500 ans de la Réforme : Neal Blough publie un livre sur les origines de l’anabaptisme

Claude Baecher vendredi 08 septembre 2017

Le professeur d’histoire de l’Église de la Faculté évangélique de Vaux-sur-Seine (F) publie aux éditions du Cerf : Les révoltés de l’Évangile. Balthasar Hubmaier et les origines de l’anabaptisme. Le pasteur Claude Baecher (Église évangélique de Meyrin, FREE) en propose une présentation.

Voici un livre incontournable sur la compréhension des origines de l’anabaptisme, avec Luther, l’humanisme, Zwingli, les paysans (1524-1525), mentionnant judicieusement que « ce qui a réussi n’est pas forcément mieux ou supérieur à ce qui a échoué » (p. 12). « Les premières années de la Réforme sont fluides et parfois ambigües… Certains pourraient penser qu’au début des années 1520 se rencontrent des courants facilement identifiables et distincts les uns des autres : le catholicisme romain, l’humanisme, le luthéranisme, le zwinglianisme, le mouvement paysan, l’anabaptisme… Ces mouvements n’existaient pas encore en tant qu’entités distinctes les unes des autres » (p. 13).

Nous avons le vrai privilège, et de plus dans la langue de Molière, de profiter de l’érudition historique et théologique de Neal Blough, professeur d’histoire de l’Église de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-Sur-Seine. Ses très nombreuses recherches et publications autour de ce thème (1) y sont récapitulées et synthétisées. C’est dire qu’il a le recul nécessaire pour un travail de cette ampleur.

Une Église en besoin de réformes

L’Église du début du XVIe siècle a besoin de réformes. Différentes options se présentent en 1520, dans l’espace germanophone particulièrement. Celles de Luther, de Zwingli à Zurich et d’autres sont en marche. Le livre suit l’évolution de la pensée et des actions réformatrices de Balthasar Hubmaier (1480-1528). Il s’agit d’un prêtre catholique allemand de bonne éducation théologique, qui suit les traces réformatrices d’Érasme puis de Zwingli, et prend lui-même des options particulières, fidèles à ce qu’il croit être la seule lumière des Écritures saintes. Ce livre nous permet de suivre, en dix chapitres, l’évolution de ses idées, au fil du temps et de son itinéraire.

C’est ainsi qu’on comprend mieux pourquoi cet homme a très tôt été identifié par les catholiques comme « l’inventeur de l’anabaptisme »… Aussi on suit Hubmaier de Friedberg où il est né (près de Augsburg) à la Faculté de théologie de Fribourg et d’Ingolstadt où il obtiendra le titre de docteur en théologie en 1512, puis dans ses différents lieux de pérégrinations parmi lesquels Ratisbonne, Waldshut, Bâle, Saint-Gall, Zurich où il participera aussi à deux « disputations théologiques » qui marquent les étapes de la réforme de la ville. Le 1er mai 1523, Hubmaier y rencontre Zwingli, le réformateur, et adopte le contenu théologique et les méthodes de sa pensée, bien que cette pratique suscite un certain désordre civil un peu partout, notamment autour des questions du jeûne non respecté, de l’interruption de prédications, du non-versement de la dîme et plus tard de l’iconoclasme. La dîme doit être gérée par la commune qui désignera elle-même son pasteur, sur ce dernier point suivant l’innovation de Luther lui-même. Tout cela en un temps « largement nourri d’insatisfactions » sociales (p. 13).

Hubmaier pour une Eglise de professants soutenue par les pouvoirs locaux

La manière de procéder s’appelle Sola Scriptura : seules les Écritures déterminent ce que l’Église doit penser et pratiquer. Il s’agit de trouver une solution de remplacement au magistère catholique. Pour le moment, on ne distingue pas encore, dans les villes et les campagnes, entre les tendances qui déboucheront plus tard sur des soulèvements paysans, le zwinglianisme qui acceptera finalement de baptiser les nourrissons et de réprimer les anabaptistes par le glaive pour ne pas troubler l’autorité publique et enfin l’anabaptisme. Hubmaier encore du côté de Zwingli tente d’introduire une réforme de type anabaptiste à Waldshut, ville d’Allemagne à la frontière suisse, tout près du lieu où l’Aar se jette dans le Rhin. Mais Waldshut tombe face aux troupes impériales le 6 décembre 1525. Hubmaier passe par Zurich où, sous la torture, il finit par se rétracter, puis s’installe dans la petite ville morave de Nicolsburg en juillet 1526, ville germanophone sous la tutelle des princes du Liechtenstein qui s’intéressent à la Réforme. Là, il publie des traités et entre aussi en débat avec d’autres tendances anabaptistes. Mais, en été 1527, Hubmaier est fait prisonnier. Il est emmené à Vienne où il est condamné à mort et brulé le 10 mars 1528. Trois jours plus tard, sa femme Elsbeth est noyée dans le Danube.

L’auteur tire les leçons des travaux de l’historien Peter Blickle qui « décrit l’anabaptisme suisse comme un renversement dialectique de la Réforme communale » (p. 233 n. 69). 

Après ces très courtes tentatives d’un anabaptisme communal (Waldshut et Nicolsburg), ne pourra subsister qu’un anabaptisme sous forme persécutée et clandestine, dont la confession de foi de Schleitheim est caractéristique. La biographie de Michel Sattler et le mouvement des Frères suisses à partir de 1527 témoignent de cette voie de survie.

L’auteur aborde des questions d’interprétations, parmi lesquelles la question du rapport entre ces deux formes différentes d’anabaptisme – donc la question des origines multiples de l’anabaptisme, ce que ce livre démontre ! – les questions de la compréhension des visées de la grâce divine, de l’évolution ou du changement des idées initiales de Luther ou de Zwingli. Neal Blough se positionne également par rapport à des historiens comme Arnold Snyder ou d’Andrea Strübind. Ainsi l’auteur met en évidence que Hubmaier a été, avec d’autres de ces années, partisan d’une « Église de professants qui aurait en même temps le soutien des pouvoirs locaux » (p. 173), une ville comme Waldshut « qui n’expulse pas ceux qui ne sont pas d’accord (p. 174) en est le témoin historique et original. À part l’expérience de Munster en Westphalie (1534-1535) « qui est tout à fait différente de celles de Waldshut et de Nicolsburg » (p. 175), c’est la fin d’une possibilité historique et pour longtemps. En conclusion, relève Neal Blough, ne subsiste que l’option « Schleitheim » : « Il y a bien deux ou plusieurs phases dans ce développement qui aboutit au séparatisme et à la non-violence de Schleitheim » (p. 175). Il n’y avait plus que l’option d’une réforme d’en bas à distance des structures politiques coercitives.

Des textes de Hubmaier en français

Autre originalité du livre, 44 pages d’annexes comprenant des traductions françaises de documents de Hubmaier judicieusement choisis, dont ses Interventions lors de la deuxième dispute de Zurich en octobre 1523 relative au baptême des seuls adultes professant leur foi, ses 18 thèses concernant les fondements de la vie chrétienne entière de 1524, son traité Concernant les hérétiques et ceux qui les brûlent (1524), une de ses lettres à Oecolampade, le réformateur de Bâle datant du 16 janvier 1525, quelques thèses concernant l’instruction relative à la messe (1525), une conduite pour baptiser d’eau ceux qui ont été instruits dans la foi (1527), une conduite pour la cène du Christ (1527). Le choix est judicieux ! Ce livre est un ensemble éclairant tant pour une meilleure compréhension des évènements historiques que pour sa contribution théologique particulière. Les écrits de Hubmaier ont longuement été utilisés dans les générations anabaptistes qui ont succédé, y compris celles des Frères suisses. Des cartes utiles, une bonne bibliographie actuelle, un index des noms et des lieux complètent utilement le livre.
Ce livre est un must dans les bibliothèques des personnes intéressées à l’anabaptisme et au très grand nombre d’Églises et de mouvements qui vivent souvent plus qu’ils ne le croient des prémices de la réforme anabaptiste.
Claude Baecher
 
Neal Blough, Les révoltés de l’Évangile. Bathasar Hubmaier et les origines de l’anabaptisme, Paris, Cerf, 2017, 318 p.
 
Note
1 Par exemple Neal Blough, « Schleitheim et le mouvement paysan : un regard nouveau », Souvenance anabaptiste, n° 19, 2000, p. 27-40 ; « La Réforme, un regard nouveau : Villes, paysans et anabaptistes » dans Théologie évangélique, vol. 1 (2002), pp. 39-65 ou « Nicolsburg et Schleitheim (1527). Deux expressions d’anabaptisme suisse ? » Mennonitica Helvetica (31) 2008, p. 27-41.

 

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