord, les Eglises évangéliques ne sont pas « une minorité au capital culturel inférieur ». Au travers d’une enquête basée sur 1'100 questionnaires, Olivier Favre a montré que les quelque 150'000 évangéliques suisses, engagés dans 1'500 communautés locales – soit 2,2 pour-cent de la population helvétique – se répartissaient sur l’ensemble de l’échelle sociale. Avec un taux d’universitaires comparable à celui de la population helvétique. « Contrairement à ce que l’on a pensé longtemps, les Eglises évangéliques ne sont pas une minorité au capital culturel inférieur ! » a ajouté Jean-Pierre Bastian.
Par son analyse, Olivier Favre a aussi montré que les Eglises évangéliques ne constituaient pas une sous-culture en repli par rapport à la société. De par l’engagement social et politique de ses membres, ces Eglises témoignent d’un souci de la société et du pays. Ce souci ne se décline pas uniquement au travers des deux partis politiques qui leur sont proches : l’Union démocratique fédérale (UDF) et la Parti évangélique (PEV), mais aussi plus largement. 50 pour-cent des évangéliques ne votent pas pour ces deux partis politiques.
Un milieu religieux constitutif de l’histoire européenne
Pour Roland Campiche, professeur honoraire de sociologie de la religion à l’Université de Lausanne, la thèse d’Olivier Favre permet de rompre avec la perception très médiatisée d’un évangélisme européen qui serait issu des Etats-Unis. « Les Eglises évangéliques ont un fort enracinement européen. Et les recherches historiques d’Olivier Favre rendent compte d’une histoire qui, en Suisse, remonte au XVIe siècle avec les anabaptistes ».
Olivier Favre propose également une répartition des évangéliques en trois groupes : les conservateurs, les modérés et les charismatiques. Les conservateurs regrouperaient 10 pour-cent des évangéliques suisses, soit les membres des Eglises de l’Action biblique ou des Eglises baptistes notamment. Les modérés rassembleraient la moitié des évangéliques suisses. Ils seraient membres d’union d’Eglises comme les Eglises mennonites, l’Union des AESR ou l’Eglise méthodiste... Enfin les charismatiques regrouperaient un tiers des évangéliques de Suisse. On les rencontrerait notamment au sein de la « Schweizerische Pfingstmission », de l’Eglise apostolique évangélique romande et des Eglises de Réveil. « Une telle diversité est bien loin de constituer un univers homogène », a souligné Roland Campiche.
Un mouvement religieux en phase avec la modernité tardive
« Traditionnellement, on considérait l’évangélisme comme un protestantisme de fidélité et de rigueur, plutôt traditionnel. Au travers de la thèse d’Olivier Favre, on découvre un évangélisme beaucoup plus en phase avec la modernité tardive que nous le pensions », a encore ajouté Roland Campiche. Dans un contexte social qui favorise à l’extrême l’individu et des choix de comportement personnels, les Eglises évangéliques offre un tissu communautaire qui limite l’atomisation de la société. De plus, par l’accent mis sur la guérison et la prière pour les malades, ces Eglises, notamment pentecôtistes, rejoignent des préoccupations qui traversent l’entier de la société : le souci du corps et d’un mieux-être.
Des traits distinctifs d’un milieu social
La thèse d’Olivier Favre permet d’affirmer qu’au sein de la société helvétique, les évangéliques constituent un milieu social avec son langage et ses manières de se distinguer de la société globale. Pour Olivier Favre, cette démarcation passe surtout par un accent particulier mis sur une éthique individuelle traditionnelle et sur une vie familiale inspirée des principes judéo-chrétiens. Avec un taux de fécondité de 1,9 enfant par femme, les évangéliques ont plus d’enfants que les autres habitants de la Suisse dont le taux de fécondité avoisine 1,4 enfant par femme.
Par ailleurs, la pratique religieuse très élevée des évangéliques contraste avec les habitudes du Suisse moyen dans ce domaine. Près de 90 pour-cent des évangéliques vont au culte chaque dimanche, alors que la pratique dominicale avoisine les 10 pour-cent dans le reste de la population. Selon l’enquête d’Olivier Favre, plus de 80 pour-cent des évangéliques lisent la Bible quotidiennement. Autant de paramètres qui font dire au sociologue de Neuchâtel que les évangéliques constituent un milieu social émergent en Suisse. Un milieu social qui, toutefois, contrairement à ce qui se passe en Afrique ou en Amérique latine, ne grandit pas, mais se maintient.
Serge Carrel
Olivier Favre, Les Eglises évangéliques de Suisse. Contours et identités d’un milieu social émergent, Lausanne, Thèse de doctorat présentée à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL, 2006, 360 p. Disponible prochainement en librairie.