A la découverte du « génie apostolique » des Eglises missionnelles (4)

vendredi 24 août 2007

Les Eglises émergentes ou missionnelles sont un phénomène de renouveau dans le christianisme contemporain qui interpelle. Jane Maire, une missionnaire de Wycliffe, s’y est intéressée à l’occasion d’un congé sabbatique. Elle a discerné 3 caractéristiques propres à ce nouveau mouvement d’Eglises. Elle évoque dans ce quatrième article la troisième : le « génie apostolique » de ces communautés nouvelles. Stimulant !

Comme je l’ai mentionné dans mon premier article (1), la troisième caractéristique des Eglises missionnelles, c’est qu’elles sont apostoliques ou « plates », et non pas hiérarchiques ou verticales. Sur ce point, je dois beaucoup au livre d’Alan Hirsch, « The Forgotten Ways » (2). A ceux qui peuvent lire ce livre en anglais, j’en recommande la lecture. Ce qui suit ne constitue qu’une reprise très partielle de ses thèses, pour nous aiguiser l’appétit, je l’espère au moins !

L’ « ADN » des Eglises missionnelles
Alan Hirsch a « découvert » l’« ADN » des Eglises missionnelles en analysant les raisons de la croissance de l’Eglise à deux époques. Tout d’abord à l’époque dite primitive, entre l’an 100 et l’an 310, où l’Eglise chrétienne est passée de 25'000 personnes à environ 20 millions. Ensuite au XXe siècle en Chine, entre l’arrivée de Mao et la levée du rideau de bambou, où l’Eglise de Chine est passée de 2 millions à 60 millions personnes. Dans les deux cas, l’Eglise souffrait de persécution. Elle n’était pas une religion reconnue légalement. Elle n’avait quasiment pas de bâtiments « église ». Elle n’avait ni toutes les Ecritures réunies, ni structures formelles avec des responsables ou un leadership, et elle ne pouvait pas faire de pub ! Alan Hirsch s’est posé la question suivante : comment les chrétiens concernés ont-ils pu connaître une telle croissance ?
Ce qu’il a découvert, Alan Hirsh l’a nommé « le génie apostolique ». Il en a tiré les éléments qui devraient constituer l’ « ADN » des Eglises missionnelles :
- Une confession de foi simple, à la fois tenue fidèlement et vécue : « Jésus est Seigneur. Il a été crucifié, il est ressuscité, il est monté au ciel et a envoyé son Saint-Esprit. Notre relation à Dieu et notre mission sont centrées sur la personne de Jésus ». Cette confession réduite au minimum permet une large collaboration entre chrétiens de différentes tendances.
- Faire des disciples est une tâche centrale.
- L’Evangile est planté (avancé) et approfondi en même temps.
- Une influence apostolique qui crée un environnement propice à une croissance exponentielle. Le service apostolique est la base qui permet la découverte et la mise en route des autres services. Nous reviendrons plus loin sur ce point.
- Des systèmes organiques et non pas des institutions centralisées. Les Eglises missionnelles ressemblent à un mouvement. Elles sont structurées en réseaux et se répandent comme des virus !
- « Communitas » et non pas communauté. Les chrétiens se rassemblent autour d’une mission commune, risquée, ou autour d’une épreuve dangereuse. Ils se sentent comme des « compagnons d’armes », liés très profondément. (Cela me rappelle le sentiment que j’avais par rapport à mes collègues/amis missionnaires sur le terrain !)

APEPE : créer un « environnement apostolique »
Peut-être faut-il commencer par dire ce que les « missionnels » ne veulent PAS signifier en utilisant le terme d’ « environnement apostolique ». Nous connaissons tous des exemples de « ministères apostoliques » qui ressemblent davantage à des dictatures ou des CEO. Des personnalités fortes dominent et gardent les membres d’une Eglise dans une dépendance infantile. L’authentique service apostolique est caractérisé par la souffrance (pour l’apôtre) et par la mise en route et la maturation des membres de l’Eglise. Il appelle et fait appel au potentiel de chacun.
Dans les Eglises missionnelles, on parle de service apostolique avant de parler d’apôtres. Pour éviter d’être mal compris et pour distinguer les apôtres fondateurs de l’Eglise à la Pentecôte et les apôtres qui marchent dans leurs traces aujourd’hui. De toute façon, le service des deux a les mêmes caractéristiques : appeler l’Eglise à étendre le Royaume et développer le fondement qui est posé. Pour rendre cette dynamique, on pourrait recourir au sigle APEPE. Ce sigle se réfère aux cinq « dons » que Paul mentionne en Ephésiens 4. 1-16. Ces dons, en forme de personnes, permettent à l’Eglise de s’étendre et en même temps de s’enraciner et de devenir mature en Christ. Dans l’explication qui suit, une description sociologique en italique accompagne chaque point pour aider à discerner ces dons au milieu de l’Eglise.
- Les apôtres : le ministère apostolique est le champ primordial dans lequel se situe la mission de l’Eglise. C’est le point de référence pour les 4 autres ministères. « L’apôtre est l’entrepreneur, le stratégiste, celui qui initie une mission ou un projet. » Il crée l’environnement pour le ministère prophétique.
- Les prophètes : ils s’assurent que la sainteté de Dieu est honorée et que la vérité est respectée. Ils sont à l’écoute de Dieu et ils appellent le corps de Christ à une vie fidèle à Dieu, ce qui prépare les chrétiens au ministère d’évangélisation. « Le prophète est celui qui questionne le statu quo et lance des défis par rapport à l’avenir. »
- Les évangélistes : ils amènent des personnes à une relation avec Jésus-Christ et créent le champ d’action des pasteurs. « Ils sont les recruteurs et les communicateurs. »
- Les pasteurs : ils encouragent les nouveaux chrétiens comme les plus anciens à devenir conformes à l’image de Christ. Ils créent l’environnement d’une recherche d’approfondissement et une meilleure compréhension de la foi. Ainsi ils ouvrent le champ d’action aux enseignants. « Ce sont ceux qui fournissent « la colle » qui lie l’organisme qu’est l’Eglise, en prenant soin de ses membres. »
- Les enseignants : en se basant sur la volonté révélée de Dieu dans la Bible, ils aident les disciples à grandir dans leur compréhension de la vie de foi. Cette aide se traduit en maturité. « L’enseignant, c’est celui qui systématise et fait que tout se tient. »
Ces personnes sont reconnues, mais ne sont pas consacrées formellement. Il n’y a pas « de poste d’apôtre » par exemple.

Les Eglises « plates », le sont-elles vraiment ?
Les Eglises missionnelles sont dites « plates ». Ce qualificatif s’oppose à « hiérarchique ». Il caractérise un leadership beaucoup plus développé. En pensant aux structures de différentes dénominations, on pourrait qualifier les Eglises réformées ou catholique de hiérarchiques. Par contre, les Eglises du genre de la FREE pourraient être qualifiées de moyennement hiérarchiques ou de « plates », dans le sens où un groupe de leaders (des anciens avec ou sans pasteur) président aux destinées de la communauté.
Ce que les « émergents » ou les « missionnels » nous lancent comme défi, c’est de devenir encore plus « plats ». En d’autres termes bien plus réseautés. Cela implique un nombre de leaders beaucoup plus conséquent, comme les responsables d’Eglises de maison en ont aussi fait l’expérience.
Les leaders généraux d’un réseau permettent beaucoup d’expérimentations et acceptent des expériences ratées comme parties intégrantes de l’effort d’être une Eglise contextuelle. Si l’Eglise veut rester capable de répondre aux besoins de son environnement, elle doit tolérer pas mal de chaos, ressembler à un organisme vivant et non pas à une organisation.
Mais ce qui est de première importance, c’est que les « émergents » encouragent un processus de formation de disciples dans les réseaux. Ils visent la multiplication et non pas l’addition. Ceux qui viennent à la foi sont formés/coachés comme disciples pour que, du milieu d’eux, émergent d’autres leaders qui deviendront responsables de nouveaux groupes. C’est un mouvement plus qu’une structure, qui stimule le développement de capacités et non pas la dépendance, qui délègue au lieu de tout garder entre les mains des mêmes personnes. Pour développer un plus grand réseau de leaders, il faut développer la capacité de faire des disciples.
Le but des leaders dans un « paradigme apostolique » est d’appeler l’Eglise à quitter un mode de fonctionnement de « maintenance » et d’embrasser sa vocation de répandre l’Evangile. Même les Eglises à structure verticale, si elles permettent une large contribution des paroissiens, si elles reconnaissent les différents ministères et leur déléguent des responsabilités, peuvent devenir missionnelles.
Quelques questions pour continuer à réfléchir :
- Quelle place est donnée aux fonceurs dans notre communauté ?
- Notre structure, est-elle faite pour assurer le maintien de la communauté ou pour encourager son expansion ?
- Tous les dons mentionnés par Paul dans Ephésiens 4 sont-ils reconnus dans l’Eglise ?
- Par rapport à l’ensemble de l’énergie investie dans les différentes activités, dans les projets et dans les rencontres administratives, quel pourcentage est investi en faveur des gens qui ne sont pas encore chrétiens ?
- Nos groupes de maison sont-ils engagés tant dans l’approfondissement de la compréhension de notre foi que dans un effort de croissance et de multiplication ? Sont-ils des lieux statiques où l’on se sent bien mais où l’on n’a pas de but précis ?
- Sommes-nous en train de former/coacher les responsables (s’il y en a) des groupes de maison, pour qu’ils puissent à leur tour coacher d’autres personnes ?
- Dans le volume de nos activités, quel est le taux d’expérimentation de nouvelles idées ou de nouvelles manières de faire ?

Pour une mission incarnée au pays
Quand je suis revenue de Côte-d’Ivoire pour travailler avec Wycliffe en Suisse, j’ai été frappée par la difficulté des Eglises évangéliques, dont je fais partie, à avoir un contact de qualité avec la population locale. L’Eglise en général n’a plus son mot à dire et j’ai trouvé très difficile de parler de ma foi. En même temps, quand on essayait de faire des « café-cultes » pour que la population se sente à l’aise pour venir dans nos locaux, peu de personnes franchissaient le seuil de la porte. Que faire ?
Je me suis intégrée dans une équipe de tennis. Ce qui m’a aidée énormément à m’intégrer dans le monde hors-Eglise, mais là, j’ai constaté que mes amies percevaient l’Eglise comme un lieu très légaliste et rabat-joie. Il fallait en quelque sorte leur désapprendre ce que c’est que d’être chrétien. Ça prend du temps et je me suis impatientée ! En même temps, je ne pouvais pas imaginer les personnes, avec lesquelles j’étais en relation comme membres de l’Eglise que je fréquentais. L’abîme entre les deux mondes me semblait infranchissable. Et ça m’a rendue perplexe et frustrée.
C’est en me penchant sur le mouvement émergent que je me suis rendu compte que ce que j’étais prête à faire à l’étranger pour communiquer l’Evangile, je ne le faisais pas en Suisse. Je parle du concept, connu dans les milieux missionnaires, d’incarnation : vivre avec les gens, partager leur quotidien, les connaître de l’intérieur de leur monde. Je caricature un peu, mais c’était comme si je faisais des virées momentanées dans leur monde pour ensuite les inviter à l’Eglise (cours alpha, cafés-cultes, etc). En fait, je ne faisais pas partie de leur monde ! Donc, il y avait la mission incarnée à l’étranger et l’évangélisation « attractionnelle » au pays.

Une nouvelle orientation personnelle
J’ai fait la connaissance de l’Eglise émergente et missionnelle, et les choses commencent à se mettre à leur place : m’insérer dans le monde, être avec les gens, prendre le temps et raconter mon histoire avec Jésus de façon naturelle et aux moments opportuns, penser l’Eglise chez eux, et non pas « chez nous » « à l’Eglise ».  Maintenant, je peux imaginer l’Evangile qui se répand chez nous, en Occident.
Mais je ne suis qu’un individu. Si le mouvement émergent porte du fruit, ce sera parce que des Eglises entières auront changé d’attitude et de comportement.
La recherche que j’ai faite pour Wycliffe à propos de ce mouvement m’a permis de voyager  virtuellement autour du monde et de prendre conscience de ce que Dieu est en train de faire pour ramener son Eglise à sa mission première : celle d’être témoin de Jésus. J’ai pu voir qu’ici en Suisse, sans que les uns ou les autres connaissent forcément le terme « Eglise émergente », des choses « émergentes » deviennent petit à petit réalité.
J’espère de tout mon cœur qu’un autre fruit se dégagera du mouvement émergent : celui de réunir les chrétiens de toutes les confessions et dénominations dans un élan commun pour la cause du Christ, pour enfin réaliser son dernier souhait exprimé à son Père : « Qu’ils soient un, comme nous sommes un ! » Qu’au lieu de dresser des listes de points de doctrine, aussi longues que le bras, pour nous différencier, nous avancions humblement ensemble, sachant  que nous pouvons bénéficier et avons besoin les uns des autres.

« J’ai hissé mes voiles... »
Je termine avec les paroles prophétiques d’un précurseur du mouvement émergent, le prêtre et missionnaire catholique, Vincent Donovan : « Le ministère eucharistique principal se fait en dehors des murs de l’Eglise » relevait-il dans « The Church in the midst of Creation » (3). Ce qui va dans le sens des paroles de Paulo Coelho que nous avons déjà citées : « Le lieu le plus sûr pour un bateau est le port. Mais il n’a pas été fait pour cela. » Personnellement, j’ai hissé mes voiles pour sortir petit à petit du port.

Jane Maire

Notes

1 Lire les trois articles déjà publiés : « Les Eglises émergentes ou missionnelles : un phénomène stimulant pour les chrétiens occidentaux », « Les Eglises émergentes ou missionnelles : l’incarnation plutôt que l’attraction » et « Pas de lieux sacrés pour les Eglises missionnelles ».

2 Alan Hirsh, The Forgotten Ways : Reactivating the Missional Church, Brazos Press, 2006. Voir aussi : Michael Frost et Alan Hirsch, The Shaping of Things to Come: Innovation and Mission for the 21 Century Church, Hendrickson, 2003, 256 p.

3 Vincent J. Donovan, The Church in the Midst of Creation, New York, Orbis, 1989.

  • Encadré 1:

    Bio express
    Jane Maire travaille depuis de nombreuses années avec Wycliffe, une œuvre missionnaire d’approche holistique, qui se consacre particulièrement à la traduction de la Bible et à l’alphabétisation. Avec John, son mari, elle a séjourné en Côte-d’Ivoire pendant 15 ans, avant de s’installer dans la région de Bienne pour y travailler au bureau de Wycliffe en Suisse. Jane et John ont 4 enfants. Jane est passionnée de tennis !

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