Voici un livre incontournable sur la compréhension des origines de l’anabaptisme, avec Luther, l’humanisme, Zwingli, les paysans (1524-1525), mentionnant judicieusement que « ce qui a réussi n’est pas forcément mieux ou supérieur à ce qui a échoué » (p. 12). « Les premières années de la Réforme sont fluides et parfois ambigües… Certains pourraient penser qu’au début des années 1520 se rencontrent des courants facilement identifiables et distincts les uns des autres : le catholicisme romain, l’humanisme, le luthéranisme, le zwinglianisme, le mouvement paysan, l’anabaptisme… Ces mouvements n’existaient pas encore en tant qu’entités distinctes les unes des autres » (p. 13).
Nous avons le vrai privilège, et de plus dans la langue de Molière, de profiter de l’érudition historique et théologique de Neal Blough, professeur d’histoire de l’Église de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-Sur-Seine. Ses très nombreuses recherches et publications autour de ce thème (1) y sont récapitulées et synthétisées. C’est dire qu’il a le recul nécessaire pour un travail de cette ampleur.
Une Église en besoin de réformes
C’est ainsi qu’on comprend mieux pourquoi cet homme a très tôt été identifié par les catholiques comme « l’inventeur de l’anabaptisme »… Aussi on suit Hubmaier de Friedberg où il est né (près de Augsburg) à la Faculté de théologie de Fribourg et d’Ingolstadt où il obtiendra le titre de docteur en théologie en 1512, puis dans ses différents lieux de pérégrinations parmi lesquels Ratisbonne, Waldshut, Bâle, Saint-Gall, Zurich où il participera aussi à deux « disputations théologiques » qui marquent les étapes de la réforme de la ville. Le 1er mai 1523, Hubmaier y rencontre Zwingli, le réformateur, et adopte le contenu théologique et les méthodes de sa pensée, bien que cette pratique suscite un certain désordre civil un peu partout, notamment autour des questions du jeûne non respecté, de l’interruption de prédications, du non-versement de la dîme et plus tard de l’iconoclasme. La dîme doit être gérée par la commune qui désignera elle-même son pasteur, sur ce dernier point suivant l’innovation de Luther lui-même. Tout cela en un temps « largement nourri d’insatisfactions » sociales (p. 13).
Hubmaier pour une Eglise de professants soutenue par les pouvoirs locaux
L’auteur tire les leçons des travaux de l’historien Peter Blickle qui « décrit l’anabaptisme suisse comme un renversement dialectique de la Réforme communale » (p. 233 n. 69).
Après ces très courtes tentatives d’un anabaptisme communal (Waldshut et Nicolsburg), ne pourra subsister qu’un anabaptisme sous forme persécutée et clandestine, dont la confession de foi de Schleitheim est caractéristique. La biographie de Michel Sattler et le mouvement des Frères suisses à partir de 1527 témoignent de cette voie de survie.
L’auteur aborde des questions d’interprétations, parmi lesquelles la question du rapport entre ces deux formes différentes d’anabaptisme – donc la question des origines multiples de l’anabaptisme, ce que ce livre démontre ! – les questions de la compréhension des visées de la grâce divine, de l’évolution ou du changement des idées initiales de Luther ou de Zwingli. Neal Blough se positionne également par rapport à des historiens comme Arnold Snyder ou d’Andrea Strübind. Ainsi l’auteur met en évidence que Hubmaier a été, avec d’autres de ces années, partisan d’une « Église de professants qui aurait en même temps le soutien des pouvoirs locaux » (p. 173), une ville comme Waldshut « qui n’expulse pas ceux qui ne sont pas d’accord (p. 174) en est le témoin historique et original. À part l’expérience de Munster en Westphalie (1534-1535) « qui est tout à fait différente de celles de Waldshut et de Nicolsburg » (p. 175), c’est la fin d’une possibilité historique et pour longtemps. En conclusion, relève Neal Blough, ne subsiste que l’option « Schleitheim » : « Il y a bien deux ou plusieurs phases dans ce développement qui aboutit au séparatisme et à la non-violence de Schleitheim » (p. 175). Il n’y avait plus que l’option d’une réforme d’en bas à distance des structures politiques coercitives.
Des textes de Hubmaier en français